L’Anneau des Sciences suscite aujourd’hui bien des débats. Ce tronçon autoroutier, censé boucler dans un avenir plus ou moins lointain le boulevard périphérique, n’est que l’ultime étape d’une histoire qui commença il y a… cent ans !
Il n’y avait autrefois que des champs. Et puis, les usines sont arrivées, les habitants par milliers, les maisons de tous côtés. Dans un long mouvement entamé depuis le Moyen Âge, Lyon a poussé vers l’est, dépassant Saint-Jean pour mordre sur la Presqu’île, puis les Brotteaux et maintenant la plaine du Velin, à la frontière des départements du Rhône et de l’Isère. Résultat, les villages d’antan sont devenus des villes : en 1921, Villeurbanne atteint 56 000 habitants, Bron 6 400, Vénissieux 8 000. En haut lieu, l’on s’inquiète d’une si soudaine poussée : la banlieue « se développe avec une extrême rapidité, mais avec malheureusement peu de méthode ». Il faut d’urgence apporter un peu d’ordre à cette croissance spontanée. La solution ? Imiter les grandes villes européennes. Comme Vienne, la capitale de l’Autriche, dont rêvent les urbanistes. Dès le XIXe siècle, les remparts qui la corsetaient sont abattus et remplacés par un grand boulevard orné de monuments somptueux : le « Ring » – l’anneau, en allemand. Dont acte, l’on fera donc de même autour de Lyon. Reprenant une idée émise depuis 1920 par les communes concernées, le Conseil général du Rhône décide le 10 mai 1928, de raser le rempart courant de Villeurbanne à Saint-Fons, érigé dans les années 1880 et désormais inutile, pour aménager à sa place un « boulevard de Ceinture ». Il reliera toutes les voies de pénétration à Lyon, améliorera la circulation, et assurera ainsi un développement rationnel de la banlieue « qui, sans cela, risquerait de se finir d’une façon moins ordonnée ».
13 788 m de long
À Vénissieux, élus et population voient d’abord ce projet d’un bon œil. Pour la municipalité, « l’ouverture d’un boulevard de ceinture semble à tous égards, [la solution] la plus rationnelle et la plus conforme à l’intérêt public ». Mais son ampleur inquiète aussi. L’avenue doit aller du parc de la Tête d’Or jusqu’au futur port de Gerland et faire 13 788 mètres de long, tandis que sa largeur atteindra 55 mètres en traversant Vénissieux. Pour accroître sa monumentalité, de grands espaces verts seront disposés à l’emplacement des anciens bastions des fortifications et aux principaux carrefours : il y en aura deux à Parilly, où se trouvera aussi un rond-point gigantesque, de 120 mètres de diamètre. Les véhicules – voitures et chevaux confondus – circuleront sur deux chaussées séparées par une bande de 21 mètres de large, sur laquelle les ingénieurs prévoient d’installer des jardins, des arbres, des massifs de fleurs et même… des terrains de jeux pour les enfants. Et puis, l’on consacrera une zone de 100 mètres de large de chaque côté de la chaussée, pour mieux la dégager. La municipalité comprend très vite les conséquences négatives de l’aménagement : il entraînera la destruction de bon nombre de maisons. À Parilly, l’on voit rouge. Les habitations du quartier viennent à peine de sortir de terre que, déjà, leurs propriétaires, pour la plupart ouvriers, employés ou petits commerçants, vont en être chassés. Comme Monsieur Lamotte, « sculpteur statuaire qui a construit il y a 30 ans un atelier à l’effet d’y exercer sa profession » et qui, bientôt privé d’atelier, ne pourra plus créer ses œuvres d’art. Aussi, dès 1930 et 1931, la municipalité et un comité de riverains se dressent contre « l’établissement des squares et jardins par trop somptuaires, prévus sur cette voie ».
À la main, à la pioche
Peine perdue. Habitant les Terreaux, Monsieur Traeger et Madame Della Bella sont les premiers à vendre leur terrain, dès 1929. Puis vient le temps des expropriations. Elles se succèdent, nombreuses, jusqu’en 1934. Les travaux quant à eux, commencent à partir de novembre 1931, sans même attendre la fin des acquisitions. La grave crise économique entraînée par le krach boursier du « jeudi noir » ayant mis sur la paille des bataillons de chômeurs, le Conseil général favorise l’embauche de terrassiers plutôt que l’utilisation de pelles mécaniques. C’est donc à coups de wagonnets, de charrettes à chevaux et de mains d’hommes que se construit le boulevard de ceinture ! En 1933, ils sont ainsi 319 ouvriers à besogner sur le chantier. Au-dessus de Parilly, le fameux virage de la Femme-Morte les voit en train de creuser à la pelle et à la pioche, les grandes saignées qu’empruntent aujourd’hui les automobilistes. En 1938, le président du Conseil général, Laurent Bonnevay, peut contempler son œuvre à présent partiellement ouverte à la circulation. Si les jardins d’enfants ont été remisés aux oubliettes, les rubans des chaussées, les squares démesurés et la procession de platanes se déroulant depuis le pont Poincaré jusqu’à la route de Vienne, marquent désormais le paysage de l’Est-Lyonnais. La presse se presse pour vanter la réussite de ce ring rhodanien, sur lequel l’on multiplie les compétitions sportives : une course de motos en 1937, des courses du Championnat de France automobile en 1947, et même des Grands Prix cyclistes pendant et après-guerre ! Quant au nom de Laurent Bonnevay, il fut donné au boulevard dont il était le père en 1960, trois ans après son décès. Et au moins 60 ans avant que l’on décide, peut-être, de boucler la Ceinture.
Sources : Archives de Vénissieux, délibérations municipales (1927-1960). Archives du Rhône, 694 W 330 à 341. Archives de Villeurbanne, 3 C 67 (Lyon-Républicain, 1937-1943). www.geoportail.gouv.fr (vue aérienne de Vénissieux, 1938). www.gallica.bnf.fr (Le Journal 15/6/1943, L’auto-vélo 11/6/1944). Journal Le Progrès, septembre 1947.
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