Le 5 octobre, lors du « Grand Rendez-Vous » de Vénissieux, une table-ronde sur le mal-logement et les expulsions a réuni la réalisatrice Karine Dusfour, Pierre-Alain Millet, adjoint au maire en charge du logement, président de la Sacoviv ainsi que Véronique Gilet, directrice régionale de la fondation Abbé Pierre, qui a bien voulu répondre à nos questions.
Qu’est-ce que le mal-logement, exactement ?
Le terme désigne la situation de 4 millions de personnes en France qui vivent dans des logements non-décents ou non-sécurisés (taudis…), dans des logements qui n’en sont pas (la rue, leur voiture, un bidonville…), dans des logements non-pérenne (en attente d’expulsion, en hébergement d’urgence, chez des tiers, …) ou non-adaptés (trop petits, trop chers…). S’y ajoute la situation de 8 millions d’autres personnes, qui peuvent être des propriétaires ou des copropriétaires, qui vivent dans la précarité énergétique, qui n’arrivent pas à faire des travaux… Au total, 12 millions de personnes mis en difficulté par la logement cher.
Quelles en sont les causes ?
Essentiellement la hausse du montant des loyers, notamment dans le logement social. Dans la région, ils ont augmenté de 50% en dix ans. Il y a aussi l’érosion du parc locatif social : le montant des aides à la pierre pour construire du logement social est passé de 60 à 40 millions d’euros entre 2009 et 2013, et va encore baisser. En 1979, le montant du loyer et des fluides (eau, gaz, électricité) représentait 25% des ressources d’un ménage modeste. Elle en représente 48% aujourd’hui. La dégradation du niveau de vie présente un fort risque de sortie du logement.
Qui sont les expulsés ? De mauvais payeurs, voire des profiteurs, comme on l’entend parfois dire ?
Ça peut être vous ou moi, car tout le monde est à la merci d’une tuile : chômage, faillite, séparation, maladie, retraite, veuvage… Dans un contexte de dégradation massive de l’accès au logement, tout changement important de ressources peut entraîner les premiers impayés. L’immense majorité des personnes expulsables sont des gens de bonne foi. Coincés dans les problèmes, ils ont fait un choix. Nourrir les enfants ou payer la quittance, par exemple.
Que peuvent faire les bailleurs sociaux ?
Ils ont considérablement amélioré leurs processus de pré-contentieux, en repérant en amont les problèmes de paiement des loyers, en embauchant des conseillères en économie sociale et familiale, en recherchant des solutions de relogement… Mais ils ne peuvent pas travailler seuls. Surtout si on leur supprime des moyens !
Les collectivités locales peuvent-elles encore agir ?
Oui, et Vénissieux est l’exemple qu’en prenant le sujet à bras le corps, une commune peut tout au moins limiter la casse, pas forcément avec de grands moyens mais en utilisant tous les leviers à sa disposition : intervention sociale directe (par son CCAS, ses travailleurs sociaux, un office HLM…), soutien aux mobilisations associatives ou politiques, action juridique… Il y a dans cette ville une dynamique qu’on aimerait voir partout !
Quelles conséquences peuvent avoir, selon vous, les récentes décisions gouvernementales concernant le logement social, telle que la baisse des APL ?
Je crains que le nombre d’expulsion n’augmente encore. À la Fondation Abbé Pierre, nous partageons les très vives inquiétudes du mouvement HLM. Faute de moyens, énormément d’organismes vont avoir beaucoup de difficulté à maintenir un service de qualité à leurs locataires. La baisse de l’APL, la suppression de l’APL « accession » (pour sortir du locatif social) et l’injonction faite aux bailleurs de faire 1,7 milliard d’euros d’économies vont avoir un impact désastreux. Et je crains que ça ne soit pas fini, avec la révision annoncée de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) et la création d’un « bail mobilité » précaire.