« On vit quelque chose sans précédent » confie Mélanie, 37 ans, aide-soignante au service de soins intensifs dans une clinique de Lyon 8e.
« Je travaille en douze heures. C’est à dire que je fais 6h45 – 19h15 deux jours de suite puis trois jours de repos et rebelote, les roulements changent chaque semaine. La semaine prochaine, je travaillerai lundi et mardi puis samedi et dimanche.
J’habite dans le centre de Vénissieux. Je vais travailler en transports en commun : un bus jusqu’à la gare puis le métro et le tram ou le C15. Ça va, même si je mets plus de temps que d’habitude, surtout le soir.
Ce qui me révolte, c’est de voir autant de monde dans le métro ou dans la rue, à se balader parfois en famille. Ça ne m’étonne pas vraiment non plus, les gens sont trop indisciplinés. S’ils voyaient ce que je vois à la clinique, ça les ferait peut-être réfléchir. En fait, je me sens plus protégée au travail que dans le métro ou dans la rue ! »
UNE RÉORGANISATION COMPLÈTE POUR FAIRE FACE
« Au niveau de Lyon-centre, nous sommes maintenant en 2e ligne, après Édouard-Herriot. La clinique a été complètement réorganisée, nous avons désormais 8 lits de réanimation en plus. Au total, nous avons 12 lits de soins continus pour patients « covid-positifs », nos 8 nouveaux lits de réa « covid-positifs » et 16 lits de soins continus pour patients « covid-négatifs ». Une autre unité comprend une vingtaine de lits pour patients « covid-positifs » stables. Nous conservons une activité de chirurgie urgente, pour des personnes atteintes de pathologies très douloureuses et dont l’intervention ne peut pas être reportée, un cancer de la vessie, par exemple. »
ON NE FAIT PAS CE MÉTIER PAR HASARD
« La direction souhaite ne faire prendre aucun risque au personnel soignant. Si on est trop touchés, ce serait la cata. On a commencé par écarter les collègues fragiles ou à risque, asthmatiques ou porteuses de maladies auto-immunes par exemple. À la moindre alerte, nous sommes testées. Moi-même je l’ai été, il y a 15 jours, je toussais, mais c’était une toux grasse, ce n’était pas ça, et c’est passé. Je devrais arrêter de fumer ! Mais ce n’est pas vraiment le moment…
Très peu de collègues ont posé des jours, malgré la fatigue physique et la tension nerveuse. Les seules qui l’ont fait étaient enceintes. Parfois, des infirmières de bloc viennent en renfort. Si on fait ce métier, ce n’est pas par hasard, on l’a voulu, on va au charbon. »
« ÇA FOUT LA TROUILLE »
« Au début de l’épidémie, on se disait « bon, c’est juste une grosse grippe ». Maintenant, quand on voit arriver des patients de 22 ou 34 ans au bord de la mort, ça fout la trouille. Parmi les patients qui arrivent conscients, beaucoup posent la même question : « vous avez eu des morts, ici ? » J’ai l’habitude de m’occuper de personnes très malades, atteintes de cancer par exemple, qui nous disent leur peur de mourir. En ce moment, on rencontre cette angoisse beaucoup plus souvent, et de la part de personnes jeunes. Il y a de quoi être angoissé, quand on étouffe au moindre effort, qu’on arrive pas à reprendre son souffle. On vit quelque chose sans précédent.
Dans mon métier, j’attache beaucoup d’importance au relationnel, je discute beaucoup avec les patients. Là, ça devient dur, psychologiquement. Pour tout le monde. Pour les patients privés de visites, pour les familles, pour les soignants. Même ce qui suit le décès est très brutal : on met le défunt dans une housse plastique puis en bière immédiatement, les proches n’ont même pas le temps de le voir une dernière fois, il n’y a qu’en guerre qu’on voit ça, normalement. »
ATTENTION AU MATÉRIEL
« Pour l’instant nous ne sommes pas en rupture de matériel mais on doit faire très attention. En temps normal, nous sommes toujours en binôme infirmière et aide-soignante, et on met un tablier jetable sur notre blouse à chaque nouvelle chambre. S’il le patient visité n’a pas besoin de soins, l’infirmière n’entre pas, pour économiser un tablier. Le matin, on reçoit une enveloppe avec le matériel pour la journée, ça évite le gaspillage. Pour une protection optimale, un masque chirurgical doit être changé toutes les 4 heures, et un masque FFP2 toutes les 8 heures. À condition de ne jamais les enlever, même pour boire ! »
À LA MAISON
« Quand je rentre à la maison, je mets mes vêtements au sale et je file à la douche avant de faire un bisou à mes enfants et à mon mari. Je n’ai pas viré parano, mais il ne faut pas tenter le diable. Je ne parle pas beaucoup boulot en rentrant. J’essaie de séparer les univers. Malgré ça, depuis 3 semaines, on vit Covid H24 : le travail, la maison, la télé… C’est lourd.
L’école manque aux enfants. Le petit de 3 ans réclame sa maîtresse et la grande de 9 ans ses copines ! Et moi aussi, qui suis beaucoup investie avec les parents d’élèves, ça me manque, les relations extérieures. Mais bon, nous avons la chance d’être en maison avec un petit jardin. Je pense que les gens coincés en appartement vont devenir fous ! La semaine prochaine, mon mari sera d’astreinte à son travail quelques jours, les enfants iront chez la nounou. »
LE RESPECT
« On a besoin de soutenir, mais aussi d’être soutenus. Les applaudissements de 20 heures, ça fait du bien. Le gouvernement promet une prime. OK, on ne crachera pas dessus, mais ce que l’on veut c’est plus de respect, et ça passe par une revalorisation de notre salaire. Je suis diplômée et j’exerce depuis 16 ans, et je gagne 1400 euros par mois. Les ministres qui nous appellent « héros » aujourd’hui, hier ils nous envoyaient la police, quand on criait misère pour la Santé. Oui, quand ça sera fini, certain devront rendre des compte et j’espère que la considération restera. »
Propos recueillis par François Toulat-Brisson
journet
6 avril 2020 à 20 h 31 min
Cette valeureuse aide soignante…..c’est notre nièce. Nous te félicitons et te soutenons ainsi que tous tes collègues.
Bon courage et merci
Oncle Denis et Tante Edith