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Alix et André: « Pendant sept ans, nous n’avons rien vu »
Alix et André, les parents d’Émilie ne savaient rien des violences subies par leur fille. Jusqu’à ce jour où l’hôpital les a contactés.
Émilie* a 36 ans aujourd’hui. Cette maman de trois enfants, deux filles de 8 et 3 ans, et un fils de 6 ans, a vécu l’enfer pendant sept ans. « Et nous n’avons rien vu » racontent André et Alix, ses parents, qui habitent au Moulin-à-Vent. « Notre ex-gendre a bien caché son jeu, toujours très agréable avec nous. Émilie semblait parfois distante mais jamais nous n’aurions pu imaginer ce qu’elle vivait. On n’a jamais aperçu la moindre trace, le moindre bleu. » Jusqu’à ce 6 avril 2017 au soir. « Il était 20 h 30, nous avons reçu un coup de fil de la police. Notre fille avait été admise dans un service d’urgence pour violences conjugales. Son mari, emmené par la police. Les trois enfants traumatisés chez les voisins, ils ne comprenaient pas pourquoi papa avait voulu tuer maman. »
La honte et l’emprise
Les médecins prescrivent huit jours d’ITT à Émilie. Sa plainte a été prise à l’hôpital. « Jamais nous n’oublierons son désarroi sur ce lit, le regard vide et triste ».
Petit à petit, Émilie a pu se confier à ses parents. Raconter la domination psychologique qu’elle subissait, les premiers coups, puis la violence qui s’installe. « Elle était sous l’emprise de notre gendre, il la culpabilisait, la manipulait. Elle a eu peur pendant des années quand il rentrait le soir. Il y avait toujours un élément déclencheur très anodin : un plat trop froid, les enfants qui font trop de bruit. Elle avait honte d’être frappée. Les violences ont redoublé quand elle a décidé de le quitter. Notre fille aurait pu faire partie des victimes dont on égrène les prénoms tous les trois jours. »
Émilie a pu reprendre son travail après un arrêt de trois mois. « Elle a vécu chez nous pendant plus de six mois avec ses enfants. Mais la peur est toujours là. Notre ex-gendre a été condamné à de la prison avec sursis avec interdiction de s’approcher de notre fille. Mais il a gardé son autorité parentale, ce que nous regrettons. Un père qui frappe sa femme ne peut pas être un bon père. »
Depuis, André et Alix se mobilisent. « Nous nous battrons jusqu’à notre dernier souffle. » Ils seront présents à la marche à Lyon le 23 novembre, et ont participé aux rassemblements contre les féminicides organisés pendant le Grenelle (voir ci-contre).
Leurs questions sont nombreuses et restent pour l’instant sans réponse : « Pourquoi n’avons-nous rien vu ? Comment nos petits enfants vont-ils grandir en ayant été témoins de telles horreurs ? Si notre fille n’était pas venue chez nous avec ses enfants, où serait-elle allée ? Pourquoi les hommes violents ne sont-ils pas obligés de se soigner ? Qui nous dit que notre ex-gendre ne recommencera pas ? Le Grenelle, ce sont de bonnes intentions mais il faut des moyens financiers pour que nos filles, nos mères, nos sœurs, nos amies soient protégées. »
Aujourd’hui Émilie a divorcé, elle a la garde exclusive de ses enfants, qui sont toujours suivis par un pédopsychiatre. « Ils ne veulent pas laisser leur maman, ils ont peur pour elle. Ils sont en souci constant. L’aînée pense encore qu’elle aurait dû la défendre. »
* Tous les prénoms ont été changés
Les enfants, ces autres victimes
Lors de son allocution pour le lancement du Grenelle, Édouard Philippe, le Premier ministre, rappelait que dans « 80 % des cas, les violences faites aux femmes et les violences faites aux enfants sont liées ». Dans le pire des cas, les enfants deviennent orphelins ou sont assassinés. En 2018, 21 enfants ont été tués dans le cadre de violences familiales.
Tout peut commencer in utero. Il est nécessaire d’agir avant la naissance comme le rappelle si justement Boris Cyrulnick, neuropsychiatre, en insistant sur l’enfant à naître : « Il est à protéger des violences et des agressions extérieures, la période prénatale étant une étape cruciale de la construction psychologique du tout-petit, le bien-être de la future maman est essentiel. Or c’est souvent à l’occasion de la première grossesse que se déploient les premières violences conjugales. Certains bébés naissent avec le poids de ce traumatisme ».
Des spécialistes réunis à Lyon en mars dernier, lors de la première journée inter-institutionnelle de sensibilisation consacrée aux enfants co-victimes, expliquaient qu’ « un enfant exposé à la violence dans le couple développe un véritable état de stress post-traumatique : il vit dans un climat de terreur, a peur de perdre sa figure d’attachement, a une sensation de mort imminente. Les conséquences des violences sont multiples : difficultés de concentration et d’attention, troubles du sommeil et de l’alimentation… ».
Au sein des couples séparés qui se partagent la garde, l’échange des enfants est souvent le moment où l’auteur de violences peut passer à l’acte. Il arrive qu’un juge aux affaires familiales (JAF) décide que le parent violent conserve un droit de visite ou la garde alternée. Même « si le père a interdiction de voir la victime dans le cadre de l’ordonnance de protection, qui vise à protéger les femmes victimes de violence avant ou après un dépôt de plainte, que l’agresseur ait été condamné ou pas ».
Dossier réalisé par Michèle Feuillet et Perrine Plateau