Nés avec Internet, à l’aise avec les réseaux sociaux, tous les enfants du numérique ne sont pas égaux devant l’outil informatique. Au BIJ de Vénissieux, on travaille à réduire la double fracture numérique et sociale.
Comme Obélix dans la potion magique, nos ados sont tombés dans la marmite numérique quand ils étaient petits… Nés avec Internet, quasiment tous ces « digital natives », comme disent les sociologues, ont accès à l’outil informatique. Mais en connaissent-ils pour autant tous les codes et les usages ? Tous les enfants de la génération écrans sont-ils égaux devant l’ordi ?
« Pas vraiment, observe Béatrice Bosetti, coordinatrice 16-25 ans au service jeunesse de la Ville et responsable du Bureau information jeunesse (BIJ) de Vénissieux. Très à l’aise avec le côté ludique de l’informatique, les réseaux sociaux, les jeux, ils maîtrisent peu son côté pratique. » Professeur au lycée professionnel Marc-Seguin de Vénissieux, Samuel Delor confirme ce hiatus. « En salle informatique, je constate le décalage entre la grande habileté de mes élèves sur des logiciels conviviaux tel Snapchat et leurs difficultés devant les outils bureautiques de base, qui ne sont pas aussi intuitifs que leurs applications de smartphone. »
Fâchés avec la bureautique
Entre septembre 2016 et juillet 2017, l’équipe du BIJ a interrogé plus de 500 de ses usagers, âgés de 11 à 17 ans, sur leur pratique d’Internet. Sans dévoiler l’ensemble des résultats de l’enquête, qui sera bientôt rendue publique, certaines données sont instructives. « Sur 525 jeunes interrogés, 523 sont connectés à Internet quotidiennement et s’en servent plusieurs fois par jour, via un téléphone, une tablette, une console ou un ordi, explique Béatrice Bosetti. Ils utilisent Snapchat, Facebook, Instagram ou Twitter, mais ni Linkedin ni Viadeo, les réseaux sociaux dédiés à l’emploi. » Mais après tout, est-ce si surprenant ? Au même âge, leurs propres parents étaient eux aussi plus experts sur Game Boy que sur le Commodore 64 familial… Quand il y avait un ordinateur à la maison !
Sauf qu’aujourd’hui, les choses sérieuses commencent dès la 3e, lorsque les collégiens doivent envoyer CV et lettres de motivation pour trouver un stage d’observation en entreprise. Ce fameux stage plus facile à dénicher par les enfants de cadres au carnet d’adresses bien rempli que par les rejetons d’ouvriers… Dès les premières étapes, la rédaction puis l’envoi de la lettre de motivation, la fracture numérique révèle la fracture sociale. « Comment on envoie une pièce jointe, comment on modifie le document, où est-ce qu’on le stocke, comment retrouver la dernière version, à qui l’adresser… Beaucoup de nos jeunes ne savent tout simplement pas gérer la bureautique, constate Sayen Kaced, chargée de mission info-jeunesse au BIJ de Vénissieux. Même la maintenance de leur messagerie est compliquée : branchés en permanence sur Internet via leur smartphone, où leurs identifiants sont enregistrés, ils sont perdus lorsqu’ils doivent se connecter à partir d’un autre support, comme un ordinateur, car ils ne souviennent plus de leurs identifiants ! »
Un enjeu important
Pour Rachid Zerrouki, professeur en Segpa à Marseille (1), ce paradoxe n’en est pas un : « on ne naît pas avec des prédispositions à la maîtrise de l’outil numérique, on les acquiert. Et cette acquisition ne se fait pas à la faveur d’un simple accès illimité à Internet ». Et de rappeler l’étude d’un sociologue de la communication (2) : 72 % des internautes en milieu ouvrier ont un objectif de divertissement, contre 36 % seulement chez les cadres supérieurs.
Au BIJ de Vénissieux, labellisé Espace public numérique (3), l’équipe travaille chaque jour à réduire cette « double fracture ». « C’est un enjeu important, estime Sayen Kaced, car aujourd’hui la plupart des emplois nécessitent de savoir maîtriser l’outil numérique. » D’une remarquable disponibilité, les intervenantes dispensent conseils et astuces, sans jamais faire à la place des utilisateurs. « On leur suggère d’éviter d’envoyer un mail de candidature à partir d’une adresse perso genre lascar69200@gmail.com, ou de ne pas utiliser de lettre de motivation type trouvée sur Internet, on leur montre comment classer ses mails dans des dossiers thématiques pour mieux les retrouver… »
D’autres acteurs ressources de la Ville travaillent dans le même sens que le BIJ : les centres sociaux, les maisons de quartier, la médiathèque, l’écrivain public… Une conjonction d’efforts pour éviter d’aggraver une exclusion sociale qui n’a rien de virtuelle.
(1) « Des jeunes au bord de l’illettrisme numérique », tribune dans Libération du 22 novembre 2018
(2) « Les classes sociales sont-elles solubles dans Internet ? » Eric George, Université de Montréal, juillet 2008
(3) Tout comme la médiathèque Lucie-Aubrac
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