Deux jeunes diplômés ont bien voulu témoigner à condition de rester anonymes. Zorah, 27 ans, et Ilies, 28 ans, racontent leurs difficultés pour obtenir un job à la hauteur de leur diplôme : un master 2, soit un bac + 5.
Ilies et Zorah s’interrogent. Avec un bac + 5, tous deux pensaient décrocher un vrai job correspondant à leur qualification. Après avoir géré des stocks pendant deux ans et demi dans une grande surface, Ilies a enfin trouvé en tant qu’assistant d’ingénieur. Zorah est toujours en attente et travaille comme vendeuse dans un magasin de vêtements dans un centre commercial.
Ils reconnaissent que trouver un travail est difficile pour tous les jeunes mais quand on habite un quartier populaire, « il faut se rendre à l’évidence, à diplôme égal, nous ne sommes pas recrutés de la même manière. Vénissieux, Vaulx-en-Velin, La Duchère, Rillieux feraient-ils peur aux employeurs ? » s’interroge Ilies. Ce jeune homme de 28 ans a fait toutes ses études aux Minguettes. Au groupe scolaire Gabriel-Péri, puis au collège Elsa-Triolet, et enfin au lycée Jacques-Brel où il obtient un bac S. Un parcours sans faute pour cet élève travailleur aux ambitions multiples.
« Sans être paranoïaque, on s’interroge »
Après une première année de fac en mathématiques, il postule pour intégrer un DUT de génie mécanique et de productique qu’il décroche. Puis il intègre une licence professionnelle Mécanique pendant laquelle il se spécialise. « Après cette licence, je pouvais passer des concours parallèles pour intégrer une école d’ingénieurs ou faire un master. J’ai choisi l’université. » Son bac + 5 en poche, les difficultés ont commencé pour décrocher un job : « J’ai déposé des lettres de motivation et des CV, je suis allé à l’Apec (N.D.LR. : association pour l’emploi des cadres), j’ai envoyé des candidatures spontanées, j’ai répondu à des petites annonces. Aucune réponse. Rien. Sans être paranoïaque, on s’interroge. A diplôme égal, mes amis ont trouvé plus rapidement : en moyenne, un an ! C’est déroutant. Je devais me rendre à l’évidence : mon nom et mon lieu d’habitation étaient un handicap. » A presque 26 ans, il jette l’éponge. « J’avais besoin de bosser. Je voulais m’installer avec ma copine qui finissait ses études d’infirmière. » Il postule dans plusieurs grandes surfaces. « Et là, surprise. On m’a appelé très rapidement. C’est déroutant, on s’interroge. Parce que je vis aux Minguettes, je suis condamné à la mise en rayon alors que mes études me permettraient de travailler dans un bureau d’études ou au sein d’une équipe de recherches et de développement. » Deux ans et demi à travailler en grande surface, avec des horaires difficiles et loin de son master. En novembre, Ilies décide de reprendre contact avec des entreprises. « Ma copine et des amis m’ont motivé. J’ai envoyé cinq CV, une DRH m’a répondu très rapidement. J’ai passé un entretien, puis le second une semaine après. Et là, j’ai été embauché. Je n’incrimine personne, je crois que les employeurs ont peur de nous embaucher : à compétence égale, ils choisiront peut-être plus facilement le jeune du centre-ville. »
« Pourquoi devrais-je supprimer mon identité,
mon lieu de résidence pour trouver un job ?
C’est violent. »
Est-ce la peur de l’autre ? « Oui, répond Zorah. Certains employeurs ne connaissent les quartiers populaires que par ce qu’en disent les journalistes. Dans une période où le chômage frappe de plein fouet les jeunes, entre une Zorah et une Louise, ils vont choisir Louise ! » Cette jeune femme de 27 ans a fait toutes ses études primaires et secondaires à Vénissieux. Aujourd’hui psychologue, elle vend depuis plus de deux ans des vêtements dans une boutique à Lyon. « Mes stages s’étaient pourtant bien passés. Mais depuis, rien. Même si ma filière est difficile, j’ai des amies qui habitent en centre-ville qui décrochent au moins des CDD. » Zora refuse les CV anonymes : « Pourquoi devrais-je supprimer mon identité, mon lieu de résidence pour trouver un job ? C’est violent. » Se pose également le problème du réseau. « Nous ne savons pas toujours frapper à la bonne porte. » En revanche, « j’ai été vraiment déprimée de n’avoir pas trop de difficultés pour trouver un job que je qualifie d’alimentaire. C’est étonnant. D’ailleurs, dans la boutique où je bosse, nous sommes deux vendeuses diplômées ! » Zorah ne baisse pas les bras, elle a décidé de se lancer dans un doctorat : « Peut-être qu’un jour je pourrais faire de la recherche ou enseigner, sait-on jamais ? On a l’impression de courir après quelque chose que nous n’atteindrons pas. »
Tous les prénoms ont été changés. Aucune des personnes que nous avons rencontrées pour réaliser ce dossier n’a en effet accepté de témoigner à visage découvert, ni même à « prénom découvert ». Les raisons évoquées sont toujours les mêmes : la peur de mettre en avant un échec personnel, la honte de demander de l’aide, l’inquiétude d’être stigmatisé ou de devoir se justifier… Car si la plupart d’entre elles se souciaient de la réaction de leurs employeurs potentiels, certains s’inquiétaient aussi du regard de leur entourage plus ou moins proche. « On accepte encore moins l’échec lorsqu’on a un diplôme valorisant », nous a confié – anonymement – le parent d’un jeune diplômé des Minguettes.