Exposés à l’amiante sur le site Berliet-RVI entre 1964 et 1996, ils demandent réparation du préjudice d’anxiété. Sur les 1 200 plaignants, 800 étaient présents ce matin à l’audience des prud’hommes, exceptionnellement délocalisée dans une grande salle de Rillieux.
« Moi, ce que j’attends, c’est que la boîte dise qu’elle a fait du mal à des gens qui ne le savaient pas. On travaillait dans un milieu pollué et on n’était pas informés. Je suis pas là pour l’argent, ce que je veux, c’est une reconnaissance. »
Comme Gilbert Girard, 65 ans, ils sont plus de 800 à avoir pris place ce mardi 12 mars dans la grande salle de l’Espace 140 de Rillieux-la-Pape. Lieu inhabituel pour un procès hors-norme, faute de place dans les locaux du tribunal des prud’hommes de la Part-Dieu. Tous ont été exposés à l’amiante à des degrés divers entre 1964 et 1996, avant que ce matériau ne soit officiellement interdit.
Sur les 1 200 salariés de Berliet-RVI ayant déposé une demande de réparation pour préjudice d’anxiété, deux sur trois ont donc fait le déplacement. Et parmi eux, un nombre considérable de personnes diminuées, soutenues par un fils ou une fille. « Ce niveau de mobilisation est déjà une grande satisfaction », observe Jean-Paul Carret, président de l’association prévenir et réparer (APER), qui s’est emparée du dossier amiante au début des années 2000.
Après treize ans de joutes judiciaires devant toutes les juridictions administratives (jusqu’au Conseil d’État), l’APER a fini par arracher en 2016 le classement amiante du site Renault Trucks de Vénissieux, ouvrant droit à des retraites anticipées. Aujourd’hui l’enjeu est différent : il s’agit de faire reconnaître l’angoisse qui taraude ceux qui ont travaillé sans protection dans un environnement amianté. Car les cancers liés à la fibre tueuse peuvent se déclarer jusqu’à 40 ans après la période d’exposition.
« Ce n’est pas l’amiante qu’on juge, mais le manque de protection »
Premier à intervenir, l’avocat des plaignants, Me Cédric de Romanet, a demandé 15 000 euros d’indemnisation par personne, s’appuyant sur la jurisprudence qui atteste que les salariés ayant inhalé de l’amiante ont une espérance de vie plus courte. Un montant supérieur à ce que les conseils des prud’hommes ont pu décider jusqu’ici. « Si nous demandons cette somme, c’est que la procédure de classement du site a été exceptionnellement longue. Beaucoup de salariés n’ont de fait pas pu bénéficier de l’allocation de cessation anticipée d’activité (ACAATA). Globalement, cela représente 18 millions d’euros. Cela peut paraître élevé, mais c’est en réalité bien peu quand on compare ce montant aux milliards d’euros de chiffre d’affaires. »
Pour le défenseur des salariés, ce n’est pas la présence d’amiante qui doit être jugée – puisque celle-ci est attestée par l’obtention du classement du site – mais le manque de protection entre 1964 et 1996, alors que la conscience du risque était déjà présente. Pas seulement pour les travailleurs de la fonderie ou du montage des autocars, les plus exposés, mais également les administratifs des « grands bureaux », les ouvriers de l’usine moteurs, les techniciens de maintenance… « On sait que l’exposition environnementale est suffisante pour contracter la maladie, a souligné le magistrat. Aucun secteur n’a été épargné, ne serait-ce que du fait du chauffage à air pulsé qui répandait la poussière d’amiante, une poussière si fine et légère qu’elle met entre 10 à 12 heures à retomber. »
Collectif contre individuel
« On compare les choux et les carottes », a rétorqué Me Élodie Bossuot-Quin, chargée de la défense des cinq sociétés mises en accusation, héritières des activités du site historique de Vénissieux : Renault Trucks, Arqqus (anciennement Renault Trucks Défense), Meritor, Fonderie Vénissieux et Iveco France.
Toute sa plaidoirie – qui aura duré deux heures ! – a consisté à déconstruire le caractère automatique et collectif de la demande du préjudice d’anxiété. « La présomption d’exposition n’est pas irréfragable, a-t-elle soutenu. À la fonderie et aux autocars, oui, on ne peut la contester, mais pas dans les autres secteurs. » La représentante des employeurs a ciblé en particulier les « grands bureaux » et l’usine moteurs, où elle estime que le risque était « quasi nul », avant de pointer « le caractère artificiel » de certaines plaintes.
Et d’ajouter : « Comme pour les maladies professionnelles et les procédures de faute inexcusable de l’employeur, il revient à chaque demandeur de faire la preuve de son préjudice. On ne peut pas se contenter de dire, comme mon confrère l’affirme, que tout a été jugé parce que le site a obtenu le classement amiante. »
Le conseil des prud’hommes rendra son délibéré le 29 octobre prochain.