La plasticienne Claire Georgina Daudin est accueillie en résidence artistique à l’espace d’arts plastiques Madeleine-Lambert jusqu’en février prochain. Parmi les prochains événements auxquels elle participe, citons, le samedi 9 février, une performance dans la ville qui retracera le travail qu’elle va mener avec des habitants sur les seuils de Vénissieux. « Chacun, précise-t-elle, sera invité à participer. Un pique-nique sera organisé à l’espace Madeleine-Lambert. » Puis, ajoute-t-elle, « le vendredi 15 février, dans le cadre des Musicianes, un concert-performance, fruit de ma collaboration avec les élèves de l’école de musique, sera présenté à l’espace d’arts plastiques. »
On retrouvera ces différents seuils sur un blog spécialement créé pour l’occasion : https://seuilsresidence.wordpress.com
Expressions se fait également partenaire de cette résidence. Dans chacune de nos éditions et sur notre site, l’artiste interviendra avec une photo et un texte, parlant de son expérience à visiter des seuils — terme généraliste pouvant, dans son esprit, toucher à différents domaines — avec des Vénissians. À peine l’idée effleurée que Claire nous a déjà fourni cinq textes et leurs images. Voici le premier. Fruit d’une balade accomplie avec un guide vénissian dans le quartier du Moulin-à-Vent (Laurent Pernel, enseignant aux ateliers municipaux Henri-Matisse), il décrit la traversée du périphérique, qui « coupe deux mondes sans rapport ».
SEUIL #1 MARDI 10 OCTOBRE : LE SEUIL DU PERIPHERIQUE
Après l’atelier, nous prenons le chemin du tram. « Chemin » est un terme ambitieux : aucune voie n’est définie pour s’y rendre, et le parcours est chaotique. Laurent me guide à travers la passe en relief du boulevard périphérique jusqu’à l’esplanade du gigantesque centre commercial. Sous l’auréole jaunâtre des lampadaires, nous longeons d’abord l’avenue Georges-Lévy, au creux de la dense concentration de maisonnettes du Moulin-à-Vent, puis montons sur le pont enjambant le périph : le vacarme des automobiles passant à vive allure déchire la nuit brumeuse et longue. Des escaliers de béton s’entrecroisent au-dessus des voies d’accès percées par la trace rapide des phares éphémères. Au-dessus de la ville, nous contemplons les lointains points de lumière des éclairages de complexes commerciaux, des grues de chantier, des stations service, des bords de route et des immeubles. Quelques néons rouges dominent l’horizon en pointillés. En contrebas, les jardins ouvriers foisonnent et leur végétation soudainement luxuriante et sombre contraste avec la rectitude minérale des grands axes de transport. Nous prenons à gauche, sans égards pour le marquage au sol ; les flèches blanches sur l’asphalte ne concernent pas le mouvement fluide et précis de nos pieds. Nous franchissons trottoirs et accès de pompe à essence ; un terre-plein ; de nouveau un trottoir. Un panneau se dresse à l’entrée d’un site abandonné jouxtant le périph ; les arbustes s’échappent par les barrières closes depuis longtemps. Devant l’hypermarché, nous frottons nos ombres à la lumière crue des vitrines ; les derniers clients regagnent gaiement leurs voitures disséminées sur l’immense parking ; nos pas frayent à présent à travers les lignes blanches et vides de guidage des foules ; un dernier crochet et nous voilà devant la station de tram. Inespérée au milieu de la nuit orange. Fragile cabane face au colossal chantier de construction dressé de l’autre côté de la voie, tel une créature gigantesque plantée sur sa multitude de pattes de béton.
Le chemin que nous avons suivi trace une ligne se superposant au fracas actuel du terrain. J’ai cru avoir foulé un sentier existant pourtant, situé en-dessous de la couche de bitume. Comme si le présent en train de se former n’était pas là pour les pieds qui avancent.
La ceinture périphérique coupe deux mondes sans rapport. L’immense et le familier. Nos pieds ont joint deux points de cette géographie bousculée infiniment plus distants que le trajet n’a semblé être, appartenant à des époques distinctes.