« C’est malheureusement de plus en plus une évidence macabre qu’en dépit des nombreuses restructurations et pertes d’effectifs que notre usine aura connu depuis 20 ans, vous allez devenir le 1er président de Bosch France à la sanctionner par des licenciements contraints ! (…) Croyez-moi, ce serait un crève-cœur de devoir expliquer aux médias que chez Robert Bosch France, on dépense beaucoup (mais vraiment beaucoup) d’argent pour faire partir les gens ou pour acheter leur silence mais qu’il n’y en a si peu pour assurer leur reclassement »
Le courrier envoyé le 19 septembre à Heiko Carrie, directeur général de Bosch France, par le délégué syndical CFDT de Bosch Vénissieux, surprend par son ton incisif. Plus partisan de la négociation soft que du rapport de force avec le patronat, son auteur, Marc Soubitez, est d’ordinaire moins virulent dans ses déclarations.
Changement de ton
Ainsi, fin août, le cédétiste qualifiait d’« exceptionnel et unique en Europe » l’accord « d’accompagnement social de Bosch faisant suite à la liquidation de Sillia », signé trois jours plus tôt par la CFDT et la CFE-CGC. Pour lui, cet accord était « le fruit d’un travail permanent des équipes CFDT ex-Sillia et Bosch afin de maintenir un contact permanent avec la direction générale de Bosch France et des échanges réguliers afin de faire le point sur l’évolution de l’activité et des inquiétudes des salariés ».
Que s’est-il passé en quinze jours, pour susciter l’ire du syndicaliste ? « Il se passe que M. Carrie ne daigne pas répondre au courrier que nous lui avons adressé le 4 septembre, un message qui voulait porter témoignage des inquiétudes très fortes des collègues du site en ce début d’automne 2017, explique M. Soubitez. Ce n’était pourtant que l’expression du désarroi d’un site qui se meure et de l’angoisse de collègues qui s’accrochent encore à l’espoir de pouvoir être reclassés au sein du site ou chez boostHEAT ».
Licenciements secs
Le hic réside là, dans les difficultés de reclassement des salariés licenciés par l’ancienne unité diesel de Robert Bosch. Traditionnellement, la multinationale évite les licenciements secs, privilégiant les ré-affectations dans le groupe ou les incitations aux départs volontaires. Assorties de primes supplémentaires, accordées en échange de la promesse de ne pas poursuivre l’entreprise aux prud’hommes.
Cette manière de faire a été appliquée par le groupe Bosch lors des PSE de son unité diesel à Vénisieux et de Sillia, cet été. Notamment en invitant la start-up boostHEAT à reprendre ses anciens salariés en priorité, assortissant ces embauches de primes importantes. En s’installant à Vénissieux, la jeune société s’était d’ailleurs engagée à recruter 50 ex-Bosch d’ici fin 2017, avant même le début de sa production de chaudières thermodynamiques. Mais à 3 mois de l’échéance, cet objectif ne semble pas atteignable.
Beaucoup d’appelés, peu d’élus…
En effet, seuls 39 anciens salariés de l’unité « éléments diesel » (sur une centaine) ont postulé chez boostHEAT : 30 ont été embauchés, 7 recalés lors des entretiens, 2 autres refusant le poste proposé. Parmi les autres salariés « diesel », beaucoup ont choisi un dispositif de pré-retraite de 7 ans, et quelques uns ont opté pour des aides à la création d’entreprise. « Au final, je pense que 32 ou 33 collègues intégreront boostHEAT, confie M. Soubitez. Nous demandons que la différence de 17 emplois promis soit comblée par l’embauche d’ex-salariés de Sillia, et qu’une solution soit trouvée pour la dizaine d’ex-Bosch sans solution de reclassement. Mais nous n’avons pas de réponse de la direction, ce qui nous oblige à hausser le ton ».
D’où la missive du 19 septembre, où transparaît aussi un fatalisme limite lyrique : « nous savons que le dossier du site de Vénissieux est désormais estampillé « cold case », celui des affaires classées et des assassinats à oublier qui n’attendent plus que la poussière ».
La menace fantôme ?
Sans grande surprise, d’autres responsables syndicaux de Bosch estiment que le ton énervé des auteurs de la lettre est « une posture, voire une imposture, pour passer pour des durs à cuire alors qu’ils accompagnent tous les plans de licenciement de Bosch depuis des décennies ! De toute façon, la direction a jusqu’à la fin du mois pour trouver des solutions de reclassement, donc elle n’est pas encore en retard ».
Qu’elle relève d’un coup de gueule inattendu ou du coup de pression convenu, cette lettre révèle, en tous cas, l’inquiétude de salariés menacés par le chômage et leur amertume face à la casse de leur outil industriel.