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Été 1918 : la grippe espagnole frappe

Il y a tout juste cent ans, à l’été 1918, une terrible épidémie frappe Vénissieux, la pire de toute l’histoire du XXe siècle. Coup de projecteur sur un épisode encore très mal connu.

Il y a tout juste cent ans, à l’été 1918, une terrible épidémie frappe Vénissieux, la pire de toute l’histoire du XXe siècle. Coup de projecteur sur un épisode encore très mal connu.

Ce sont les soldats américains, débarqués par millions pour se battre sur le front, qui apportèrent la grippe dite espagnole en France, où ils contaminèrent les Poilus. Photo Wikipedia

Elle a surgi en plein été 1918, à une saison où l’on ne l’attendait pas. La grippe, soi-disant espagnole. En fait, elle avait pris naissance en Amérique, ou peut-être en Asie, et fut étiquetée d’origine ibérique parce que les journaux espagnols, non soumis à la censure dans un pays qui n’était pas en guerre, furent les premiers à en parler. Les soldats américains, débarqués par millions pour se battre sur le front, l’apportèrent avec eux jusqu’en France, où ils contaminèrent les Poilus. Puis vint le tour des civils, qui furent touchés dans tout le pays. Pendant longtemps, la presse n’en pipa mot. Il ne fallait surtout pas affaiblir le moral des Français, déjà miné par quatre ans d’une guerre abominable. Ce n’est que le 12 septembre, que les journaux se décident à l’évoquer. En à peine dix lignes, l’on apprend que les engagements pour la base navale de Toulon sont momentanément suspendus, à cause du « nombre des cas de maladies et de décès causés par la grippe espagnole« . Du côté des autorités de la région lyonnaise et de la mairie de Vénissieux, silence radio. L’épidémie peut se propager en toute impunité… Pourtant, elle est bien là, présente dans notre ville.

Dès le 19 août, une ouvrière de l’usine de chargement d’obus située près de la gare, Joséphine Poinard, doit être évacuée et son logement désinfecté de toute urgence. Les symptômes de la maladie sont d’abord bénins. La grippe se manifeste par des courbatures généralisées, un mal de tête, une irritation de la gorge, une toux persistante et de la fièvre. Quelques jours de lit suffisent généralement à en venir à bout. Mais elle peut se compliquer, infecter les poumons et vous entraîner vers une mort inéluctable. Surtout, la grippe espagnole se distingue par sa contagiosité extraordinaire. Elle contamine des familles entières, se répand dans les usines comme une traînée de poudre, infecte les passagers d’un train ou d’un tramway, fait des ravages dans les hôpitaux et les casernes, dans tous les lieux où la promiscuité favorise sa diffusion.

À l’arsenal de Vénissieux, les cas se multiplient – en voici encore deux graves mi-septembre, puis huit le 3 octobre, tandis que l’on relève deux morts à l’asile pour personnes âgées de la rue Billon, d’autres parmi les sœurs des Missions Africaines établies dans le quartier du Moulin-à-Vent, et parmi les soldats de l’hôpital militaire installé dans leur couvent. Devant l’ampleur de l’épidémie, la population panique, se persuade qu’elle affronte la peste et non une grippe. Des malades isolés sont laissés sans assistance, étendus sur le sol de leur logement, privés de nourriture pendant des jours. Ailleurs, des infirmières se sacrifient, parfois jusqu’à la mort, pour venir en aide aux plus vulnérables. Les médecins, eux, s’avèrent totalement désemparés face à la maladie. Leurs remèdes passent par des bains de bouche, des inhalations et des désinfections répétées, qui ne sont qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Pendant ce temps les publicités fleurissent dans les journaux, qui vantent les pastilles Valda ou le goudron Guyot comme un remède infaillible contre le virus…

Confrontées au caractère massif de l’évènement, les autorités finissent par réagir. Le 25 septembre 1918, le maire de Lyon édicte une série d’interdictions et de conseils, comme se laver les narines, ou ne plus secouer les tapis aux fenêtres. Nouvelle salve le 15 octobre : tous les spectacles sont interdits jusqu’à nouvel ordre, de même que les convois funéraires. Taxis, wagons, gares, salles de classe, bureaux de poste, banques, cafés, doivent être systématiquement désinfectés chaque jour, tandis que les personnes surprises en état d’ivresse seront mises en état d’arrestation — comme si l’alcool avait une influence sur la progression de la catastrophe ! Car c’en est bien une. D’octobre 1918 à mars 1919, l’épidémie atteint une telle virulence que les cercueils viennent à manquer. De passage dans notre région, l’auteur Blaise Cendrars raconte qu’il a « assisté dans la banlieue de Lyon, à l’incinération des pestiférés que l’on entassait dans les champs et que l’on aspergeait d’essence« .

À Vénissieux, le nombre de personnes atteintes ne peut malheureusement pas être évalué : les statistiques médicales de l’année 1918 ont comme par hasard disparu, alors qu’elles sont pourtant bien conservées pour le reste du début du XXe siècle. La surmortalité n’en est pas moins certaine : en 1917, la commune enregistre 113 décès de civils, contre 174 en 1918, soit 54 % de plus. À la lumière de ces chiffres, la maladie aurait tué 60 à 80 personnes. En France, on lui attribue entre 165 000 et 400 000 décès, ce qui en fait la pire épidémie du XXe siècle. Elle aurait tué en quelques mois, autant que la Première Guerre mondiale en un an ! À l’échelle de la planète, on estime qu’un milliard de personnes furent infectées, soit près de la moitié de la population mondiale, et qu’on déplora au moins 20 millions de morts — peut-être même 100, d’après certaines estimations. Grâce à des fouilles archéologiques effectuées en 1998 dans un cimetière de Norvège, le virus de 1918 put être identifié : H1N1. Un nom qui ne vous est pas inconnu : c’est celui de la grippe de 2009. Ce tueur reviendra-t-il frapper ? Personne ne peut le prédire.

Sources : Archives de Vénissieux, D 13 et 5 i 167. Archives du Rhône, 4 E 14287 et 14288 ; 2 Mi 107 R 22 et R 23, journal Lyon Républicain, 1918-1919.

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