[ Assassinées parce que femmes — Vénissieux s’engage contre les féminicides — Féminicides : ils témoignent — Une jeunesse féministe ]
« Ce sera long, mais il ne faut pas arrêter le combat »
Trois questions à Yolande Peytavin, première adjointe, en charge des droits des femmes
Quel est le bilan du partenariat signé avec l’association VIFFIL-SOS FEMMES ?
Yolande Peytavin : Nous avons construit un vrai partenariat avec cette association depuis de nombreuses années. Cette convention permet d’avoir 25 places réservées pour l’accueil de Vénissianes. De plus, nous disposons d’un logement d’urgence à Vénissieux où les femmes sont accueillies provisoirement. Elles y restent une semaine, dix jours maximum et sont accompagnées par des professionnels dès qu’elles y entrent. Il a été constaté que pour des raisons de sécurité notre logement d’urgence n’est pas toujours mobilisable. En effet, la victime doit être suffisamment éloignée de l’auteur des violences. C’est pourquoi nous avons décidé d’élargir ce partenariat avec la ville de Saint-Fons afin de mettre à disposition respective nos logements d’urgence. La mise à l’abri d’une victime dans l’un des deux logements est validée à l’issue d’une évaluation de la situation par VIFFIL et/ou de la coordinatrice sociale du commissariat du secteur. Parfois il est souhaitable que les femmes vivent en dehors de la commune : ce sont souvent des solutions trouvées en lien avec les bailleurs sociaux.
Qu’attendez-vous du Grenelle contre les violences conjugales ?
Y.P. : Les idées sont toujours bonnes. Mais il est temps de passer aux actes. En Espagne, la mise en place de bracelets d’urgence attribués aux femmes permet d’anticiper l’acte fatal. Surtout, il faut de l’argent. Quand on parle de moyens, j’inclus bien évidemment les fonctionnaires de police et la justice. Toute la chaîne doit se mobiliser pour que les femmes soient réellement protégées, on ne veut pas uniquement des mesurettes. On ne peut pas laisser gérer cela aux seules associations. Il faut également parler de la prévention. Pourquoi ne pas imaginer la mise en place de cours autour de la citoyenneté dans les collèges. Plus on sensibilise les jeunes, plus ce sera positif.
À ce jour, depuis le début de l’année, 132 femmes ont été assassinées…
Y.P. : C’est insupportable. Nous avons l’impression de regarder un compteur qui ne cesse de tourner. Nous savons que tous les deux ou trois jours une femme va mourir. La campagne médiatique qui a lieu actuellement est bénéfique, car tout le monde est désormais informé. On ne peut pas dire que l’on ne savait pas. Ce sera long, mais il ne faut pas céder, et surtout ne pas arrêter le combat.
CABV : informer pour mieux prévenirIl y a deux ans, Corinne Romeu, la directrice du Centre associatif Boris-Vian (CABV) décidait d’inviter des femmes à assister au film « Jusqu’à la garde », qui traite des violences conjugales. La maison de quartier Darnaise, les associations Be foot et Oyenga Simy Flo étaient également partenaires de l’opération. Depuis, le CABV organise des ateliers pour les femmes et pour les professionnels. Y participent des membres du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), du commissariat, du CCAS, de l’association Viffil. « Un véritable réseau s’est créé, explique Marion, chargée de projet au CABV. Et il fonctionne très bien. On a poursuivi cette action en créant des rencontres avec les centres sociaux de Parilly et du Moulin-à-Vent dans le même esprit. Pour nous, il est important que les femmes soient informées, victimes ou non. On souhaite travailler en 2020 avec le centre social des Minguettes et à Max-Barel. » En parallèle, un groupe de femmes s’est constitué à la maison de quartier Darnaise, pour écrire et réaliser un court-métrage « témoignage ». L’objectif est de toucher un public plus large, mais aussi de multiplier les points d’écoute. « Une femme qui subit des violences peut désormais en parler aux professionnels du CABV, des centres sociaux de Parilly et du Moulin à-Vent. On saura l’écouter, voir ce dont elle a besoin et l’orienter vers des professionnels. » |
Filactions mise sur la préventionPartie prenante dans l’organisation de la marche du 23 novembre contre les violences faites aux femmes, l’association Filactions intervient à Vénissieux depuis de nombreuses années. « C’est la première ville qui nous a fait confiance, confirme Marion Ghibaudo, chargée de prévention et de formation. On y a notamment fait de nombreuses interventions dans les collèges et les lycées. » |
Un binôme salvateur dans les murs du commissariat
Accueil des victimes – Une psychologue accompagne désormais les victimes de violences qui pouvaient déjà compter sur la présence d’une coordinatrice sociale pour les soutenir dans leurs démarches.
Laurie Saint-Peron, psychologue clinicienne, est en poste au commissariat de Vénissieux depuis le 2 septembre. « Il s’agit d’une création de poste au niveau national dans chaque quartier de reconquête républicaine. Je suis là pour accompagner et soutenir toute personne qui fait face à une situation traumatique en lien avec la police. » Un poste qui vient compléter le travail exigeant accompli depuis plus de dix ans par Carine Burnichon, coordinatrice sociale qui accueille, écoute, informe et oriente les victimes — et parfois les auteurs — d’agressions, de troubles du voisinage, etc. « Nous sommes présentes pour recevoir toute personne traumatisée afin de faciliter ses démarches à un instant T. »
Dans les faits, les deux professionnelles reçoivent surtout des femmes victimes de violences intra-familliales. « Mon poste s’est recentré sur ce type de violences depuis quelques années déjà, confirme Carine Burnichon. Je peux recevoir jusqu’à quatre ou cinq femmes par jour, que j’aide aussi à gérer l’après, le divorce, les contentieux, la garde des enfants. »
La présence des deux femmes facilite la libération de la parole pour des femmes qui vivent au quotidien des violences physiques, psychologiques, économiques, mais le dépôt de plainte est toujours une étape particulièrement difficile à franchir. « Notre rôle n’est pas de dire à ces femmes ce qu’elles doivent faire, confirme Laurie Saint-Peron. Il faut juste qu’elles sachent que nous serons là quand elles se sentiront prêtes. » « On écoute les femmes mais on ne les juge pas, poursuit Carine Burnichon. Elles sont déjà tellement dans la culpabilité… Le conjoint les tient souvent par la peur, une peur de mourir qui les paralyse. À nous de leur faire prendre conscience du danger. »
Manque de moyens, lenteur de la justice, une fois la plainte déposée, c’est un véritable parcours du combattant qui attend les victimes. « C’est délicat d’expliquer à ces femmes en souffrance qu’elles vont encore devoir traverser des choses difficiles, reconnaît la psychologue. On leur explique que ça va prendre du temps mais que nous avons confiance en elles et qu’elles vont s’en sortir. »
Et quid du retrait de plainte ? « L’enquête continue malgré tout, précise Carine Burnichon. J’explique toujours aux femmes que je reçois les conséquences juridiques du retrait de plainte, que le conjoint peut notamment utiliser pour obtenir la garde des enfants en cas de divorce. Il faut aussi savoir que les mains courantes sans suite n’existent plus, l’auteur des faits est forcément convoqué. Et il peut très bien être condamné malgré l’absence de dépôt plainte de la victime. »
Encore en période de rodage, les deux femmes, qui ne reçoivent que les personnes qui en font la demande, reconnaissent la complémentarité de leur mission. « Notre travail facilite beaucoup de choses et permet une vraie collaboration avec la police dans l’intérêt de la victime », constate Laurie Saint-Peron. « Les femmes victimes de violences sont en colère, il faut qu’elles parlent pour que nous les entendions, insiste Carine Burnichon. Nous sommes les petits maillons d’une chaîne au bout de laquelle il y a la liberté. »
Il est possible de prendre directement contact avec la coordinatrice sociale et la psychologue en appelant le 04 72 50 04 76.
Dossier réalisé par Michèle Feuillet et Perrine Plateau