Les acteurs directs de la Seconde Guerre mondiale sont de moins en moins nombreux. Recueillir leurs témoignages est devenu exceptionnel, mais Vénissieux a la chance de compter un couple de « perles rares » parmi ses habitants : Norbert Perrier a fêté son 94e anniversaire le 10 juin et Ginette soufflera ses 93 bougies en octobre. Mariés depuis janvier 1945, ils n’ont rien perdu de leurs engagements de jeunes Résistants.
Grand bonhomme élégant et volubile, Norbert est né dans une famille cheminote de Grigny. En mai 1941, il est embauché à la Faïencerie nouvelle de Givors. « Beaucoup de jeunes filles des cités voisines y travaillaient, mais j’en ai remarqué une en particulier. » Ginette, qu’il épousera quelques années plus tard, était en effet remarquable à de nombreux égards, comme on le verra plus tard…
Saboteur…
En attendant, en mai 1943, Norbert entre chez Fives-Lille, à Givors, une entreprise de mécanique qui fabrique des pièces pour l’armée allemande. Il y rencontre Charles Gambotti, responsable des Forces unies des jeunesses patriotes, et adhère à la CGT clandestine. « Il faut croire que nous étions très maladroits, c’est fou le nombre de pièces ou de moteurs qui tombaient malencontreusement par terre et se détérioraient », ironise Norbert. En juin, il intègre les FTP de Givors. Il rédige et distribue des tracts et des journaux anti-Allemands. « J’ai agi par patriotisme, les Allemands étaient tellement durs. »
… et déserteur.
En octobre 1943, ignorant encore ses engagements, le gouvernement de Vichy le mobilise dans une unité de la DCA (Défense contre avions) basée dans l’Indre. « Je m’y suis présenté, j’ai pris mon paquetage et un fusil, et j’ai déserté. » Recherché, il se planque un mois chez une tante, dans la Drôme. « Avant de rejoindre un maquis en Corrèze, j’ai voulu dire au revoir à mes parents, à Grigny. Une voisine m’a dénoncé aux gendarmes, qui sont venus me cueillir le matin. » Incarcéré à Limoges, il tente de s’évader en sautant d’une fenêtre. Repris, il est transféré à la prison militaire de Clermont-Ferrand, puis en Dordogne. En mars 1944, il est condamné à… quatre mois de prison, avec sursis ! « Il y avait des gens à nous parmi les juges, et ça commençait à sentir le roussi pour les nazis. »
Les combats de la Libération.
Le 25 mars, il est de retour à Grigny, « ça a surpris la voisine ». Quatre jours après, il « réquisitionne » armes à la mains des tickets d’alimentation à la mairie de Millery pour approvisionner les Résistants isolés. Un mois plus tard il fait sauter un pylône électrique à Communay avec les FTP de Saint-Cyr-sur-Rhône. Au printemps 1944, le groupe multiplie les sabotages de voies ferrées, ce qui retarde de plusieurs jours l’envoi de renforts allemands en Normandie. En août, il harcèle les colonnes de la Werhmacht remontant la vallée du Rhône après le débarquement allié en Provence, et participe à la libération de Vienne, Givors, Grigny et Lyon. Après-guerre, il entre chez Berliet puis à la SNCF, où il aura d’importantes responsabilités syndicales. « Mais surtout, le 27 janvier 1945, Ginette et moi nous nous sommes dit oui. »
Les Desseux, une famille engagée
« J’ai cru que tu n’allais jamais en parler », l’interrompt son épouse. Fluette et énergique, Ginette commence à travailler à 14 ans à la Faïencerie de Givors. Son père, Marcel Desseux, est mécanicien à la SNCF à Grigny, et militant communiste et cégétiste actif. Il cache des armes chez lui et des clandestins dans le tender à charbon de sa loco, pour leur faire passer la ligne de démarcation. Dès 1942, son fils Marcel Francisque (18 ans) et sa fille Ginette (16 ans) s’impliquent aussi. Leur mère, gravement malade, ignore tout de leurs agissements.
Une réputation sulfureuse
« Je faisais plus jeune que mon âge, raconte Ginette. C’était pratique car les Allemands ne soupçonnaient pas les fillettes de sabotage ! » Pourtant, c’est bien cette gamine, « nom de code Nenette ! », qui verse du sable dans les boîtes d’essieux des wagons en partance pour l’Allemagne, qui transporte des messages dans son chemisier, qui plastique la vitrine d’un épicier collabo, qui participe au dynamitage d’un pont de la ligne Paray-Givors, qui fait le guet lors de réunions clandestines… « Pour ne pas éveiller les soupçons, on simulait un rendez-vous amoureux. Comme c’était pas toujours le même gars, j’ai hérité d’une sale réputation auprès des filles du quartier… »
La certitude de la Victoire
Lorsque son père prend le maquis, gendarmes et miliciens viennent interroger Ginette dans l’appartement où sa mère est alitée. « Pour me faire craquer, deux me criaient un flot incessant de questions pendant qu’un autre claquait violemment les tiroirs du vaisselier. Au bout d’un moment, je piquais une crise de nerfs, ils foutaient le camp, ils avaient peur que mon père débarque. »
Près de 80 ans plus tard, Norbert et Ginette expliquent leur engagement d’alors par un mélange détonnant : « les valeurs de nos familles respectives, l’insouciance de la jeunesse, la haine de l’occupant et de ses complices, et la certitude de notre victoire et du retour des beaux jours ».
Merci à Joëlle Constantin d’avoir permis cet entretien avec ses parents Ginette et Norbert Perrier et de nous avoir confié des photos, et merci à Patrick Arnal, de l’Institut d’histoire sociale CGT des cheminots de Lyon, pour le travail accompli sur la biographie des Résistants de la SNCF de la région lyonnaise.