Au cours d’un discours fleuve, ce mardi 22 mai, le président de la République a exposé les mesures qui seront mises en place par le gouvernement pour « changer de méthode » vis-à-vis des banlieues. « Je ne m’attendais pas à grand-chose, je n’ai pas été déçue », confie Michèle Picard, maire de Vénissieux.
Que pensez-vous de l’abandon total des préconisations du rapport Borloo ?
Déjà que je trouvais le rapport Borloo trop timide sur bien des sujets, Emmanuel Macron ne reprend même pas les quelques préconisations intéressantes. C’est un enterrement de première classe… Personnellement, je ne vois pas l’intérêt de commander un tel rapport pour ne rien en faire ensuite et même proclamer que c’est une démarche ringarde !
Et sur le fond de ce qui a été annoncé par Emmanuel Macron ?
Le fond ? Quel fond ? Je ne m’attendais pas à grand-chose, je n’ai pas été déçue. Mais 90 minutes de stand up pour enchaîner les annonces creuses, sans ambitions ou contradictoires, c’est long… La montagne à encore accouché d’une souris ! La scolarisation obligatoire dès 3 ans pour socialiser les enfants ? À Vénissieux, les enfants sont accueillis dès 2 ans. Les classes de CP dédoublées ? C’est en place depuis neuf mois. Faciliter les stages de 3ème ? La Charte de coopération Ville-Entreprises fonctionne depuis des années. Pour nous, rien de nouveau sous le soleil !
Il y a la création d’un « conseil présidentiel des villes »…
Oui, composé d’une trentaine de membres choisis par le président et censé permettre à l’Élysée d’avoir « un rapport direct avec les quartiers », deux fois par an… Cette instance regroupe sans doute des personnalités intéressantes, mais elle est surtout destinée à faire passer le message que les élus locaux ne sont pas légitimes, qu’ils ne seraient bons qu’à faire «sortir deux dos d’âne et une crèche avant la fin de leur mandat», pour citer l’un des membres de ce conseil. C’est très méprisant, car les élus locaux, surtout ceux des communes, sont les premiers maillons de la démocratie, au plus près des citoyens. Cela reflète l’obsession de M. Macron : moins il y a d’élus de la République, mieux il se porte.
Le Président va demander aux 120 plus grands patrons de France de s’engager à embaucher dans les quartiers en difficulté. Une bonne initiative ?
Pas besoin de sortir de l’ENA pour savoir que la clé pour résoudre l’essentiel des problèmes, en banlieue comme ailleurs, c’est de permettre à chacun de pouvoir vivre dignement de son travail. Vous savez, on se bat pour faire venir des entreprises à Vénissieux, mais personne ne peut les obliger à recruter des gens qui n’ont pas de formations en adéquation avec les emplois proposés. Or, à Vénissieux, il y a beaucoup de jeunes déscolarisés, sans formation ni diplôme. Il faut que l’État lance un véritable plan ORSEC au niveau national, pour que l’éducation, l’emploi et la formation aillent de pair tout au long de la vie de chacun. Plus généralement, je pense qu’il faut revenir aux missions régaliennes de l’État : agir pour l’emploi, l’éducation, le logement, la sécurité.
Sur ce dernier point, Emmanuel Macron annonce un plan de lutte contre la drogue d’ici juillet. Qu’en pensez-vous ?
On verra bien. Ça fait des années que l’on demande plus de moyens et de temps pour les investigations policières. À Vénissieux, 44 réseaux de stupéfiants ont été démantelés en 2017, mais la difficulté, c’est d’empêcher qu’ils resurgissent ailleurs ! Non seulement il faut agir dans toute la France car les trafics se déplacent au gré des actions judiciaires, mais il faudrait d’abord empêcher les stupéfiants d’entrer dans le pays. Et ça aussi, c’est du ressort de l’État.
Par exemple, le rapport Borloo préconisait de donner les moyens aux maires pour installer la vidéo-protection sur leur commune. C’est méconnaître que ce qui coûte le plus cher, c’est la maintenance. En 9 ans, son coût a triplé ! Pourquoi ? Parce que c’est un moyen efficace de lutter contre la délinquance, et que les caméras sont prises pour cibles. C’est une aide à long terme sur laquelle la puissance publique doit s’engager.
Vous contestez les mesures annoncées par l’Élysée mais pourquoi dites-vous que certaines sont « contradictoires » ?
Emmanuel Macron veut des classes de CP à 12 élèves dans les quartiers en difficulté. Très bien, mais permet-on financièrement aux communes de construire plus de classes ? Non, au contraire. Macron veut renforcer l’encadrement en Maternelle. Bien, mais ce sont les communes qui rémunèrent les ATSEM, communes dont l’État veut raboter les coûts de fonctionnement. Il souhaite plus de crèches et voudrait ouvrir les médiathèques la nuit. Parfait, mais qui fera ces investissements, qui les fera fonctionner ? Les collectivités locales, qui sont menacées de sanctions budgétaires si elles dépensent « trop » ! On voit bien que Macron n’a jamais été élu local !
Justement, le président souhaite consulter régulièrement un « échantillon de maires »… Vous seriez partante ?
Alors là, banco, je suis à sa disposition, ça lui sera sûrement très utile de s’appuyer sur l’expérience du terrain, qui lui manque manifestement beaucoup, et sur une parole directe et franche !
Propos recueillis par François Toulat-Brisson