Interview – Initiative – Témoignage
Si les écrans permettent aujourd’hui une véritable ouverture sur le monde, ils sont aussi des outils redoutablement addictifs qui peuvent entraîner de nombreux retards de développement chez les jeunes enfants. Les campagnes de sensibilisation se multiplient pour tendre vers un usage raisonné de ces écrans omniprésents.
Matinée Écrans le 5 juin
Dans le cadre des « Rencontres de juin 2018 : sur le chemin de l’éducation partagée », les centres sociaux des Minguettes, épaulés par de nombreux partenaires (la Ville, l’Éducation nationale, la CAF, etc.), organisent une matinée Écrans mardi 5 juin de 8h45 à 11 heures au cinéma Gérard-Philipe. Au programme des quizz, une exposition, la projection de courts-métrages et des débats autour du temps d’utilisation des écrans en fonction de l’âge des enfants, des risques des réseaux sociaux, etc.
Ouvert à tous. Renseignements et inscriptions aux centres sociaux des Minguettes : 04 72 21 50 80 / 04 78 70 19 78.
Télévision, ordinateur, smartphone, tablette, les écrans sont partout. Ils ont désormais envahi nos vies et celles de nos enfants. « En consultation, note le docteur Iris Vulliez-Degraix, pédopsychiatre, responsable du centre petite enfance Winnicott, nous recevons des parents qui utilisent les écrans pour calmer les enfants ou lorsqu’ils s’ennuient. Or en termes de sensorialité, un écran de télévision est beaucoup trop stimulant, il émet trop de son, trop de lumière, trop d’informations que le cerveau d’un jeune enfant n’est pas encore en mesure d’assimiler. »
Un constat partagé par Lydie Pierret, infirmière-puéricultrice à la PMI de Parilly : « Lors des visites à domicile, la télévision est souvent allumée. Il arrive même que des mamans allaitent devant la télé, supprimant le contact visuel et donc la communication avec leur bébé. Et l’effet zapping de la télé entraîne de gros problèmes de concentration dès la maternelle. Les enfants trop exposés aux écrans ont du mal à comprendre les consignes, ils n’ont pas la faculté à aller au bout des choses et ils abandonnent vite. »
Seul face à un écran, le tout-petit est passif, il n’invente pas d’histoire, il ne développe pas son imagination. Or c’est par le jeu et l’interaction avec le monde qui l’entoure qu’il observe, manipule, expérimente, utilise ses cinq sens, et développe ainsi son langage et son intelligence. De nombreuses études alertent aujourd’hui sur les dangers de la surexposition aux écrans qui entraîne des retards dans l’acquisition du langage, des troubles de l’attention et de la concentration, des troubles du sommeil, un risque d’échec scolaire plus élevé, une intégration sociale plus difficile, une plus grande exposition à la violence, une prise de poids ou encore un comportement agressif.
Un danger : la passivité
Difficile pourtant en 2018 de viser l’objectif zéro écran dans l’éducation d’un enfant. « La révolution numérique est une révolution pour nous tous, constate Marion Vistoli, psychologue au Point accueil écoute familles de Vénissieux. Elle constitue un moyen d’interagir avec le reste du monde. Il ne s’agit pas de diaboliser les écrans mais de réfléchir aux différentes façons de s’en faire un allié. » Un risque : la passivité. « Prenons l’exemple de la tablette. Chez les jeunes enfants, elle peut être un bon support pour développer la motricité fine mais elle ne doit pas servir à regarder des vidéos. L’enfant doit être acteur face à une tablette. » Tablette ou télévision, l’important est que l’enfant soit toujours accompagné, que les parents vérifient qu’il s’agit bien d’un contenu adapté à son âge. « Face à un écran, l’enfant perd la notion du temps et donc le fil de sa journée, poursuit la psychologue. Il faut donc lui transmettre des rythmes de vie, lui expliquer qu’il peut regarder un dessin animé pendant un temps donné et qu’ensuite, on éteindra la télé ou l’ordinateur. Dans le cas d’une consommation intensive, j’explique aux parents qu’il est important de fixer des limites à l’enfant. Plus vite l’usage des écrans est ritualisé et acquis pour l’enfant, plus vite il s’intègre sans heurts aux rythmes de la famille. »
Apprivoiser les écrans
À condition toutefois de respecter certaines règles au cours de la journée. Pas d’écran le matin : c’est le moment de la journée où la concentration de l’enfant nécessaire aux apprentissages est la plus forte. Pas d’écran pendant les repas : ils doivent rester un moment où l’on échange en famille. Pas d’écran avant de s’endormir : les images animées et la lumière bleue des écrans retardent l’endormissement. Pas d’écran dans la chambre : les parents n’ont alors pas la possibilité de contrôler ce que l’enfant regarde ni le temps qu’il passe sur l’écran.
Le psychiatre Serge Tisseron a quant à lui théorisé la façon d’apprivoiser les écrans grâce aux repères « 3-6-9-12 » (voir illustration ci-dessous) pour répondre aux questions des parents et des professionnels et aider les enfants à grandir sereinement. Il préconise ainsi « pas de télé avant 3 ans, pas de console de jeu personnelle avant 6 ans, Internet après 9 ans et les réseaux sociaux après 12 ans ». Initiée dès 2008, la campagne « 3-6-9-12 » a été largement diffusée en février dernier, parallèlement au lancement du site www.lebonusagedesecrans.fr. Une initiative de l’Institut d’Éducation Médicale et de Prévention qui, sous le slogan « Ensemble, gardons le contrôle », propose d’apporter « une information neutre, objective et scientifiquement fondée sur l’usage des écrans », ainsi que « des conseils à tous ceux qui sont confrontés, à titre personnel ou via leur entourage, à une pratique excessive des écrans ».
Le gouvernement s’est également saisi de ce problème de société, inscrivant la lutte contre la surexposition des jeunes enfants aux écrans dans son plan national de santé publique. Le nouveau carnet de santé, distribué depuis avril, contient différents messages de prévention relatifs aux écrans. Et la ministre de la Santé Agnès Buzyn a annoncé le 28 mars lors d’une séance publique à l’Assemblée nationale que « le Conseil supérieur de l’audiovisuel […] élaborera et diffusera des campagnes d’information relayées par toutes les chaînes de télévision qui viseront à rappeler que l’ensemble des programmes télévisuels ne sont pas adaptés aux enfants de moins de 3 ans ».
« Il s’agit d’un problème de santé publique »
3 questions à Iris Vulliez-Degraix, pédopsychiatre, responsable du centre petite enfance Winnicott et Séverine Lejeune, pédopsychiatre
Quels sont les risques des écrans sur les jeunes enfants ?
Iris Vulliez-Degraix : Entre l’écran et l’enfant, le problème est qu’il n’y a pas d’intermédiaire. Devant une publicité, l’enfant ne sait pas s’il s’agit de son propre désir, ni si cela relève de sa propre subjectivité. L’écran favorise alors la confusion entre ce qui appartient à soi et ce qui appartient au monde extérieur. L’exposition prolongée aux écrans favorise ainsi une construction de soi bancale et un retard dans le développement du langage. Elle induit aussi des problèmes neuro-psychologiques : des troubles de l’attention, du comportement, des difficultés à se concentrer et à réguler ses émotions. Les enfants concernés auront tendance soit à se replier sur eux-mêmes soit à être agressifs envers les autres enfants. On note toutefois que les symptômes diminuent dès que l’exposition aux écrans diminue.
Séverine Lejeune : On peut parler d’un véritable problème de santé publique, non seulement au niveau psychique mais aussi au niveau physique puisqu’une exposition prolongée aux écrans diminue l’activité physique ce qui, à terme, peut potentiellement augmenter le nombre de crise cardiaque chez les plus de 25 ans.
Les écrans aujourd’hui font partie de notre quotidien. Quels conseils donnez-vous aux parents pour une utilisation raisonnée ?
S.L. : Être parent signifie construire un être autonome, capable de s’exprimer et de communiquer. Or dans certaines familles, les enfants ressentent plus de familiarité avec les personnages qu’ils regardent à l’écran qu’avec leurs propres parents. L’écran est là pour les occuper, les calmer. La communication n’existe pas. Comment alors apprendre à parler, contrôler sa colère, être joyeux… Notre rôle est donc d’accompagner les familles dans l’éducation des enfants en diminuant le temps passé devant les écrans.
I.V-D. : Ce qui aide, c’est de poser les choses, de fixer un cadre avec l’enfant. Lui expliquer en amont qu’on peut allumer la télé en attendant le repas mais seulement pendant 15 minutes, quitte à s’aider d’un chronomètre. Et il doit s’agir d’une activité partagée, toujours accompagnée d’un échange verbal entre l’enfant et le parent. Et il faut surtout proposer des alternatives aux écrans : des activités variées et interactives, jouer, dessiner, se promener, lire, etc.
Vous évoquez un problème de santé publique. Quelles seraient les solutions pour y remédier ?
S.L. : Pour prendre soin de nos enfants, il faut réfléchir à un projet de société qui implique non seulement les parents mais aussi les professionnels, les écoles, les centres sociaux, etc.
I.V-D. : Depuis un an, on constate que les parents sont sensibilisés au sujet. On note un vrai impact des différentes campagnes de prévention qui s’avèrent efficaces et sont un soutien à notre action au quotidien. Par ailleurs à Vénissieux, beaucoup de choses sont mises en place et il existe un bon réseau d’accompagnement.
Bientôt dix jours sans écran pour de jeunes Vénissians
Le projet est prévu pour l’année scolaire 2018-2019 et pourrait concerner les élèves du groupe scolaire Anatole-France. Le principe : proposer aux enfants, et à leurs parents, de se passer des écrans — ou au moins essayer — pendant dix jours. Facile à dire, beaucoup moins simple à mettre en place ! « L’idée n’est pas de diaboliser les écrans, confie Dominique Nestola, conseillère qui porte le projet pour les centres sociaux des Minguettes avec le groupe co-éducation Écrans. Plutôt d’apprendre à s’en servir de façon raisonnable et raisonnée. Le défi, c’est que l’ensemble du groupe scolaire y adhère, les enseignants, les enfants et leurs parents ainsi que les structures de proximité. »
Avant le défi qui se tiendra en mai ou juin 2019, une phase de préparation sera lancée dès le mois de septembre pour sensibiliser les enfants et mobiliser les parents. « Pendant les dix jours, poursuit Dominique Nestola, il s’agira d’accompagner les enfants pour qu’ils comprennent qu’on peut s’occuper autrement. Les parents seront sollicités pour réfléchir à la mise en place d’activités comme un atelier lecture, des jeux, etc. Des petites choses, faciles à mettre en place au quotidien, qui puissent perdurer une fois le défi terminé. »
L’association strasbourgeoise Éco-conseil, initiatrice du projet depuis 2008, note dans les études qui suivent sa mise en œuvre dans les établissements scolaires participants : une réduction sensible des violences physiques et verbales, une diminution de la sédentarité et une réduction de l’obésité, une diminution du temps passé devant les écrans au profit des échanges avec la famille, les amis ou bien encore un apprentissage du regard sur la télévision, l’ordinateur et les jeux vidéo.
Aux jeunes Vénissians d’accepter de relever le défi !
« Prendre le temps d’être ensemble »
Inès (prénom d’emprunt) est partie d’un constat : « À la maison, on ne discutait plus, on ne partageait plus rien. Les enfants étaient toujours très excités, se disputaient beaucoup. Alors, au cours d’une énième dispute, j’ai décidé de dire stop. » Stop aux écrans. Pendant une semaine complète, plus de télé, plus de tablette, plus de smartphone à la maison.
Sensibilisée à la question depuis qu’elle participe au groupe co-éducation Écrans organisé par les centres sociaux des Minguettes, cette maman vénissiane de trois enfants, âgés de 5, 9 et 10 ans, a décidé de prendre les choses en main au début du printemps. « J’avais constaté que mes enfants étaient happés par les écrans. Le matin, mes filles se levaient plus tôt pour pouvoir regarder la télé. La plus grande était accro à YouTube. Pendant les vacances, entre la télé, le portable et l’ordinateur, impossible de les faire décrocher. Quand on m’a expliqué qu’il était très mauvais pour les enfants de regarder la télévision avant d’aller à l’école ou avant d’aller se coucher, j’ai compris qu’il fallait trouver une solution. »
Début avril, elle débranche donc tous les écrans, au grand désespoir de ses enfants ! « Je voulais leur faire vivre une expérience, pas une punition. Le premier jour, ça a été très dur, même pour moi, c’est comme une drogue en fait. Mais finalement, la semaine s’est très bien passée. On a fait des choses en famille, des sorties, des jeux de société, on a lu, on a discuté alors qu’on ne le faisait plus, je leur ai raconté mon enfance. »
Aujourd’hui, la vie de famille chez Inès et ses trois enfants n’est plus tout à fait la même. « On regarde beaucoup moins la télévision. On prend le temps d’être ensemble. Mes enfants sont plus calmes, ils jouent plus qu’avant. On retourne à la bibliothèque une fois par semaine. Quel bonheur de voir mon fils s’émerveiller devant des livres de requins ou de dinosaures ! »