En résidence à l’espace Madeleine-Lambert, l’artiste traque en compagnie de « guides » vénissians des seuils géographiques, historiques, symboliques, physiques, etc. Qu’elle photographie et sur lesquels elle écrit des textes, publiés au fur et à mesure dans Expressions.
Ce samedi 9 février au petit matin, le rendez-vous est fixé à l’angle de la rue du Moulin-à-Vent et de l’avenue de Pressensé, là où passe la limite entre Lyon et Vénissieux. Une carte de la commune grand ouverte sur ses genoux, Claire désigne le trajet de la journée, avec étape à midi à l’espace Madeleine-Lambert le temps d’un pique-nique. Devant l’étendue de la balade, certains prennent peur. Quelques-uns abandonneront en cours de route, d’autres se rallieront à la marche et beaucoup s’accorderont sur le fait que l’expérience est vivifiante. Fatigante mais enrichissante. Qu’on en juge : le matin, la promenade traverse le Moulin-à-Vent, se dirige vers le trèfle que forment les différents embranchements du périphérique devant le magasin Carrefour, longe le chantier du Puisoz, revient par Parilly et l’avenue Jules-Guesde jusqu’à la gare, avant de descendre dans cette étrange cité Coblod vouée à la destruction, dont la plupart des maisons sont murées mais où persistent, ça et là, quelques îlots habités. Puis c’est la visite de l’ancien cimetière, de ses tombes de rosiéristes et de ses jardins dédiés à ces magiciens horticoles, avant la pause à la Maison du peuple. L’après-midi sera consacrée aux Minguettes, « entre les pavillons et le plateau » explique Claire, puis l’excursion aux Grandes Terres. « Les habitants et les gens qui travaillent dans la ville m’ont proposé ces seuils », rappelle l’artiste.
Dans la troupe, des habitants, des plasticiens, un preneur de sons, une vidéaste, un urbaniste regardent, écoutent, prennent des photos, des sensations. « Le seuil, reprend Claire, est l’espace où se produisent des choses. Ce n’est ni l’entrée ni la sortie, c’est là où on confie des paroles qui ne peuvent être dites à l’intérieur. Où l’on tolère aussi ce qui ne peut l’être dedans : quand on fume sa clope, on le fait à la porte. »
Chemin faisant, elle conte des anecdotes. Ici, avenue de Pressensé, une fois passé le pont qui surplombe l’autoroute (« Quelle vue ! s’extasie le preneur de sons. Et quel bruit ! »), la voie est construite entre deux séries de jardins ouvriers. Encore cultivés sur notre droite, en friche et complètement délaissés sur notre gauche, côté Carrefour. « Ils ont été abandonnés il y a deux ans, confirme Laurent, qui enseigne aux ateliers Henri-Matisse. De l’autre côté, ils sont toujours utilisés et on entend même le coq. »
Traverser à pied le gros échangeur qui, du périph’, mène au boulevard des États-Unis côté Lyon et avenue Joliot-Curie côté Vénissieux reste impressionnant. On se rend moins compte, lorsqu’on emprunte ces voies en voiture, de ce patchwork entre l’habitat et l’industriel.
Quand nous abordons l’avenue Jules-Guesde, Claire raconte : « Au cours d’une promenade avec des enfants de l’école Jules-Guesde, j’ai pointé du doigt cette cheminée avec des bandes rouges et blanches et leur ai expliqué ce que c’était. Ah bon, s’est étonné une petite fille, ce n’est pas un phare ? »
À la fin de la journée, les promeneurs étaient sans doute essoufflés, sans doute aussi en avaient-ils plein les pattes. Mais cette vision décalée de la ville valait bien le détour.
Claire Georgina Daudin interviendra encore vendredi 15 février à 18h30 à l’espace Madeleine-Lambert, dans le cadre des Musicianes, festival organisé par l’école de musique Jean-Wiener. Avec des élèves de l’école, Claire explorera « le son des seuils » à partir d’écoutes et d’enregistrements pris dans divers endroits de Vénissieux. Entrée libre sans réservation.