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Une génération sacrifiée ?

Alors que le président de la République a assuré, lors de l’annonce de la mise en place du couvre-feu, ne pas souhaiter « culpabiliser » les jeunes, ceux-ci semblent être parmi les premiers visés par les nouvelles mesures pour lutter contre la propagation du Covid-19.

Alors que le président de la République a assuré, lors de l’annonce de la mise en place du couvre-feu, ne pas souhaiter « culpabiliser » les jeunes, ceux-ci semblent être parmi les premiers visés par les nouvelles mesures pour lutter contre la propagation du Covid-19. Expressions est parti à leur rencontre.

« C’est dur, d’avoir 20 ans en 2020. » Alors qu’il annonçait, le 15 octobre, la mise en place d’un couvre-feu dans neuf métropoles françaises, la petite phrase d’Emmanuel Macron n’a pas manqué de faire réagir les jeunes, que ce soit entre eux ou sur les réseaux sociaux. Et ce, même s’il a indiqué ne pas souhaiter les « culpabiliser ».

Pourtant, force est de constater qu’au-delà des personnes victimes de la maladie, ils sont parmi les premiers concernés par les mesures prises pour lutter contre le coronavirus. Selon les mots du président de la République, ils vivent ainsi « un sacrifice terrible. Des examens annulés, de l’angoisse pour les formations, de l’angoisse pour trouver le premier job… Quand on est jeune, on fait la fête, on a des amis ».

De fait, c’est une très grande partie du « quotidien des jeunes » qui est visée. Ils sont étudiants ? Les partiels ont été reportés, annulés, transformés en contrôle continu pendant et après le confinement. Les universités doivent limiter leur capacité d’accueil à 50 % de la normale — ce qui pose forcément la question de l’accès au savoir. De plus en plus de cours se font à distance, et tant pis pour ceux qui ne peuvent se payer un matériel de qualité suffisante. Ils cherchent un premier emploi ? De très nombreuses entreprises ont « gelé » leurs recrutements, attendant des jours meilleurs pour embaucher de nouveau. Ils aiment sortir, faire la fête ? Dans la plupart des grandes métropoles nationales, les bars sont fermés de nouveau. Les rassemblements entre amis doivent être limités à six personnes. Les boîtes de nuit, elles, n’ont pas rouvert après le confinement. Ils veulent se dépenser ? Gymnases, salles de sport et piscines sont réservés, notamment, aux groupes scolaires et aux sportifs de haut niveau.

Bref, « avoir 20 ans en 2020, ce n’est pas simple », nous ont confié, sans victimisation et sans oublier que le Covid-19 a fait plus de 33 000 morts en France, les jeunes que nous avons rencontrés à Vénissieux et dans l’agglomération lyonnaise. Avec, en creux, un sentiment : celui de se faire voler par la maladie et par des mesures parfois considérées comme injustes, une partie de leur jeunesse.


Enzo, 21 ans, étudiant
« J’ai l’impression que cette crise brise tous nos rêves »

Jeune Vénissian de 21 ans, Enzo, fils d’un ouvrier et d’une mère au foyer, est en 3e année de licence de mathématiques à Saint-Étienne. La crise sanitaire a coupé son élan. « Les petits boulots, je connais. En 2d et 1re au lycée j’ai gardé des enfants, en terminale j’ai ramassé des fruits, j’ai fait les vendanges une semaine. Depuis ma première année de licence, j’avais trouvé une place dix heures par semaine dans une enseigne de restauration rapide. Je ne roulais pas sur l’or mais je payais ma chambre universitaire. Avec le confinement, tout a fermé. Plus de restauration, plus rien… Je me suis vraiment retrouvé en grande difficulté. À la rentrée, j’ai préféré prendre un abonnement au train Lyon/Saint-Étienne, plutôt que de reprendre une chambre. C’est beaucoup plus fatigant mais c’est moins cher. Je n’ai pas encore retrouvé de travail. Par moments, je suis démoralisé : moi qui rêvais de master et pourquoi pas d’un doctorat, je vais peut-être devoir m’arrêter en fin de licence. Et je ne suis pas le seul étudiant dans cette situation.

Pendant le confinement, tous les cours étaient en distanciel, nos partiels également. On n’en pouvait plus de ne voir personne. Du coup, le déconfinement a été synonyme de délivrance. À 20 ans, les copains, c’est une seconde famille ! Alors bien sûr, nous avons participé à des fêtes, nous nous sommes retrouvés, histoire de vivre comme n’importe quel jeune de 20 ans.

C’est vrai que nous nous sommes un peu lâchés entre nous, concernant les précautions sanitaires. Mais quand on nous a dit que l’épidémie reprenait, on a fait plus attention. Les jeunes tiennent à leurs parents et à leurs grands-parents. On a quand même rapidement compris que nous étions facteurs de propagation.

Aujourd’hui, avec le couvre-feu et la jauge de 50 % d’étudiants à l’université… je suis inquiet. C’est très angoissant car on ne peut pas se projeter. J’ai l’impression que cette crise brise tous nos rêves. »


Sofia, 21 ans, étudiante
« J’ai peur de me dire que l’on m’a volé ma jeunesse »

Sofia entame sa seconde année de licence Information-Communication à l’université Lyon 2. Si elle considère qu’elle n’a « pas été traumatisée, quand même pas » par la première vague du Covid-19, elle a peur de « se faire voler [sa] jeunesse » par une épidémie dont elle « ne [voit] pas le bout ».

« Au départ, je dois bien l’admettre, j’ai apprécié le confinement. J’ai eu le temps de me reposer, de dormir, de lire, de rattraper mon retard dans certains cours à la fac… Puis, assez vite finalement, je me suis ennuyée. J’habite chez mes parents, avec mon petit frère de 16 ans, donc ce n’était pas facile tous les jours de cohabiter. Parfois nous étions de mauvaise humeur, presque sans raison, et là, en confinement, il n’y avait pas moyen de décompresser avec ses amis ou de penser à autre chose grâce aux cours. J’ai beaucoup couru pour échapper aux murs de l’appartement ! Le déconfinement a été un véritable soulagement pour tout le monde. Mais depuis la rentrée, je suis triplement inquiète. D’abord, pour mes études : que vaudra ma licence aux yeux des recruteurs, si mes partiels sont de nouveau annulés ? Ensuite, pour ma famille : mon papa s’est retrouvé au chômage partiel pendant quelques semaines, et il ne faudrait pas que cela se reproduise. Enfin, de manière plus égoïste, pour ma vie sociale : j’ai l’habitude de voir mes amis, de rencontrer du monde, je fais du sport dans un club… Moralement, est-ce que les semaines à venir seront plus difficiles que celles du printemps 2020 ? Est-ce que, quand ce sera terminé, j’aurai l’impression que l’on m’a volé ma jeunesse ? Je ne le sais pas et, c’est vrai, ça me fait peur. »


Morgan, 20 ans, jeune travailleur
« J’en ai marre d’être dans la galère »

Morgan, 20 ans « tout pile », assure vouloir rester positif quant aux restrictions qui s’appliquent en ces temps de coronavirus. Pourtant, lorsqu’on évoque le sujet avec lui, c’est une vraie colère qui se dégage chez ce jeune habitant du quartier Charréard.

« Avoir 20 ans en 2020, je ne le recommande à personne ! Personnellement, depuis le début de l’année, j’alterne les périodes de chômage et les petits boulots. L’an passé, Je gagnais plutôt bien ma vie avec des missions en intérim dans le secteur du conditionnement alimentaire, mais avec la crise du Covid-19, elles se sont raréfiées. Les entreprises doivent se serrer la ceinture, ont moins de commandes et, résultat, ce sont les plus précaires qui trinquent en premier. J’en ai marre d’être dans la galère ! Si encore on se marrait dans la vie de tous les jours, pourquoi pas, ça permettrait de relativiser. Mais là, entre les masques, les bars fermés, la distanciation sociale, les gens qui sont méfiants entre eux… ça fait peur. Mon père me parle souvent de ses 20 ans, de ses virées entre potes, de la drague, de voyages improvisés à six dans une petite voiture… Si j’ai des enfants un jour, je vais leur raconter quoi ? ‘J’ai connu votre mère sur Tinder, on a discuté de pas grand-chose parce qu’on n’avait plus le droit de rien faire et on s’est croisés pendant les 10 minutes de liberté qu’ils nous laissaient par jour, puis je suis parti en vacances chez votre grand-mère entre deux confinements’? Ça fait rêver ! Non, clairement, 20 ans en 2020, pour l’instant ce n’est pas la folie. Il faut croire qu’on va devoir attendre d’être plus vieux pour faire les jeunes… »


Sarah, 23 ans, employée
« Comme si j’avais de nouveau 16 ans »

Sarah, 23 ans, sait qu’elle a de la « chance » : elle travaille dans l’accompagnement des formations à distance – un secteur qui a plutôt profité de la crise du coronavirus –, elle peut continuer à payer ses factures, personne de son entourage n’a été trop malade… Cela ne l’empêche pas de mal vivre cette période « où chaque petit plaisir de la vie est considéré comme un risque ».

« Pour moi, avoir 20 ans en 2020, c’est un retour dans le passé : on ne peut plus sortir le soir, on doit voir le moins de monde possible, il faut rester à la maison, les boîtes de nuit et les pubs, on peut oublier… J’ai de nouveau 16 ans, quoi ! Plus sérieusement, je suis bien consciente de la chance qui est la mienne. Mes parents et mes grands-parents sont en pleine forme, je n’ai pas attrapé le coronavirus, eux non plus, et j’ai un contrat en CDI. Je n’ai donc pas trop envie de me plaindre, mais quand même, la ‘vie d’avant’me manque beaucoup. Je suis inscrite dans une salle de sport ? Je ne peux plus y aller. Je retrouvais mes amis dans un bar ? Il est fermé. J’aimais me promener dans le centre de Lyon le soir avec mon copain ? C’est interdit, il y a le couvre-feu. Bref, chaque petit plaisir de la vie des jeunes est devenu un risque, quelque chose à ne surtout pas faire. Alors, on s’adapte : on fait des soirées chez les uns, chez les autres, en faisant attention à ne pas faire trop de bruit parce que nous sommes plus de six, je me lève une heure plus tôt pour aller courir, et Netflix est devenu notre meilleur ami. Je reste patiente, je sais que cela ne va pas durer. Mais j’ai un peu de peine pour ceux qui attendaient d’avoir 18 ans pour sortir, s’émanciper, découvrir la vie en dehors du cadre familial, expérimenter la liberté de la vie d’adulte. À cet âge, on n’a pas envie d’être patient et de rester enfermé… »


Feyrouz, 28 ans, auto-entrepreneure
« Un second confinement serait horrible »

Feyrouz a décidé de lancer en 2018 sa marque de vêtements. Après ses études à Vénissieux, elle frappe à la porte de Positive Planet, avenue Jean-Cagne, qui accompagne les porteurs de projet, et bénéficie d’un accompagnement de deux ans par l’Ouvre-boîte, accélérateur de talents basé à Caluire et porté par les Apprentis d’Auteuil.

Tout commence donc bien pour la jeune vénissiane. Elle élabore même sa première collection entre février et juin 2019, s’installe deux mois en boutique éphémère à La Confluence. « J’étais heureuse, je réalisais enfin ce que je souhaitais. » Malheureusement le confinement la coupe dans son élan. « J’allais toujours à mon atelier à Saint-Fons, mais très rapidement j’ai compris que mes vêtements ne se vendraient plus. Les gens n’avaient plus du tout la même priorité, la pyramide des besoins s’est totalement transformée. » Elle se lance alors dans la confection de masques faits mains. Par l’intermédiaire de la plateforme des créateurs Etsy, elle en vend plus de deux cents. Solidaire, dans le même temps, elle en donne aux caissières et au facteur qui dépose son courrier. « J’en avais toujours sur moi. »

Aujourd’hui, Feyrouz vit du RSA. « Professionnellement, le confinement a entraîné une baisse importante de mes activités. Malgré tout, je reste motivée. » Elle s’est ainsi installée pour plusieurs semaines dans une boutique avec quatre autres créateurs, rue des Capucins, près de la Place des Terreaux. « C’est très compliqué d’être auto-entrepreneure. Un second confinement serait horrible. Je commençais tout juste à sortir la tête de l’eau. Je vais tout faire pour poursuivre car mon projet me plaît. Malgré la crise, on se doit de rester motivé… surtout dans ce genre de situations ».

Sur le plan personnel aussi « la vie est difficile », note-t-elle. « On est beaucoup plus prudents, on gère du stress, de l’angoisse. On a de moins en moins de lien social. On a l’impression de ne plus faire partie d’un groupe. »

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