Zorah rêve de devenir pilote d’hélicoptère ou infirmière. Adam, lui, n’a qu’une idée en tête : réussir ses études et gagner de l’argent. Pour trouver un appartement à sa maman.
Quand la vie bascule
L’histoire de Zorah (14 ans), d’Adam (12 ans) et de leur mère pourrait ressembler à celle de beaucoup de Français. Une vie de famille tranquille pendant six ans. Puis le coup dur : la séparation du couple. Le père abandonne femme et enfants. La jeune maman se retrouve seule, avec un petit revenu. Elle se met alors à arbitrer chaque dépense au plus juste et à chercher de l’aide pour ne pas s’enfoncer trop profondément dans la précarité.
Tous les trois participaient à la manifestation organisée à Lyon, place Louis-Pradel, le 8 avril dernier par le secours catholique-Caritas France. Deux bus aux couleurs de l’association y faisaient une halte dans le cadre d’une campagne nationale « Liberté , égalité, stop aux préjugés ». Avec l’accord de leur mère, les deux ados ont bien voulu témoigner, parler de leur vie, du regard des autres, des préjugés, à condition de garder l’anonymat.
« Pas nés pauvres »
Les deux gamins ressemblent à beaucoup d’autres : ils aiment la musique, les jeux sur l’ordi, ont des copains, des copines. Ils font partie de ces millions d’enfants qui, en France, vivent au sein d’une famille précaire. « Depuis le départ de notre père, notre situation a complètement changé, raconte Zorah. On n’est pas nés pauvres, vous savez ? On l’est devenus. Mais bon, ça ne nous empêche pas d’être heureux. L’amour et l’énergie que nous donne notre mère sont incroyables ! »
La honte
La précarité, est-ce que c’est la honte ? « Oui, un peu, avoue Zorah. Le plus difficile, c’est les préjugés. Des fois, on entend des choses qui font mal. On parle « d’assistés », de gens qui feraient exprès de pas s’en sortir… L’hiver, maman va aux Restos du cœur. Je ne vais plus avec elle parce que j’ai peur de croiser des gens qu’on connait. Pour moi, ce serait insupportable. Mais maman nous apprend à vivre la tête haute. C’est un exemple pour nous. »
Adam est plus réservé : « Contrairement à ma sœur, je pense pas qu’on soit pauvres. Il y a des gens qui vivent dans la rue, qui n’ont pas d’argent du tout, leur vie est bien pire que la nôtre. Nous, on a un appartement, on va au collège. »
Sentiment d’exclusion
Dans une société de consommation où les sollicitations sont nombreuses, le manque de ressources entraîne un sentiment d’exclusion. « On n’a pas toujours ce qu’on veut. Par exemple, des vêtements ou des chaussures de marque, explique Zorah. C’est pas facile d’affronter le regard des autres. À notre âge, on ne voit pas les autres pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils portent. On sent bien les ricanements parfois. » La jeune fille exprime aussi ce sentiment d’ambivalence : « Quand maman peut nous acheter quelque chose de marque, je suis très heureuse, mais en même temps, je culpabilise. » Adam, c’est le téléphone portable qui lui manque vraiment, mais pour l’instant, c’est impossible, trop cher ! « Mes copains ont des trucs hyper classes, moi j’en ai pas, et celui de ma sœur ressemble à un « tél » du Moyen-Âge… »
Les études, porte de sortie
Leur mère ne peut pas s’empêcher de se sentir responsable. « C’est culpabilisant de ne pas pouvoir répondre à leurs aspirations. Mais ils le savent, ils sont raisonnables. » Pour combler ce manque, elle les ouvre à des activités culturelles et sportives : cinéma, visites de musées à Lyon, médiathèque, balades au parc de la Tête d’or, piscine, sorties avec les centres sociaux… Pour elle, l’avenir de Zorah et d’Adam passe par les études. « C’est primordial. Pour l’instant, tous les deux sont bons élèves. Ma fille va rentrer en seconde générale, son frère en 4e. Je veille au grain. Je les suis de très près. J’ai la chance de pouvoir le faire. Je rencontre régulièrement les enseignants. Je ne tolère pas une baisse de moyenne. » Autre injonction : « Interdit de traîner dans la rue où des sollicitations peu honnêtes existent. Je n’ai qu’un objectif : qu’ils s’en sortent mieux que moi. »
« Qu’ils ne jugent pas ! »
Zorah en veut à certains enseignants : « Ils s’énervent contre des copines qui ne travaillent pas bien. Mais est-ce qu’ils savent comment elles vivent ? Est-ce qu’ils savent dans quelles conditions elles font leurs devoirs ? Est-ce qu’ils se rendent compte de ce que ça fait d’entendre sa mère pleurer parce qu’une facture imprévue est arrivée ? Non, ils ne savent rien de nous. Alors, qu’ils ne jugent pas ! Je suis en colère car je déteste l’injustice. Je comprends que certaines des mes copines décrochent, en aient assez… Heureusement, d’autres profs sont attentifs et bienveillants. On peut se confier à eux. J’aurais envie qu’on nous écoute, qu’on nous donne la parole. Si je continue à bosser comme ça, je devrais décrocher mon bac. Je rêve de réussite, d’études longues, mais est-ce que je pourrais me les payer ? »
Adam s’interroge et rêve d’une société plus solidaire : « Pourquoi des gens gagnent tant d’argent et d’autres aussi peu ? Qu’est-ce qu’on peut y faire ? Ce qu’on entend à longueur de temps, ça nous abîme, nous. » « C’est vrai, reconnait sa maman, les préjugés, ça divise et ça oppose les gens entre eux. Et, à force, ça finit par aggraver la pauvreté. »
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