En 1880, Vénissieux se dote d’une mairie monumentale, destinée à incarner les idéaux de la République, et qui devait servir pendant près d’un siècle, jusqu’à la construction de la mairie actuelle.
En 1870, l’empire de Napoléon III s’effondre de bien piteuse manière, dans une défaite militaire contre la Prusse. Sa chute sonne définitivement le glas des têtes couronnées en France, les députés ayant proclamé l’avènement de la IIIe République. Mais les bases du nouveau régime demeurent encore bien fragiles, les monarchistes comptant de nombreux partisans, jusque dans le gouvernement. De quel côté le pays va-t-il pencher ? À Vénissieux, le choix est sans équivoque. Même si son prénom indique le contraire – il ne l’a pas choisi ! – le maire Napoléon Sublet a la république viscéralement attachée au corps et au cœur. Aussi, à peine arrivé à la tête de notre commune, en 1879, il entame la réalisation d’un grand projet : construire une mairie digne de la nouvelle démocratie française. Un palais pour la République.
À vrai dire, l’idée n’est pas tout à fait de lui. Dès 1875, le maire Eugène Mottard envisage de reconstruire la mairie aménagée en 1836 dans une ancienne auberge, à deux pas de l’église Saint-Germain. L’on fait donc venir un architecte, qui établit un devis « pour la restauration et l’entretien de la mairie, du bâtiment de la prison, et du bâtiment de la salle d’école« . Mais le prix du chantier, 37 271 francs fait reculer les élus : pour ce montant-là, astronomique, autant s’offrir un bâtiment neuf ! Le projet en reste là. Il ressort quatre ans plus tard, une fois Napoléon Sublet élu. Le 11 novembre 1879, un conseiller municipal et ancien maire, Monsieur Garapon, suggère au Conseil municipal « la construction d’une mairie pour remplacer celle qui existe actuellement et qui est dans un état tout à fait mauvais« . Napoléon Sublet saisit la balle au bond. La vieille mairie, ajoute-il, « ne répond plus à l’importance toujours croissante de la commune« . Et de fait en 30 ans, Vénissieux s’est mué en ville, passant de 3 176 habitants en 1846 à 5 224 habitants en 1876, tandis que son hameau de Saint-Fons s’est couvert d’usines. L’heure est venue de voir grand. La décision est prise, et confirmée en décembre 1879 par un vote à bulletin secret.
Napoléon Sublet avance alors tambour battant. Il s’allie un architecte lyonnais, M. Bernard, déjà connu pour avoir réalisé trois écoles monumentales à Villeurbanne. En à peine quelques semaines, Bernard réalise les plans et le cahier des charges de la nouvelle mairie, et en mars 1880, le Conseil municipal découvre, ébahi, l’ampleur du projet. L’architecte prévoit de détruire l’ancienne mairie, et de construire à son emplacement, un bâtiment de 23 mètres de long, de 9 mètres de large et de quatre niveaux, comptant pas moins de 20 fenêtres en façade. Un vrai château ! Nulle part dans le canton, et peut-être même dans toute la banlieue lyonnaise, n’existe une aussi grande mairie. Même celle de Villeurbanne, pourtant la seconde ville la plus peuplée du département, ne souffre pas la comparaison. Le tout coûtera un peu moins de 41 000 francs, que l’on financera par emprunt. Les entreprises sont choisies, les Lyonnais Bujadoux et Gondran pour les murs et la charpente, les Vénissians Avenain, Rolando et Baron pour la ferblanterie, les peintures et la serrurerie.
Une bibliothèque, luxe suprême
La pose de la première pierre intervient le 1er juillet 1880. À 9 heures du matin, devant le conseil municipal au grand complet et une foule enthousiaste, le maire enferme dans une cavité du mur de la cave, une plaque de cuivre dont l’inscription constitue une profession de foi : « République française. Liberté, Égalité, Fraternité. Commune de Vénissieux« . Puis suivent les noms des élus et un cri du cœur en guise de conclusion : « Vive la République« . Un an et demi plus tard, en janvier 1882, le chantier est terminé. Un délai record. Pourtant, il a fallu revoir les plans de toute urgence en mai 1881, après que Jules Ferry a rendu l’école gratuite pour tous les enfants : il fallait impérativement transférer l’école de filles dans un local plus grand. Qu’importe, la place ne manquait pas dans le palais vénissian ! La maison commune se mua donc en mairie-école en deux temps trois mouvements.
Elle se dresse toujours là, devant nous, au sommet de la place Sublet. Ses auteurs n’ont pas mégoté sur la qualité. Au lieu d’un bâtiment en pisé (en terre battue) comme il en existait tant en Dauphiné, ils ont construit une mairie en pierres venues de Villebois, en Bugey, et de La Grive, près de Bourgoin. Passons sa porte principale, en « chêne de Hollande premier choix« . Elle donne accès à un couloir desservant les deux classes de l’école de filles, suffisamment vastes pour accueillir une centaine d’élèves. Un bel escalier mène au premier étage. Là se trouvent les locaux de la mairie : à gauche la salle du conseil et des mariages, à droite les bureaux du maire et du secrétaire, ainsi qu’une salle pour les commissions municipales. Le deuxième étage accueille l’appartement du secrétaire de mairie, le logement d’une institutrice et enfin, luxe suprême, une bibliothèque. Avec ses 10 m2, cette dernière pièce fait piètre figure en comparaison avec notre médiathèque Lucie-Aubrac, mais elle n’en demeure pas moins la première bibliothèque publique attestée dans le canton. Napoléon Sublet était décidément un maire à la pointe du progrès. Il installa la République en son palais, mais aussi le savoir pour tous.
Sources : Archives du Rhône, O 1861. Archives municipales de Vénissieux, 1 M 197/7 et registres des délibérations municipales, 1873-1882.