De Robert Enrico (1931-2011), cinéaste français contemporain de la Nouvelle Vague, on connaît mieux ses films que lui-même. On garde en mémoire ses Grandes gueules, interprétées par Bourvil et Lino Ventura, ou Les Aventuriers, dont l’image barbue d’Alain Delon sert encore à vanter un parfum sur nos panneaux publicitaires.
Aujourd’hui, on classera plus facilement Enrico parmi les tenants de cette fameuse Qualité française conspuée par les jeunes Turcs des Cahiers du Cinéma. Pourtant, le cinéaste n’a jamais cédé à la facilité. On le remarque dès son deuxième court-métrage, La Rivière du hibou (1961), inspiré d’un récit cynique de l’écrivain américain Ambrose Bierce. Condamné à la potence au-dessus d’une rivière, un homme réussit à s’enfuir en tombant à l’eau, traverse la forêt en courant, retrouve sa femme, l’étreint et… finit pendu, puisqu’il avait rêvé tout cela avant d’être exécuté.
Le cinéma Gérard-Philipe propose donc quatre films de cet attachant cinéaste qui seront visibles tout l’été : La Belle vie (du 1er au 14 août), Les Aventuriers (du 22 au 28 août), Tante Zita (du 29 août au 4 septembre) et Ho ! (du 5 au 11 septembre).
Premier long-métrage d’Enrico, La Belle vie (1962) obtient le prix Jean-Vigo deux ans plus tard. C’est que le film, qui parle du retour à la vie civile d’un militaire qui a fait l’Algérie, aura des ennuis avec la censure militaire. Là encore, le sentiment de liberté n’est qu’une parenthèse dans la vie d’un homme.
Les Aventuriers (1966) est l’exemple même du film d’aventures réussi. Il est tiré, curieusement, de la première partie d’un roman de José Giovanni dont la seconde — La Loi du survivant — sera aussi filmée la même année par Giovanni lui-même. Deux amis (Ventura et Delon) et une jeune femme (Joanna Shimkus) partent en Afrique à la recherche d’un trésor englouti.
Là, ils trouvent Serge Reggiani. Inutile de dire que tous sont formidables, que l’action va ensuite dériver vers le fameux Fort Boyard qui n’était pas encore le décor du jeu télévisé et que c’est beau car espoir et désespoir font ici un élégant ménage.
C’est le moment de la fameuse séquence « émotion », baptisée ainsi par un célèbre animateur TV reconverti depuis dans l’écologie — avec, à la clef, un bruit de respiration dans un tuba. Nous sommes en 2006, au festival de Cannes, et la sélection Cannes Classics propose une projection des Aventuriers, en présence de la principale actrice, Joanna Shimkus, et de son époux l’acteur américain Sidney Poitier. Redécouvrir sur grand écran ce beau film, jusqu’à présent vu seulement à la télévision, en présence de ces deux sommités fut une très belle expérience.
Dans Tante Zita (1968), le film suivant de Robert Enrico, nous retrouvons Joanna Shimkus qui, troublée par l’agonie de sa tante, part errer toute une nuit dans les rues de Paris. Récit de douleur et d’initiation, rite de passage d’un âge choyé, celui de l’adolescence, à la maturité, le film peut faire penser au magnifique Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda — deux heures de la vie d’une femme qui attend des résultats d’analyse. Là, de rencontre en rencontre, le personnage de Joanna Shimkus va se construire.
Enfin, Ho ! (1968) nous transporte dans le milieu des courses automobiles qui semblait plaire à Enrico. Dans Les Aventuriers, Delon est pilote et Ventura mécano. Dans Les Caïds (1972), Serge Reggiani est un cascadeur automobile. Dans Ho !, Belmondo est lui aussi un
ancien coureur automobile qui prête main forte à des gangsters en devenant leur chauffeur. Il est question ici de braquages, d’une jolie copine qui n’est autre que Joanna Shimkus, de ce qu’on voudrait être et de ce que l’on est. Un joli film à redécouvrir, avec un Belmondo qui n’en fait pas encore des tonnes.
Voilà de quoi passer un bel été cinématographique, que l’on soit fatigué ou pas des habituels blockbusters — question subsidiaire : ils en sont à quel numéro, les Mission impossible ?