En novembre 2017, le cabinet médical qui jouxte la pharmacie de la Darnaise a baissé le rideau. Mais alors que la médecine de ville peine à satisfaire les besoins des patients, les locaux sont loués depuis janvier 2018 par un médecin gériatre… qui n’y exerce aucune activité.
« Je n’ai trouvé aucun médecin qui accepte de se déplacer à domicile. Ils disent tous qu’ils sont surchargés et qu’ils ne prennent pas de nouveaux patients, se désole Maurice*. À 70 ans largement passés, cet habitant de la Darnaise a été rattrapé il y a deux ans par la maladie de Charcot, une pathologie musculaire neurodégénérative irréversible. Il se déplace désormais — péniblement — avec un déambulateur, et supporte difficilement les voyages en voiture en raison de ses problèmes pulmonaires. C’est sa femme qui se rend à la plupart des consultations médicales nécessaires à la poursuite de son traitement. « Avant, il nous suffisait d’aller au cabinet médical situé à quelques mètres. Mais le généraliste a déménagé, et le cabinet a été repris début 2018 par un médecin qui n’y exerce aucune activité, soupire-t-elle. Ce médecin nous prend en otage, c’est incompréhensible. »
Ce médecin, c’est le docteur T., gériatre de profession, qui loue les locaux au bailleur Grand Lyon Habitat depuis mi-janvier 2018. Dans la pharmacie qui jouxte le cabinet, on ne décolère pas. « Lorsque le bail a été signé il y a un an et demi, le cabinet était fermé depuis deux mois et tout le monde dans le quartier s’en est réjoui, se souvient Victor Tchibozo, le gérant. Le précédent médecin avait une grosse patientèle avec notamment des personnes âgées, des mamans avec plusieurs enfants… Et comme il est très difficile de trouver un nouveau généraliste, ils sont souvent obligés de passer d’un praticien à l’autre ou d’aller aux urgences. » Safa, l’une des deux préparatrices, confirme : « Les médecins du quartier sont parfois difficilement joignables, même pour une simple question sur un dosage. Un de mes clients est arrivé un matin à 6 heures chez l’un d’eux, il y a passé toute la matinée. Pour les personnes âgées, c’est très compliqué ». Et comme nous avons pu le constater en passant un peu de temps dans l’officine, de tels témoignages sont légion dans le quartier. « Avant on avait tout sur place ; maintenant il faut aller à Tataouine », s’agace Abdallah, âgé de 82 ans dont une quarantaine passée à la Darnaise.
Une pétition de 500 signatures
Nous avons pu joindre le docteur T. au téléphone, mais il n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Si je n’ouvre pas c’est qu’il y a une raison », nous a-t-il simplement indiqué, avant de lâcher pour couper court à la conversation : « Je suis médecin, je travaille ». Dommage. Il aurait pu nous expliquer notamment pourquoi il s’est « installé » à la place d’un généraliste… qu’il ne peut en fait pas remplacer. Car le diplôme de gériatre du docteur T. — d’après un courrier adressé à Victor Tchibozo par le conseil de l’ordre des Médecins — ne lui permet pas d’exercer en tant que généraliste. Ce qui fait bondir Hatim Basma, représentant des locataires de Grand Lyon Habitat (GLH) à la Darnaise : « Le quartier n’a pas besoin de gériatres, mais de médecins généralistes. Et ceux qui sont en poste ne prennent plus de nouveaux patients, déplore-t-il. Or ce local était fait pour cela, et d’autres médecins attendent que la place se libère. Si le docteur T. ne peut pas exercer, qu’il laisse sa place ! ». Et de mettre en avant une pétition exigeant l’arrivée d’un nouveau médecin généraliste, signée par près de 500 personnes. Contacté, GLH n’a pas répondu à nos sollicitations, évoquant « un souci de confidentialité et d’engagement vis-à-vis de nos locataires » et nous renvoyant vers le principal intéressé.
Nous avons donc exposé la situation à l’Agence régionale de santé, responsable de l’application de la politique de santé de l’État. « Un médecin libéral est en droit de ne pas exercer s’il en a envie. Il bénéficie de la liberté totale d’installation et d’exercice, nous a-t-on répondu. Avant de préciser que Vénissieux n’est pas classée dans les déserts médicaux : « On estime que la ville comporte suffisamment de médecins pour répondre à la demande des habitants ». Puis d’évoquer la difficulté des successions entre praticiens : « Lorsqu’un médecin part à la retraite, il faudrait pouvoir le remplacer par un médecin et demi, voire par deux, car les nouveaux n’acceptent plus de travailler 65 heures par semaine. Ils veulent se limiter à 35 ou 45, pas plus ».
La situation semble donc bloquée, suspendue en tout cas au bon vouloir du docteur T.
* le prénom a été changé