En ce moment, l’accompagnement des défunts est particulièrement compliqué pour les familles endeuillées. Il l’est aussi pour les employés des pompes funèbres, qui doivent faire coexister les indispensables mesures de précaution sanitaires et les gestes d’humanité dont on a tant besoin lors d’un deuil. Pour les musulmans, aux restrictions imposées à tous, s’ajoute l’interdiction d’accompagner le défunt sur sa terre natale. Enquête auprès des entreprises vénissianes Durin-Pruvost et Eden.
Malgré l’épidémie de Covid-19, sur le plan de la mortalité, la situation à Vénissieux est beaucoup moins tendue qu’en Alsace ou qu’en Île de France, heureusement. Mais les contraintes sanitaires pour éviter la contagion chamboulent le deuil des familles. « Il y a toujours davantage de décès lors du premier trimestre de l’année, explique Alexandre Durin, patron de l’entreprise de pompes funèbres Durin-Pruvost, une institution à Vénissieux et Bron. Pour l’instant, nous avons un peu plus d’activité qu’un mois de mars normal, mais ce n’est pas un surcroît extraordinaire, et cela « compense » des mois de janvier et février plutôt moins chargés cette année. J’espère que cela ne va pas s’aggraver spectaculairement lors du pic de l’épidémie ».
Pour le moment, la crise sanitaire se traduit surtout par des démarches plus compliquées pour les familles. La plupart sont désormais réalisées à distance, par mail et sur Internet. Par exemple, le choix du cercueil n’est plus possible en agence. « Nous envoyons par courriel une photo des différents modèles disponibles pour l’inhumation. Pour la crémation, nous ne proposons qu’un seul modèle, celui de base », confie Alexandre Durin.
Mais tout ne peut pas se faire à distance. D’abord parce que les parents des défunts sont souvent eux-mêmes assez âgés et donc pas forcément très familiarisés avec les mails. Ensuite, parce qu’il y a un moment où il faut une signature, un acte non dématérialisé. « À ce moment-là, La difficulté est de faire coexister deux choses indispensables : les mesures de précaution légales et les gestes d’humanité dont on a tant besoin lors d’un deuil. »
La Préfecture a attribué 250 masques de protection par agence funéraire. Pour la direction de l’entreprise vénissiane, qui compte 10 salariés, « c’est suffisant pour l’instant, à condition de les garder plus longtemps que les 4 heures réglementaires. Et puis nous ne les mettons pas tout le temps car il n’y a pas une grande promiscuité dans nos locaux. En revanche, nos porteurs de cercueil, qui se retrouvent à quatre dans le même véhicule ou au milieu d’une cérémonie, sont tous munis de gants et de masques. Nous avons aussi installé une vitre en plexiglas sur l’un des bureaux, nous saluons les gens à distance, et chacun utilise son stylo personnel… »
Dans le cas où le défunt était porteur du virus (et même en cas de suspicion, en fait), la mise en bière doit intervenir dans les 24 heures suivant le constat de décès par le médecin. Il n’y a donc pas de présentation en chambre funéraire. Les préparateurs n’étant pas équipés du matériel de protection contre le virus (combinaisons, masques et gants chirurgicaux, charlottes et surchaussures…), la toilette et la préparation du défunt par un thanatopracteur ne sont plus réalisées, alors qu’en temps normal 25% des décès donnent lieu à l’intervention d’un de ces techniciens. La personne est donc placée dans le cercueil telle qu’elle était lors de son décès, souvent en chemise d’hôpital. « C’est très difficile à vivre pour les familles, qui le vivent comme un manque de respect, déplore Alexandre Durin. C’est dur pour nous aussi, car on ne peut pas accompagner les familles comme on le voudrait, et l’humanité de notre profession en prend un coup. »
Enfin, pour éviter les rassemblements, les gens n’ont plus le droit d’assister à l’incinération. Les crématoriums sont d’ailleurs fermés au public. C’est pour cela qu’on n’a plus le choix du cercueil, qui n’est plus exposé avant la crémation. De même, le nombre de personnes présentes à l’inhumation au cimetière est limité à 15 ou 20 personnes. Le diocèse vient d’autoriser les cérémonie dans les églises mais avec les mêmes contraintes. « Le départ d’un proche est toujours difficile, mais en ce moment, c’est vraiment une épreuve, conclu Alexandre Durin. Je trouve les gens remarquablement compréhensifs, mais on a tous hâte que cet épisode prenne fin. »
François Toulat-Brisson
Et du côté de la communauté musulmane ?
Pour les musulmans, « on inhume une personne là ou son cordon ombilical est tombé », c’est-à-dire sur sa terre natale. Avec la crise sanitaire actuelle, les proches ne peuvent plus accompagner le défunt, et si le décès est lié au Covid-19 le rapatriement est impossible, ce qui est vécu comme un double deuil.
Si le décès est survenu sans que le coronavirus soit en cause, le transfert vers le Maroc, l’Algérie ou la Tunisie suit la procédure classique, en ajoutant un certificat de décès avec mention de non-épidémie aux documents habituels. « Mais, en raison de la situation sanitaire que nous traversons, on ne peut plus accompagner le défunt dans son pays d’origine, explique Fatima Mellouki, responsable d’Eden, entreprise de pompes funèbres musulmanes bien connue à Vénissieux. Les pays du Maghreb ont bloqué leurs frontières, on a affaire à une situation exceptionnelle ». Le corps voyage donc seul et doit être réceptionné à l’aéroport ou au port de destination par un proche ou un membre de la famille.
Des contraintes que confirme Amar Chebel, responsable de l’ACAEL, l’une des trois associations vénissianes qui proposent un soutien au rapatriement des défunts, via une convention obsèques. « D’habitude, nous accompagnons le défunt de la mise en bière jusqu’à son départ. Pour l’instant, plus question de veillées collectives à cause des risques de contagion, et on doit présenter ses condoléances par téléphone. C’est difficile à accepter, mais il faut respecter ces mesures, et les familles comprennent que la situation est exceptionnelle ».
En revanche, si le défunt a été victime du coronavirus, la situation devient plus douloureuse pour les familles, obligées de l’enterrer en France. Cette impossibilité de rapatrier le défunt sur sa terre d’origine est vécue comme un double deuil par les familles.
« Les habitudes et les coutumes sont chamboulées pour tout le monde, convient Fatima Mellouki, et il faut que nous soyons tous soucieux de respecter les consignes gouvernementales ». Selon Amar Chebel, « la communauté musulmane se montre disciplinée. D’ailleurs, les autorités religieuses avaient anticipé le confinement demandé par le président de la République et ordonné, deux jours avant la date officielle, la fermeture des lieux de cultes et des mosquées. C’est une obligation qu’il faut accepter pour le bien de tous, rester chez soi, ne pas prendre de risques inutiles ».
Djamel Younsi