Le discours télévisé d’Emmanuel Macron, le soir du 24 novembre, fut un soulagement pour l’ensemble des commerces dits non-essentiels, enfin autorisés à rouvrir quatre jours plus tard. Mais comment relever la tête après deux confinements ? Rencontre avec des commerçants vénissians, ainsi que Nicolas Porret, adjoint au maire en charge du commerce.
Lorsque le 24 novembre, Emmanuel Macron a annoncé la réouverture des commerces pour le 28 novembre, sans doute un cri de joie a-t-il accueilli la nouvelle. D’autant plus qu’avec l’approche des fêtes, beaucoup savaient qu’ils auraient eu encore plus de mal à s’en sortir sans ce coup de pouce.
L’année 2020 fut catastrophique pour les commerçants, avec un premier confinement, un couvre-feu et un nouveau confinement. Et des pertes de chiffres d’affaires atteignant parfois 95 %.
État, Région et Métropole ont apporté un soutien efficace mais, après le deuxième confinement, la situation reste complexe. « Certains commerçants sont tellement découragés, confie une fleuriste du Vieux Bourg, qu’ils ne trouvent plus la force de faire des démarches. »
Les villes sont elles aussi venues en aide aux artisans, commerçants et entreprises. Ainsi, à Vénissieux, plusieurs mesures ont été votées, à l’unanimité, au conseil municipal du 15 juillet : des exonérations, des réductions et, pour les commerces, une baisse de 30 % de la taxe locale appliquée aux enseignes supérieures à 7 m2. Petit geste supplémentaire : par affichage, la Ville recommandait aux habitants de consommer local.
Élu aux commerces et à l’économie sociale et solidaire, Nicolas Porret détaille les objectifs de la municipalité, au premier rang desquels l’accompagnement des commerçants dans la recherche d’aides. « Il existe un site très clair qui regroupe toutes les aides (les-aides.fr). En ce moment, le pôle économique de la Ville contacte l’ensemble des commerçants pour recenser les besoins. Nous sommes en train de mettre en place un annuaire du commerce de proximité, prochainement en ligne sur le site Internet de la Ville. »
Il constate, par ailleurs, une évolution du mode de consommation accentuée par la crise. Et qu’il faut trouver des solutions pour que les points de vente engagent leur transition digitale — ce sera d’ailleurs l’objet d’un fonds géré par la Métropole. « La grosse difficulté, c’est que les commerces devront faire évoluer leurs méthodes de travail, poursuit Nicolas Porret. La municipalité peut les accompagner mais l’action doit être menée par eux. Comment les aider sans imposer ? D’un secteur à l’autre, ils ont tous des besoins différents. Une stratégie numérique, ça se travaille sur le long terme. »
« Les commerçants ne doivent pas hésiter à contacter la municipalité, rappelle l’élu. Certaines aides existent mais restent peu accessibles. L’État a peut-être aujourd’hui moins de moyens. Nous essayons d’aider les commerces à traverser cette crise, à la hauteur de nos possibilités. »
Patrick Tattoo : prudence et incertitudes
Patrick a abordé la crise actuelle avec beaucoup de prudence. « J’ai mis des sous de côté mais je comprends les confrères qui ont des difficultés. Un crédit professionnel ne peut être repoussé qu’une seule fois dans l’année. En mars et avril, l’État a donné une aide de 1 500 euros et la Métropole de 1 000 euros. »
Le deuxième confinement a visiblement été moins suivi par les pouvoirs publics. « Je viens d’apprendre qu’une nouvelle aide n’était pas sûre. J’ai bientôt 50 ans. Si je dois fermer, je fais quoi ? Retrouver du boulot ? »
En ce qui concerne les nouvelles mesures, il ricane : « Ma boutique fait 45 m2 et on veut imposer 8 m2 par personne. Comment je les compte, ces 8 m2 ? » S’il reste confiant parce qu’il « anticipe », il sait que, sans le fonds de solidarité, il perdra toutes ses économies. Rageur, il lance : « Si je ne suis pas aidé, il n’y aura pas de troisième vague pour moi. Je resterai ouvert. »
Patrick Tattoo : 54, bd Laurent-Gérin – 06 01 08 18 90.
Mallogi Meubles : « Il ne manque plus que les grillons ! »
Lui aussi évoque les soutiens des pouvoirs publics. Et la mise en place d’un prêt garanti par l’État, pour lequel il a jusqu’à juin pour souscrire. « Je le ferai si j’en ai besoin. Pour l’instant, tant que j’ai de la trésorerie… Mais il me faut vraiment redémarrer. Ma clientèle a autour des 50-60 ans, une tranche d’âge qui est la plus touchée, la plus frileuse. Même s’ils ont envie de consommer, leurs enfants leur conseillent d’attendre. »
Il estime que le redémarrage, après le premier confinement, s’est mal passé. « Les gens n’avaient pas envie de consommer. Puis il y a eu les vacances, septembre s’est passé bon an mal an et la deuxième vague est arrivée. En octobre, la morosité était telle qu’elle a freiné tout le monde. On parle toujours de deux mois puis d’un mois de confinements. C’est oublier la latence avant et après. »
Philippe évoque encore ces images de ruée vers les magasins montrées ici et là. « Elle se passe dans des lieux où existent des activités. Ici, qu’avons-nous comme locomotive ? La force commerciale n’existe plus. »
Il avoue que le deuxième confinement a été plus dur, financièrement et moralement. « On s’est pris toutes les mouises de la terre en six mois. Il ne manque plus que les grillons ! » Philippe Malloggi vient de participer à une campagne sur la réouverture des commerces de proximité, orchestrée par la Métropole, en lien avec les communes. Et se trouve bien content d’avoir été choisi pour représenter Vénissieux.
Mallogi Meubles : 20, rue Paul-Bert – 04 82 79 55 28.
Christine Coiffure : “Je veux juste travailler”
Tout en acceptant les décisions de l’État concernant les commerces dits non-essentiels, Christine s’est étonnée de ne pas avoir pu continuer à exercer. “J’aurais tout accepté, la distanciation accrue, l’hygiène en veux-tu en voilà, même un couvre-feu pour finir à 18 heures. Je ne demandais rien, ni aides, ni soutien, ni report de taxes, je voulais juste travailler.”
Et depuis la réouverture ? “Avec mon apprentie, on respecte scrupuleusement la règle des 8 m2, on n’est jamais plus de quatre. Notre établissement accueille des clients assis, et doit faire face aux temps de pose technique (les couleurs), d’où une tolérance de 20 % prévue dans l’application de la jauge des 8m2 par client au sein du salon. » Une 3e vague décoifferait sans nul doute Christine. “J’accepterais une nouvelle fermeture, mais là il faudrait que l’État paye vraiment. Hors de question que je paie le Covid avec ma trésorerie personnelle. Dans le cas contraire, mon salon resterait ouvert.”
Christine Coiffure : 118, avenue Jules-Guesde – 04 78 74 33 30.
Vénicopie : « Ça va laisser des traces »
« Ce sont surtout les clients qui m’ont confié leur désarroi durant ces confinements, commente Taïeb Boubaker, responsable de Vénicopie, rue Gaspard-Picard. Beaucoup en ont eu marre. Moi, j’ai dû fermer comme le gouvernement l’imposait, j’ai bénéficié de la prime d’État de 1500 euros, mais j’attends celle de 1 000 euros de la Métropole. En vérité, je me suis fait une raison. Et lors du deuxième confinement, ça a été plus brutal… dans les têtes. Là, on se pose des questions, et je m’en pose encore depuis la réouverture. Comment m’adapter à cette nouvelle donne, va-t-on continuer à porter le masque et « s’hydroalcooliser » ? Vais-je accentuer le travail sur le Net comme ça a l’air de se préciser ? Devrais-je adopter un système de « drive » pour que les clients viennent récupérer leur commande ? S’il le faut, pas de souci, mais je vais perdre un des petits bonheurs simples de mon travail, le relationnel. »
La réouverture de Vénicopie n’a pas été suivie d’un « boom » des commandes. « Normal, les responsables de petites entreprises attendent un peu. Prenons l’exemple de la secrétaire qui habituellement m’appelait pour passer commande des papiers à en-tête. Elle a souvent opté pour le télétravail, et ce type de documents peut encore attendre pour les chefs d’entreprise. »
Vénicopie : 4, rue Gaspard-Picard – 04 72 51 15 73
Flowers : « Je vis ici, je travaille ici, j’achète ici. »
Il faut aussi, tout en respectant la clientèle, lui faire respecter les consignes. Cela est davantage intégré après le deuxième déconfinement et Nadia estime qu’aujourd’hui, rares sont les personnes qui entrent sans masque ou sans utiliser le gel. « Je suis assez confiante dans ce nouveau mode de fonctionnement. » Les échanges et les contacts lui manquent et elle parle de la pandémie comme d’une « crise économique et sociale » : « Qui dit baisse du chiffre dit baisse d’énergie. Qui dit manque de relations dit manque de motivation. »
Elle évoque aussi la solidarité créée entre les commerçants et affirme avec fierté : « Je vis ici, je travaille ici, j’achète ici. »
Pour se diversifier, quand elle a pu s’agrandir — en changeant de local, elle est passée de 33 à 100 m² —, Nadia imaginait un concept fleuriste-jardin anglais-salon de thé. Le confinement l’en a empêché. Son mari Bayrem ayant travaillé sur un licence asiatique, pourquoi ne pas tenter le sushi ? « Deux entités en une seule, gérées par un couple. » Cette nourriture ne dégage pas d’odeur, elle était l’occasion de former une équipe de jeunes polyvalente et spécialisée et de fidéliser une clientèle. Et la permission de vente à emporter fut bien entendu la bienvenue.
Malgré tout, reprend la fleuriste, « on vit dans l’incertain, on ne sait pas où on va et on rebondit comme on peut. Tout en restant positifs. »
Flowers : 12, rue Paul-Bert – 04 72 50 62 50.
Virginie – Ainsi soit belle : « Ma fidèle clientèle me suffit »
Virginie – Ainsi soit Belle : 1, place Léon-Sublet – 04 72 51 13 30