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Social : les chômeurs dans le viseur

Paru au Journal officiel le 30 décembre, le décret d’application de la  » loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » renforce et durcit le contrôle des chômeurs, au détriment des droits et des ressources de ces derniers.

Paru au Journal officiel le 30 décembre, le décret d’application de la « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » renforce et durcit le contrôle des chômeurs, au détriment des droits et des ressources de ces derniers.

Une offre pour
onze inscrits

Suffit-il vraiment de traverser la rue pour trouver du travail ? Un simple coup d’œil au site de Pôle emploi invite à la prudence. Alors que le nombre d’inscrits en catégorie A, B et C* s’élève officiellement à 5,6 millions, la plateforme proposait 540 401 offres le 17 janvier, dont plus de la moitié issue de « partenaires ». Il existe donc — au mieux — une offre pour onze inscrits. Mais même ce chiffre est trompeur. Si on lui retranche les offres de franchises (4 376), les offres pour professions libérales (5 222) et les reprises d’entreprises (41 177) et que l’on limite la recherche au territoire français, on tombe à 489 038. Peut-on en effet appeler offre d’emploi une proposition de vente de fonds de commerce pour une brasserie, dont le ticket d’entrée s’élève à 277 200 euros ? Peut-on placer sur le même plan l’annonce d’une franchise recherchant un diététicien libéral (investissement demandé de 11 600 euros), et celle d’une agence recherchant elle aussi un diététicien, mais en CDI ?

Lors de ses vœux aux Français, Emmanuel Macron avait prévenu : « Le gouvernement, dans les prochains mois, devra […] changer en profondeur les règles de l’indemnisation du chômage afin d’inciter davantage à reprendre le travail. » De fait, la « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel », votée le 1er août 2018, promettait déjà d’être particulièrement sévère en durcissant le contrôle des chômeurs. Mais ses décrets d’applications, publiés le 30 décembre, sont allés encore plus loin que prévu.

Selon le texte voté à l’été par le parlement, ne pas se rendre à un rendez-vous avec un conseiller sans motif légitime était déjà passible de 15 jours de radiation. Ce sera finalement un mois. Pour deux rendez-vous manqués, deux mois. Et pour trois… quatre mois. En cas d’insuffisance de recherche d’emploi (refus par exemple de deux offres « raisonnables » selon la terminologie Pôle emploi), l’allocation sera tout bonnement et simplement supprimée. Pourtant, la première mouture du texte prévoyait un simple décalage de l’allocation pour la première insuffisance, un décalage de deux mois pour la seconde, puis de quatre mois pour la troisième. Dans un autre registre, le décret abroge la définition du salaire antérieurement perçu, qui était auparavant pris en compte pour déterminer « l’offre raisonnable d’emploi ». Il sera désormais impossible, selon le texte, de refuser une offre au motif que le salaire proposé serait très en dessous de celui que la personne percevait auparavant. On notera que l’exécutif ne s’était pas vanté de ces mesures. C’est le journal « Le Monde » qui a révélé l’information, après une lecture attentive des textes.

Des mesures brutales…
On imagine la consternation des demandeurs d’emploi. « Être au chômage, c’est dur psychologiquement, et chercher du travail, ça demande du temps, de l’énergie, et la compréhension de règles qui sont conçues pour te décourager », s’étrangle Thibaud Raffanel. Manœuvre en BTP au chômage, il est aussi l’un des animateurs du Comité CGT des travailleurs privés d’emploi et précaires du Rhône. « L’objectif n’est plus d’aider les gens, mais de les broyer. De piquer du pognon aux chômeurs comme on le fait aux retraités, aux étudiants. De les faire disparaître des statistiques artificiellement. »

Catherine Albout, élue SNUTEFI-FSU au CHSCT de Pôle emploi Auvergne Rhône-Alpes, dénonce pour sa part la « brutalité » de ces mesures, et pointe « le fantasme récurent du chômeur « responsable » de son état, voire « coupable » ». Tandis que du côté des premiers concernés, on fait simplement le dos rond. « Devoir toujours tout justifier de tout, c’est pesant, surtout lorsque le moral fait le yoyo », constate à Vénissieux Sophie, 38 ans, dont 10 passés entre chômage et contrats précaires.

… ou « pédagogiques » ?
À Pôle emploi Vénissieux, on réfute bien entendu ces analyses. La directrice, Corinne Nicolas, met en avant une loi qui doit permettre à Pôle emploi de « reprendre contact avec un certain nombre de personnes, dont la mobilisation et la motivation sont en baisse, qui s’isolent, et/ou dont la situation a changé sans qu’elles nous le disent. » Une loi dont la « démarche pédagogique » sera l’occasion pour les demandeurs « d’affiner leur projet en fonction des réalités du marché du travail et de leur situation ».

Fin septembre, le gouvernement avait annoncé aux partenaires sociaux que la future négociation sur l’assurance chômage devrait aboutir à une économie de 3 à 3,9 milliards d’euros en trois ans. En ce début d’année, les demandeurs d’emploi espèrent simplement que ces « indispensables » économies ne se feront pas sur leur dos.

Paroles de chômeurs



Les demandeurs d’emploi que nous avons rencontrés ont du mal à comprendre et à accepter la pression qui leur est infligée par l’État. D’autant que l’offre du marché de l’emploi n’est pas à la hauteur des espérances.

Pauline, 29 ans, mariée, assistante commerciale.
« Je ne comprends pas la logique »
En avril 2018, on m’a forcé à démissionner de mon poste. Pour moi, il s’agissait d’un licenciement. Mais pas pour l’administration. Je n’ai donc pas eu droit aux allocations-chômage, malgré quatre ans de cotisation. Pour faire reconnaître cette démission, il aurait fallu que j’aille en justice et je n’en avais pas les moyens. Fin mai, je suis tombée enceinte et j’ai donc axé mes recherches sur du court terme. Je cherchais toujours du travail, mais forcément ma situation n’invitait pas à l’embauche. Et quand j’ai renvoyé le dossier pour passage en commission avec les preuves de mes recherches d’emploi, on m’a répondu un mois plus tard que mes recherches étaient insuffisantes, sans plus de détails. Là, je ne comprends pas la logique. En attendant, mon mari travaille seul pour assumer. Mais je ne sais pas encore si j’aurai droit à quoi que ce soit pendant mon congé maternité.

Rabah, 57 ans, marié, ancien chauffeur routier
« Je n’ai pas internet, je fais comment ? »
Avant, j’étais chauffeur routier en intérim puis on m’a retiré mon permis, ce qui m’a fait perdre mon travail. Je me suis alors inscrit à Pôle emploi, mais j’ai été radié parce que j’ai refusé un travail de manutentionnaire sur les quais. Je ne pouvais pas accepter, j’ai des problèmes au dos ! Aujourd’hui, je viens m’inscrire de nouveau, mais on m’explique qu’il faut le faire par internet. Je n’ai pas internet, je fais comment ? Eh bien je dois revenir dans 15 jours et en attendant je ne suis pas inscrit. Avant je trouvais toujours du travail, je veux juste un boulot adapté, pour aider les personnes âgées par exemple, qui me permette de finir ma petite vie…

Mourad, 25 ans, célibataire, ouvrier polyvalent
« Tout le temps m’expliquer sur tout, ça m’exaspère »
Je ne suis pas au courant des nouvelles mesures de contrôle des chômeurs. Je sais juste que le gouvernement veut réduire notre nombre et qu’ils sont prêts à tout pour ça. Moi je n’ai pas de formation, je prends ce que je trouve et c’est pas facile. Mais je n’ai jamais été radié, j’ai toujours travaillé honnêtement même si je gagne mal ma vie. Par contre il y a une chose qui m’exaspère, c’est de devoir tout le temps m’expliquer sur tout, d’autant plus que je ne suis pas doué en informatique et en paperasse.

Sophie, 38 ans, célibataire, assistante de direction
« On veut diaboliser les chômeurs »
Je suis inscrite depuis 2008. Depuis j’ai effectué des tas de CDD, souvent à temps partiel. En ce moment je travaille pour une association humanitaire, qui ne me propose que des CDD. Tous les six mois, je dois justifier de ce que j’ai touché pour continuer à percevoir l’Allocation spécifique de solidarité (ASS). La commission étudie mon dossier depuis fin décembre. En attendant, je suis au maximum du découvert autorisé, carte bleue bloquée. Heureusement, on m’a prêté 600 euros qui me permettent de tenir. Mais j’ai peur d’être interdite bancaire, avec tous les frais que cela engendre. Alors je cherche du travail. Mais il y a beaucoup de fausses offres, et il y a dix fois moins d’offres que de demandes. En fait, on veut diaboliser les chômeurs. Et devoir toujours justifier de tout, c’est pesant, surtout lorsque le moral fait le yoyo. Je me demande comment font les gens qui sont vraiment seuls.


3 questions à Corinne Nicolas, directrice de Pôle emploi Vénissieux.

Madame Nicolas, quelle est la philosophie de cette nouvelle loi ?
L’idée, c’est que les gens retrouvent le chemin de l’emploi. Le contrôle de la recherche doit permettre à Pôle emploi de reprendre contact avec un certain nombre de personnes, dont la mobilisation et la motivation sont en baisse, qui s’isolent, ou dont la situation a changé sans qu’elles nous le disent. Les mesures sur les manquements doivent permettre au demandeur de réfléchir sur son positionnement, et de l’adapter à la réalité de sa situation et du marché.

Est-il possible de refuser un poste au prétexte qu’il ne correspond pas au salaire précédemment perçu ?
Dans la définition de ce qu’on appelle « une offre raisonnable », le salaire antérieur — à qualification identique — est pris en compte. Mais ce n’est qu’un élément parmi d’autres. Il faut aussi que le demandeur adapte ses prétentions à la réalité du marché. Il en est de même pour la qualification. Si une personne arrive au bout d’un an de recherche d’emploi, il faut se remettre en question. Le temps est donc un élément important.

Combien de radiations pour insuffisance de recherche d’emploi ont été prononcées en 2018 ?
Dans la région Auvergne Rhône-Alpes, 3 600 radiations ont été prononcées entre janvier 2018 et novembre 2018. Cela représente 0,05 % des 650 000 demandeurs d’emploi inscrits en catégories A, B et C. Ces chiffres prouvent bien que l’on ne cherche pas à radier à tout va.


« Un dispositif conçu pour aggraver la répression des chômeurs »

Thibaud Raffanel, manœuvre en BTP au chômage, est l’un des animateurs du « Comité CGT des travailleurs privés d’emploi et précaires » du Rhône.

« Le nouveau dispositif est conçu pour aggraver la répression des chômeurs. Dès le premier manquement, une absence non justifiée à un entretien, par exemple, on peut être radié pendant un mois. C’est ultra-sévère, avec des conséquences énormes, alors que louper un RDV, ça peut arriver facilement, sans être pour autant négligent. La date est fixée sur l’espace personnel du demandeur d’emploi. Or, contrairement à ce qu’on croit, tout le monde n’a pas accès à Internet en permanence, et les conditions d’accueil en agence ou au téléphone se sont dégradées. Les démarches compliquées pour faire un recours ou se réinscrire risquent de rallonger le délai sans indemnisation. »

« Le discours méprisant sur les gens « qui déconnent », qui « ne font pas d’efforts » alors qu’il suffirait de « traverser la rue » pour trouver du travail, c’est un combat idéologique pour diviser les gens : au lieu de rouspéter contre son patron, le travailleur pressuré va gueuler contre les « assistés », les « profiteurs » que seraient les chômeurs, les immigrés, les handicapés… Le pire, c’est que ça marche, hélas. »

« On va vers un système de cumuls de petits boulots sous-payés, à l’anglaise ou à l’allemande, avec un taux de chômage faible mais des millions de travailleurs pauvres, plus pauvres encore que les chômeurs français. Il y a déjà des accords de branches dans certains secteurs qui permettent de payer en dessous du Smic. »

« Le fantasme du chômeur « responsable » de son état »

Catherine Albout, élue SNUTEFI-FSU au CHSCT de Pôle emploi Auvergne Rhône-Alpes

« Nous avons été surpris de la sévérité des nouvelles dispositions contenues dans le décret du 28 décembre, et nous en dénonçons le caractère idéologique. Aucune sanction n’accélérera le retour à l’emploi de celles et ceux qui sont confrontés aux nombreuses barrières que sont les difficultés de transport, de garde d’enfant, de manque de qualification… Au contraire, elles aggraveront la situation. Elles vont également aviver les tensions dans les agences vis-à-vis des personnels au contact de personnes exaspérées.

Il est difficile de ne pas déceler dans la brutalité de ces mesures le fantasme récurent du chômeur « responsable » de son état, voire « coupable ». Cette « chasse » aux fraudeurs (qui ne représentent que 0,5 % des inscrits…) ou aux « irresponsables » sera confiée à des équipes de contrôleurs constituées par un redéploiement de conseillers, ce qui dégarnira d’autant l’accueil des demandeurs d’emploi. Cela entraînera une nouvelle dégradation du service. Officiellement, le portefeuille d’un conseiller de Pôle Emploi, c’est environ 320 personnes. En réalité, c’est plutôt 800, voire 1 200 personnes. Je fais confiance aux collègues pour rester à l’écoute des demandeurs d’emploi et entendre leurs explications avec bienveillance. »

1 Commentaire

  1. Mourot Dominique

    7 juillet 2021 à 22 h 00 min

    Mon cas est celui de beaucoup d’autres et que pour répondre à une offre d’emploi il faut avoir des compétences en informatique.
    Et oui. Mettre des pièces jointes dans une offre d’emploi, ça je ne sais pas le faire et personne ne nous le montre.
    Par contre des CV on en fait à la pelle.
    Donc, ce n’est pas que beaucoup de gens ne veulent pas travailler. C’est que nous avons une barrière qui nous bloque.
    Moi, je l’ai dit à la personne qui s’occupe de moi à pôle emploi, elle a rigoler c’est tout.

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