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Des boîtes à souvenirs emplies d’émotions

Après huit mois d’un patient travail de mémoire, quatre résidents de l’Ehpad La Solidage ont présenté leur « Je me souviens » et leur « boîte à souvenirs », symboles émouvants de parcours de vies sur près d’un siècle. Nous publions tels quels ces récits à la première personne.

Ils ont 362 ans à eux quatre. Et des vies bien remplies, mises en boîtes à l’Ehpad La Solidage, à Vénissieux. De janvier à juillet 2017, Marie, Jeannine, Odette et Jean ont participé à l’atelier « Je me souviens… », conduit par quatre intervenantes de la Mutualité française et de l’établissement*. Huit mois d’un long processus de résurgence de l’histoire personnelle et familiale de ces personnes âgées, où il a fallu parfois remettre dans l’ordre les événements de leur vie. Une fois le récit récolté, les animatrices ont aidé les participant(e)s à choisir une boîte, emplie ensuite de petits éléments, symboles des événements de leur vie. Le 4 juillet, le résultat était présenté à tous lors d’une petite fête. Avec leur permission, nous présentons leurs récits, tels quels.

« J’ai cousu toute ma vie »
Marie Ditadian, 91 ans

« Je suis née en Espagne, le 3 Février 1926 à La Union, vers Carthagène. On parlait espagnol à la maison et français dehors.
Un jour, ma mère a ouvert la fenêtre et elle a dit : « regarde, il y a plein de farine dans la cour », c’était de la neige. Je devais avoir deux ou trois ans.
Je suis pas allée en maternelle. Quand il fallait faire une dictée, les premiers temps, je faisais des gribouillons. La maitresse, elle en rigolait. Avec Fernande, une copine, on s’amusait à trouver des mots rigolos avec nos noms. Alors on disait : « Marie Sanchez, monte sur ta chaise et dis-moi qui est Louis XVI ».
J’ai eu mon certificat d’études, point final. Pour gagner deux sous, j’enfilais des perles. Pas sur un fil à coudre, sur un fil de fer très fin. On faisait des couronnes mortuaires. Enfin les hommes faisaient les couronnes. Nous on enfilait juste les perles, c’était comme ça.
Après, j’ai été au cours ménager. C’était des cours, on apprenait tout : la couture, la cuisine… On faisait de la gymnastique aussi, du cheval d’arçon. D’ailleurs, j’en ai fait jusqu’à cinquante ans, de la gym dure, pas de la petite gymnastique.
Et puis, je faisais partie d’un groupe de copains, on dansait beaucoup le samedi et le dimanche, à la salle des fêtes de Saint-Fons. On en agrippait un, souvent celui qui dansait le mieux. Moi j’ai eu le meilleur danseur. Pourquoi il me plaisait ? Parce qu’il était beau, c’était le plus beau de tous, et puis il était gentil et il me regardait trop, voilà.
Je me suis mariée à vingt ans, à vingt-deux ans j’avais mon fils, on n’a pas attendu longtemps. Et du coup, j’ai eu qu’un fils, à cause de ma sœur parce qu’elle, elle en a eu huit. Ou à cause de mon accouchement, c’était dur, et là j’ai dit : « je ne suis pas prête d’en faire un autre ».
Mon mari, il était tailleur sur mesure, on a cousu toute notre vie ensemble. Au début, je faisais de la lingerie pour des filles de joie, des pièces très fines, très jolies, fallait tout broder avec de la dentelle. Puis, avec mon mari, on en a fait des drôles de choses : embellir un bossu et faire des poches partout pour le costume d’un prestidigitateur ; Et autant vous dire qu’un costume de prestidigitateur ça en a des poches ! »

« J’entendais les pas de l’oie dans la cour »
Jean Traversaz, 87 ans

« Bon alors, je suis né comme les marteaux, à Bron, en 1930. Quand Fourvière est tombée. Le jour du tremblement de terre. La colline est descendue, ça a fait accoucher ma mère.
J’habitais dans le lycée Ampère parce que mes parents étaient embauchés au lycée Ampère. Mon père était dépensier et ma mère infirmière-lingère, elle brodait tout le linge du lycée. Mon père connaissait tous les professeurs, j’étais mouchardé, je pouvais pas faire tout ce que je voulais. Je dessinais l’école. Mes dessins étaient affichés dans la classe. Nano il m’appelait. Mes dessins étaient signés comme ça. Ce nom m’est resté jusqu’à l’armée.
À la saison allemande, j’étais tout jeune, j’étais gamin. Ah, on en a fait de ces trucs ! En 1940, je suis monté sur un char comme un couillon, je me suis fait engueuler par des officiers. Avec les copains, on mettait les soldats de plomb par terre, dans les crottes. On avait les chleus le matin à huit heures dans la cour, ils faisaient le pas de l’oie, fallait pas les regarder. Ils gueulaient s’ils nous voyaient les regarder, alors je me planquais dans une classe avec le fils Revel. Il a été tué en Indochine. Les Allemands sont partis à la libération de Lyon, en 44, ils ont pris tout ce qui était brodé. Et les français ont pris leur place, puis les américains. Ma sœur en a connu un : Jeff. J’en ai fait des conneries avec lui, un vrai kakou avec les belles blondes. Ah sa voiture, une Plymouth, qu’est-ce qu’on a pu en faire ! Enfin bon, c’est fini…
À Leyment y’avait un sacré camp militaire, j’étais radio, j’essayais de faire passer des trains de munitions pour l’Indochine. J’avais pas mal de copains, je connaissais tout le monde, les gendarmes, les flics. En étant militaire, on faisait un peu ce qu’on voulait. Un jour, j’ai tué une brebis sur le camp, quand on avait fini de manger, l’adjudant a dit : « vous l’avez pris où ce mouton ? » « Ah ben on s’est servi là ». C’est la meilleure partie de ma vie à Leyment. Enfin… c’est du passé. C’est fini, on en parle plus.
J’ai aussi travaillé 40 ans chez Berliet. Je montais les moteurs des camions militaires, j’étais mécanicien, après je suis passé chef d’équipe, contremaitre, et j’ai fini comme chef d’atelier. C’était des grands boites, attention c’était pas n’importe quoi !
À la retraite je suis resté dans l’Ain. J’allais à la pêche avec les copains. J’étais pêcheur de truite, d’omble et de grenouilles. Les grenouilles, je les pèche avec leur peau. Vous prenez une grenouille, vous la tuez, vous la pelez. Elles mordent la peau et là on les tire.
Allez, c’est fini ! »

« Odette, unte vas ? »*
Odette Favre, 93 ans

« Ah, le Midi, ses odeurs, ses vignes, le chant des cigales… Et ouais, je suis une fille de Vias.
 Tout a commencé en 1924, le jour de ma naissance, je suis fille d’espagnols.
Mes parents se sont rencontrés à Vias, car il y avait du travail à ce moment-là. Ils avaient des vignes, ils travaillaient beaucoup pour gagner la vie, pour manger car je n’étais pas seule… J’étais la petite dernière d’une fratrie de quatre. Bien qu’ils ne m’attendaient plus, j’étais chouchouté de tout le monde. Mes parents, ils étaient biens, on a été bien élevé. Fallait aller droit et puis c’est tout.
Vias, c’est superbe, nous habitions une maison ancienne à deux kilomètres de la plage et pas loin de l’église. Dans le village, tout le monde m’aimait, je faisais les courses pour les personnes âgées, ils me donnaient quelques sous et beaucoup de tendresse.
Enfant, il m’arrivait de faire quelques bêtises comme taper aux portes des anciens et partir en courant pour les faire maronner. L’école, et bien je n’étais pas bien intelligente, mais je me souviens de Mme Bonhomme, mon institutrice, on chantait tout le temps avec elle. Et puis il y avait le catéchisme…
Mais Vias, c’est surtout les vendanges. J’ai commencé à vendanger j’avais dix ans. On mettait le raisin dans des seaux puis dans des comportes, et je les écrasais avec les pieds. On faisait le vin du Midi, du rouge, du rosé, du blanc. J’aime pas le vin, je l’ai jamais bu. Y’a des gens qui le trouvaient bon et après ils rigolaient… Moi je rigolais de voir les autres rire.
C’est là que j’ai rencontré Dédé, mon mari, un lyonnais. Il a atterri dans les vignes parce que je devais lui plaire ! Les vendanges, ça faisait des mariages ! C’était la fête, on allait au bal du 15 août, on chantait, on dansait. Et les garçons on leur disait « les mains dans les poches ! » Si vous les laissez faire, ils étaient malins… Y’en avaient qui étaient beaux, y’en a que j’ai aimé, gentiment. Dédé il était très bien, il était beau et très gentil, il est parti trop tôt.
Les années ont passées, il m’a ramené à Lyon. Nous avons eu deux enfants, Serge et Ginette. Tout allait toujours bien, on s’amusait, j’ai bien profité.
Moi je suis une fille de Vias, j’ai élevé mes enfants comme j’ai voulu, ils ont fait comme ils ont voulu et j’étais toujours heureuse. »

* « Odette, où tu vas ? » (patois viassois)

« 5 francs pour aller au cinéma »
Jeanine Berlioz, 91 ans

« Je suis née un mercredi à 10h30, à Vaise, rue Marietton. Maman a accouché à la maison : en 1926, au mois de mars, le 3. J’étais un gentil bébé.
Après j’ai habité Saint-Fons, parce que mon papa connaissait les coins, il voyageait tout le temps en voiture. Je devais avoir huit ou neuf ans quand je suis venue à Saint Fons. C’est vieux tout ça.
Maman elle s’en voyait avec moi. J’étais la plus fragile, de mon frère et de ma sœur. J’étais tellement fragile qu’elle devait me garder tout l’hiver à la maison. Je couchais même dans la chambre de mes parents quand j’étais gamine.
Ma mère, elle a toujours été le commandant, elle avait un regard dur. On subissait « ses commandassions ». Mon papa c’était pas pareil, il était plus coulant.
J’ai été à l’école jusqu’à… j’sais pas moi. J’ai pas eu le certificat. Mon frère et ma sœur non plus. On était des bons élèves. Quand j’ai arrêté l’école, maman m’a dit qu’il fallait que j’aille dans un centre ménager. Alors, j’ai fait du ménage… J’avais 17 ans à cette époque, j’étais devenue jeune fille, j’avais ma propre chambre. J’avais des copines, mais je restais chez moi avec mes parents.
Le dimanche, ma mère me donnait cinq francs. Elle me disait : « et ben tu iras au cinéma » et j’allais au cinéma toute seule. J’aimais aller voir des films d’amour en mangeant une glace au chocolat.
Mon mari, je l’ai rencontré à l’hôpital. Parce qu’il se faisait opérer de l’appendicite. Avec mon père, ils étaient tous les deux dans la même chambre. Il lui a dit : « j’ai une fille qui reste à la maison, si tu veux la sortir » et voilà. Mes parents, ils étaient vieux, c’est pas eux qui allaient me sortir.
On s’est marié en 49, en 50 j’avais ma fille, en 51 mon fils et en 53 ma troisième.
La sage-femme Mme Pacaillet, elle faisait accoucher dans les HLM. Oh mais ça n’a pas été tout rose pour les élever, ils ne profitaient pas, sauf la dernière.
Après le mariage, on vivait avec mes parents. Puis mon mari s’est débrouillé pour avoir un logement et on a pris mes parents avec nous. J’ai travaillé un peu, mais il a fallu que j’arrête, pour m’occuper de maman et de mes trois enfants. Des sacrifices, on en a fait avec mon mari. J’étais gentille avec ma mère, et mon mari il aurait tout fait pour la garder, même si parfois ils se disputaient…
Quand on avait du temps, on jouait aux petits chevaux et aux dominos, comme des gosses. Mon mari disait que j’étais une frouilleuse car je gagnais tout le temps, je dois avoir un don !
On peut dire qu’on a eu une drôle de vie avec mon mari ! »

 


* Laëtitia Anestis (chargée de projets à la Mutualité française Rhône-Alpes), Sylvia Bachelet (animatrice), Émilie Chappuis (ergothérapeute), Sonia Faure (psychologue).

© Photos Raphaël Bert / Expressions

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