Fuyant la misère, le rejet et la guerre, une soixantaine de Doms de Syrie ont échoué à Vénissieux, où la solidarité locale ne suffit plus à compenser les carences de l’État dans l’accueil des migrants.
Depuis quelques mois, vers la gare, sur le plateau des Minguettes ou près des Portes du Sud, seules ou en petit groupe, des personnes se tiennent devant les feux de signalisation, un panneau en carton « famille syrienne » dans une main et un passeport dans l’autre. Souvent accompagnés de jeunes enfants, ils pratiquent une mendicité faisant appel à la compassion pour le drame des exilés, chassés de Syrie par un conflit meurtrier.
« Sont-ils vraiment Syriens ? » est la première question que se posent nombre de Vénissians. La réponse est oui. Leurs passeports syriens sont authentiques. Issues de la minorité Dom de Syrie, cette soixantaine de personnes a erré du Moyen-Orient à l’Europe via l’Afrique du Nord parfois (voir ci-dessous). Menant une existence nomade ou sédentarisée, presque partout traités en parias, ils ont « atterri » chez nous en fuyant la misère et la guerre.
Un soutien qui s’effrite
Au début, ils ont bénéficié d’une solidarité quasi unanime des habitants et des commerçants des Minguettes. Avec le temps, ce soutien s’effrite. Le spectacle quotidien de la mendicité fait naître une certaine lassitude chez les habitants, voire l’exaspération des forains du marché. De plus, des problèmes d’hygiène évidents se posent, pour les principaux concernés comme pour leurs voisins. À la mairie, on explique que de plus en plus de bailleurs et de riverains se plaignent désormais d’incursions dans les parties communes des immeubles et dans les jardins privés, voire de tentatives de squat dans des maisons ou des appartements. « Trouver quelqu’un en train de faire ses besoins dans un buisson ou d’essayer d’occuper un logement inoccupé, c’est pénible, mais à leur place, qu’est-ce qu’on ferait, sinon chercher de quoi abriter les nôtres ? », interrogent les bénévoles vénissians du Réseau éducation sans frontières…
Pas de solution pérenne
« S’ils ne sont pas accueillis correctement, ils vont finir par être livrés à la vindicte des riverains, craint Michèle Picard, maire de Vénissieux. Or, ce n’est pas à la commune de gérer cette situation, c’est à l’État d’agir puisqu’il est responsable de l’hébergement des demandeurs d’asile. » Le 9 avril, le maire a obtenu une réunion en préfecture, avec les représentants des services de l’État (office de l’immigration, police de l’air et des frontières, sécurité publique, cohésion sociale…) et d’autres acteurs concernés, tels que les bailleurs sociaux.
« Ce qui en ressort, c’est l’impression que l’État n’a pas de moyens, pas de solution, déplore l’élue. On nous propose de poursuivre le travail commun entre police nationale et police municipale pour éviter les intrusions et décourager la mendicité, mais on ne propose pas de solution pérenne d’hébergement ». Avec 95 000 places pour 142 000 demandeurs d’asile, le dispositif national d’accueil est saturé. Moins de la moitié des personnes ayant fait une première demande en bénéficient. « Sur ce dossier-là aussi, l’État est pris en défaut, constate Michèle Picard. Pour autant, est-ce aux Vénissians de remédier à ses carences ? »
Il y a encore quelques jours, Rami et Adela* vivaient avec leurs trois enfants sur un parking du quartier Pyramide, dans une vieille voiture. « Au début tout se passait bien, les gens nous apportaient à manger, des vêtements, nous accueillaient même pour qu’on puisse se doucher. » Quand d’autres familles les rejoignent, la situation prend une autre tournure. Excédés par les problèmes d’hygiène et par des tentatives d’intrusion dans des propriétés privées, des riverains se plaignent à la mairie et à la police. « Les policiers sont venus souvent, après ça. Ils vérifiaient les passeports, notaient des choses et nous demandaient de partir. » Depuis le début du mois de ramadan, la famille sous-loue un appartement à Vaulx-en-Velin. « Après, on verra ». Le périple de Rami et Adela a commencé il y a plus de cinq ans en Syrie. Paysans près d’Alep, leur maison est détruite dans les combats entre rebelles et armée loyaliste, lors de la bataille la plus sanglante de la guerre civile syrienne (entre 2012 et 2016, elle aurait causé la mort d’au moins 21 500 civils, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme). En 2014, la famille s’enfuit vers le Liban puis en Algérie, où naît leur premier enfant, un garçon. Deux ans plus tard, ils s’installent au Maroc, où leur petite fille vient au monde. Au bout de trois ans, ils partent pour la France, via l’Espagne, et font leur demande d’asile à Paris. Pourquoi la France ? « On pensait qu’on serait mieux », explique Rami. L’Office français de l’immigration et de l’intégration leur attribue une allocation pour demandeurs d’asile de 500 euros par mois, censée leur éviter de dormir dans la rue. Leur dernier enfant, une petite fille, est né en région parisienne, mais « les conditions de vie trop dures » les ont fait partir. « Ici, on a trouvé des gens pour nous aider. Mais comme on n’a pas le droit de travailler, on ne vit pas convenablement. » Le couple sollicite la générosité des fidèles à la sortie des mosquées, le vendredi. « Ce n’est pas une vie. Si la guerre s’arrête et que notre pays redevient ce qu’il était, nous rebâtirons notre maison. »
Cassandre Jeannin
* Les prénoms ont été modifiés.
Merci à Hanane, d’ASP, d’avoir assuré la traduction.