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Et la lumière fut !

Un simple interrupteur nous donne aujourd’hui la lumière. Derrière ce geste banal, se cache un progrès fondamental accompli au XIXe siècle : faire reculer la nuit. Mais les Vénissians ont dû attendre l’aube du XXe siècle pour y voir clairement, non sans quelques bras de fer avec la puissante Compagnie du gaz de Lyon.

Un simple interrupteur nous donne aujourd’hui la lumière. Derrière ce geste banal, se cache un progrès fondamental accompli au XIXe siècle : faire reculer la nuit. Mais les Vénissians ont dû attendre l’aube du XXe siècle pour y voir clairement, non sans quelques bras de fer avec la puissante Compagnie du gaz de Lyon.

L’arrivée de la nuit amenait l’obscurité complète, et avec elle l’impossibilité de travailler, de se déplacer, ou de se protéger des dangers de l’extérieur. Il y avait bien la cheminée pour éclairer le logis, mais sa clarté ne dépassait pas quelques mètres. Quant aux bougies ou aux lampes à huile, elles coûtaient une petite fortune, et dispensaient encore moins de lumière : juste de quoi voir ses pas, et pas une goutte au-delà. Sitôt le jour tombé, à moins que la lune ne se montre généreuse, les Vénissians d’antan évitaient donc de sortir de chez eux. Ils redoutaient la nuit. Le XIXe siècle met un terme à ces craintes venues du fond des temps.
Dans les années 1830, les grandes villes de France s’équipent d’usines qui, en brûlant du charbon, fabriquent un gaz capable d’éclairer les rues et les bâtiments. Lyon se dote de sa première usine à gaz en 1833 et commence, dans la foulée, la bataille contre l’obscurité. La ville devient lumière. Vénissieux, elle, attend encore un demi-siècle les fruits de cet immense progrès. Son tour arrive en avril 1882, lorsqu’un ingénieur du nom de James Perrin, propose à la commune de la doter d’un réseau de conduites de gaz et de becs d’éclairage. Ses conditions s’avérant plus avantageuses que celles proposées par la puissante Compagnie du gaz de Lyon (la CGL), la municipalité signe aussitôt avec lui un contrat d’exclusivité pour les trente années à venir.
Mais la Compagnie lyonnaise a plus d’un tour dans son sac. Faisant comme si de rien n’était, la CGL s’entend avec les principaux industriels de Saint-Fons, qui est encore à l’époque un quartier de Vénissieux, pour leur fournir du gaz. Puis elle creuse des tranchées à travers les chemins menant à l’usine Saint-Gobain, en prétendant qu’ils sont privés, et échappent de ce fait au traité officiel ! Le maire de Vénissieux entame aussitôt un procès contre la CGL. Hélas, la commune pèse bien peu face aux millions de la Compagnie. Découragé, l’ingénieur Perrin déclare forfait et cède son contrat à la CGL. Vénissieux n’a plus d’autre choix que d’avaler cette couleuvre. Dès l’automne 1882, l’entreprise lyonnaise équipe de canalisations la route de Vienne jusqu’à Saint-Fons, ce qui permet d’éclairer au passage le quartier du Moulin-à-Vent. S’ouvrent alors des décennies de tranchées pour étendre le réseau à toute la commune. En février 1883 vient le tour du village : deux candélabres illuminent le perron de la toute nouvelle mairie, faisant briller le symbole de la République de l’incarnation du progrès. Puis chaque année apporte ses nouvelles conquêtes, à Parilly en 1899, à La Borelle en 1900, rue du Professeur-Roux en 1903, rue de la Verrerie en 1908, et jusqu’à la rue Jean-Macé en 1930, l’une des dernières équipées. Les lanternes sont d’abord bien rares ; à raison d’une ou deux par rue, prodiguant une lumière blafarde, elles font plutôt office de points de repère que de véritables lampadaires. Aussi la municipalité lutte pied à pied contre la Compagnie pour en obtenir de nouvelles : en décembre 1883, elle exige ainsi l’installation d’une lanterne supplémentaire sur le chemin de halage à Saint-Fons, un “endroit très dangereux pour la circulation dans la nuit”.

Nombreuses réclamations

Les rues ne sont pas les seules à voir la nuit reculer. Dès la signature du traité liant la commune à la Compagnie du gaz de Lyon, les habitants ont la possibilité de souscrire un abonnement pour équiper leur logement en gaz d’éclairage. Avec juste un détail de taille, le prix de l’abonnement s’établit pour eux à 35 centimes le mètre cube, contre 25 centimes pour les bâtiments communaux. Arrive l’inévitable : dès 1883, “de nombreuses réclamations” sont adressées au maire “par les habitants de la commune sur la cherté du gaz consommé par ces derniers”. Qu’à cela ne tienne ! La Compagnie, grand seigneur, concède une diminution de tarif, à condition que son contrat coure jusqu’en 1942 au lieu de 1912, prolongeant ainsi de 30 ans la concession initiale. Un nouveau bras de fer tarifaire l’oppose aux consommateurs en 1898, avec le même résultat. Du coup, l’on assiste à une démocratisation du gaz d’éclairage qui, réservé aux riches dans les années 1880, devient la norme dans les foyers populaires à l’aube du XXe siècle. Les romans de Jules Verne se muent en réalité, jusque dans la moindre ferme vénissiane. Reste un ultime progrès à faire, rendre la lumière artificielle moins chiche. Dans les rues, les becs de gaz sont mis en fonction sitôt la nuit tombée, par des allumeurs de réverbères employés par la Compagnie. Mais par mesure d’économie, ils sont coupés vers minuit : c’est à ce moment-là, le 30 juin 1891, que Jean Avenain, qui “était occupé à éteindre les réverbères sur la place de Vénissieux, fut brusquement entouré par une bande de jeunes gens ivres. Après avoir grossièrement insulté Avenain, les chenapans se précipitèrent sur lui, le rouèrent de coups et le laissèrent pour mort sur la chaussée”. Le malheureux s’en tira avec un œil crevé, malgré les secours prodigués par les voisins réveillés par le bruit. Vingt ans plus tard, en 1911, l’éclairage public était étendu à toute la durée de la nuit. Il était temps. Depuis quelques années déjà, la Compagnie du gaz affrontait un redoutable concurrent, qui allait bientôt la supplanter : la fée électricité.

Sources : Archives du Rhône, O 1862. Archives de Vénissieux, délibérations municipales (1882-1913) et O 217 (1882-1930). Journal L’écho de Lyon, 1/7/1891.

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