Pour les jeunes des quartiers prioritaires, la réussite scolaire et professionnelle est plus difficile que pour des jeunes ayant le même « profil » social mais vivant ailleurs, note une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) parue début juin. Entretien avec l’un des auteurs de l’étude, Thomas Couppié, responsable du département « Entrées et évolutions dans la vie active » du Céreq.
Expressions : En comparant le parcours de jeunes qui ont obtenu le bac en 2013, vous observez que ceux qui vivaient dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ont un parcours scolaire et professionnel plus chaotique que ceux qui ont des caractéristiques socio-démographiques identiques (origine migratoire, catégorie socioprofessionnelle des parents, type de bac obtenu…) mais qui habitaient ailleurs. Déjà, quelles sont les caractéristiques de ces jeunes ?
Thomas Couppié : Pour la moitié d’entre eux, ils sont issus de milieux familiaux immigrés ou à faibles ressources, plus de 50 % bénéficient d’une bourse sur critères sociaux. Ils sont plus souvent scolarisés dans des lycées présentant une faible mixité sociale. Leurs parcours d’études et d’insertion vont porter la marque de cet environnement social. En fait, ils cumulent les handicaps dès les premières années de leurs parcours scolaire et professionnel.
Quels handicaps ?
Il s’agit la plupart du temps de conditions de vie défavorables à leurs études : logement suroccupé, équipements insuffisants… Ils sont majoritairement affectés dans des établissements scolaires accueillant des publics défavorisés, avec aussi un turn-over et un manque d’expérience plus marqués des enseignants. Ils sont aussi généralement moins bien informés sur l’orientation scolaire ou les opportunités d’emploi… Je rappelle qu’il s’agit là de caractéristiques générales, observées sur l’ensemble des QPV. À l’entrée au lycée, les jeunes des QPV sont beaucoup plus nombreux à intégrer la filière professionnelle que les collégiens des autres quartiers de la même agglomération : 38 % contre 23 %. Une orientation souvent subie : ils sont envoyés là parce qu’ils ne font pas partie des « bons élèves ». Il faut aussi noter que les jeunes résidant en QPV n’ont été que 54 % à décrocher le bac en 2013, qu’il soit général, technologique ou professionnel, contre 77 % des lycéens des quartiers voisins et 87 % au niveau national.
Une fois bacheliers, ont-ils un parcours différent de leurs camarades aux mêmes caractéristiques sociales habitant d’autres quartiers ?
C’est cet « effet quartier » que nous avons cherché à observer dans notre étude. On relève que, parmi les bacheliers professionnels, ceux issus des QPV sont plus nombreux que les autres à poursuivre leurs études, dont 40 % intègrent un cursus universitaire pour lequel ils n’ont pas été préparés, contre 20 % des jeunes des quartiers voisins. Cette orientation se traduit par un taux d’échec élevé : 73 % des bac pro vivant en QPV sortent du supérieur sans aucun diplôme. De manière générale, lorsqu’ils s’engagent dans l’enseignement supérieur, les bacheliers de QPV sont plus nombreux à ne pas obtenir de diplôme (34 % contre 20 %) que leurs voisins aux caractéristiques sociales et migratoires identiques.
Pourquoi cette orientation « périlleuse » ?
Pour corriger une orientation souvent contrariée ou une espérance forte d’ascension sociale ? On peut aussi y voir l’effet d’une nouvelle orientation subie : les universités pratiquent une sélection à l’entrée moins importante que des filières tels que les IUT ou les BTS.
Une fois sur le marché du travail, les différences perdurent ?
En fait, à caractéristiques individuelles égales, « l’effet quartier » se réduit alors fortement, car c’est surtout le niveau de diplôme atteint qui pèse sur l’insertion professionnelle. Mais justement il est plus difficile à obtenir lorsqu’on réside en QPV… Les jeunes issus de ces quartiers font donc face à des conditions d’insertion plus difficiles. Ainsi, trois ans après leur sortie de formation initiale, 37 % d’entre eux sont sans emploi, contre 22 % pour leurs camarades du même âge issus de quartiers voisins.
Votre étude interroge sur l’efficacité des politiques menées depuis 2015…
Elle montre qu’il reste plus difficile pour les résidents de quartiers prioritaires de décrocher le bac, de poursuivre et de réussir des études supérieures que pour leurs voisins, à caractéristiques individuelles égales. À cet égard, plusieurs décennies d’éducation prioritaire et d’accompagnement éducatif des jeunes de milieux sociaux défavorisés laissent un bilan mitigé au regard des inégalités scolaires massives qui subsistent.
« Que deviennent les jeunes des quartiers prioritaires de la ville après leur bac ? » Étude de Thomas Couppié, Pascal Dieusaert, Mélanie Vignale, Céreq juin 2020.
Le dispositif des Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) a été mis en place en janvier 2015. La France compte 1 514 QPV, dont 43 dans le Rhône. Ils réunissent plus de 5 millions d’habitants sur 702 communes. Le premier objectif de la politique de la ville est de « lutter contre les inégalités de tous ordres, les concentrations de pauvreté et les fractures économiques, sociales, numériques et territoriales », en consacrant des moyens spécifiques aux territoires concentrant les plus grandes difficultés. Photo © R. Bert Expressions