Elle est tenace, Valérie Portheret, et il lui importe vraiment que l’histoire du sauvetage des 108 enfants juifs du camp de Vénissieux, en août 1942, soit connue du plus grand nombre. Après deux livres (Le Sauvetage des enfants juifs de Vénissieux, en 2002 et, dix ans plus tard, Lyon contre Vichy), l’historienne publie chez XO Vous n’aurez pas les enfants, version « plus grand public » du même récit. Plus grand public parce que Valérie a consacré près de vingt ans de sa vie à retrouver les protagonistes de cette grande page d’histoire, sauveteurs et enfants sauvés, allant les interviewer un peu partout en France, jusqu’en Israël et aux États-Unis. Délaissant la distance que peut prendre un historien avec son sujet, Valérie choisit de retracer avec beaucoup d’émotion les principales péripéties du sauvetage, s’attardant sur les histoires personnelles.
Son travail a été depuis longtemps salué par Serge Klarsfeld, le grand historien de la Shoah, mais aussi par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Tous deux ont préfacé Vous n’aurez pas les enfants et tous deux étaient présents au colloque organisé ce 12 février à Science Po Lyon, aux côtés d’autres spécialistes : les historiens Jean Solchany, Tal Bruttman et Jacques Semelin.
« Un travail remarquable »
Si Serge Klarsfeld note une fois de plus « le travail remarquable accompli par Valérie Portheret » avant de décrire les convois de la déportation et les actes de solidarité, Boris Cyrulnik évoque les examens psychiatriques des inculpés du procès de Nuremberg, publiés chez Penguin Press. « Rudolf Höss — ndlr, commandant des camps d’extermination d’Auschwitz-Birkenau — y raconte que ses plus belles années se sont passées à Auschwitz. Son seul problème était de se débarrasser des corps. Les Juifs, ne sont plus des humains pour lui. Son discours est cohérent et logique, coupé de la réalité. » Un peu plus tard, parlant des fonctionnaires d’État sous l’occupation, Boris Cyrulnik ajoute : « La majorité des préfets ont devancé les ordres qu’ils espéraient recevoir. Ils ont anticipé. La soumission permet le crime sans aucune culpabilité. Elle est un excellent tranquillisant qui empêche de penser et, donc, stoppe l’angoisse. »
Malgré tout, et le livre de Valérie Portheret est une pierre de plus à l’édifice, il convient de ne pas désespérer de l’ensemble des Français. À propos de la rafle du Vel’ d’Hiv’, Jacques Semelin apprécierait « qu’on mentionne la réaction des Parisiens » qui, pour beaucoup, ont tenté de sauver des Juifs. Président régional de l’association « Les fils et filles des déportés juifs de France » (FFDJF), Jean Lévy précise : « 75 % des Juifs ont survécu et, dans notre région, le chiffre monte à 86 %. Avec des actions telles que celle qui s’est déroulée au camp de Vénissieux, l’année 1942 a été faste pour les sauvetages, si l’on peut dire. »
En soulignant l’entraide et la solidarité mises en place à Vénissieux, Valérie Portheret veut montrer que, contrairement aux théories du film de Marcel Ophuls, Le Chagrin et la pitié, et de l’ouvrage de l’Américain Robert Paxton (La France de Vichy), il n’y a pas eu en France que des collabos et des salauds.
Un sauvetage exceptionnel
Le 26 août 1942, répondant aux exigences des nazis, le gouvernement de Vichy ordonne la rafle des Juifs étrangers de la région lyonnaise. 1016 sont conduits au camp de Vénissieux, alors occupé par des travailleurs indochinois. C’est là que les internés doivent être sélectionnés suivant des critères précis édictés par Vichy. Va alors se mettre en branle une extraordinaire chaîne de solidarité, menée par l’Amitié chrétienne et d’autres organisations religieuses et laïques. 108 enfants vont pouvoir être exfiltrés du camp. Pour cela, il a fallu que leurs parents, pour les sauver, acceptent de les abandonner officiellement et de les confier à l’Amitié chrétienne. Les enfants sont ensuite dispersés dans des familles d’accueil, tandis que le cardinal Gerlier, primat des Gaules, refuse de les livrer à la police. 545 adultes seront acheminés à Drancy puis Auschwitz, où la plupart sont morts gazés.
La banalité du bien
Invité à Lyon au colloque sur l’année 1942 et préfacier du livre de Valérie Portheret, Boris Cyrulnik parle toujours avec beaucoup d’humour de sujets pourtant difficiles, qui le touchent directement et profondément. Il a lui-même, à six ans et demi, échappé à une rafle à Bordeaux, alors que ses parents étaient déportés et mouraient à Auschwitz.
Le neuropsychiatre analyse le malaise que suscite toujours l’holocauste : « Dès qu’un discours devient public, il se transforme en mythe. On met la loupe sur un segment de vérité et l’on croit alors que tous les Juifs ont été assassinés pendant la guerre. Je suis un adorateur du doute. Lors d’un débat, j’ai été agressé par Zemmour qui m’a demandé d’arrêter de parler de tout ça. Cette phrase, « Arrêtez d’en parler », je l’ai entendue dès la Libération. Le déni est un facteur de protection, qui empêche de souffrir mais aussi d’aborder le problème. »
Dans sa préface de Vous n’aurez pas les enfants, il évoque cette partie de la population « qui ne s’est pas laissé embarquer dans le flot de la haine. » Un phénomène qui, dit-il, s’est également produit en Arménie et au Rwanda et qu’il résume en ces termes forts : « la banalité du bien ».
Vous n’aurez pas les enfants de Valérie Portheret, préfacé par Serge Klarsfeld et Boris Cyrulnik, XO éditions, 18,90 euros.
1011art
23 avril 2020 à 8 h 31 min
Merci pour votre article, je vais me procurer au plus vite cet ouvrage.
En lien avec le devoir de mémoire de la Shoah, l’art peut-il être aussi un bon médiateur ?
Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série de photographies brodées intitulée » Enfant de parents » sur les camps d’internement en France pendant la seconde guerre mondiale. A découvrir sur : https://1011-art.blogspot.fr/p/enfant-de-parents.html
Vénissieux fait parti de cette série.
Mais aussi une seconde série intitulée « Lettres mortes » sur la rafle du Vel ‘hiv et l’histoire de Marie Jelen, enfant déportée. La série « Lettre morte » sur : https://1011-art.blogspot.fr/p/lettre.html
N’oublions pas aussi les camps français premier jalon vers les camps nazis ! C’est un sujet totalement méconnu, voire occulté par les français en général. L’art peut-il donner ou redonner la mémoire ?
Ces séries furent exposées à trois reprises à Chambéry en Savoie, Villard-Bonnot et à Uriage en Isère pour faire oeuvre de mémoire.
TELIAN Jean-Jacques
20 février 2020 à 20 h 47 min
BONJOUR,JE VOUS FÉLICITE À TOUS POUR VOS TRAVAUX REMARQUABLES QUE BEAUCOUP
DE VENISSIANS ONT OUBLIÉOÙ N’ONT JAMAIS CONNU.
MAIS LA VIE EST UN PERPÉTUELLE RECOMMENCEMENT.