Originaire du Rwanda, le pays des mille collines — plus précisément de Nyamirambo, quartier populaire de Kigali — où elle a vécu jusqu’à ses 18 ans, Sabine Mugeni en a fait du chemin. Et des kilomètres aussi. « Pour aller à l’école et plus encore au collège, se souvient-elle, je faisais les trajets à pied. »
Elle a 9 ans, en 1994, quand survient l’événement déclencheur du terrible génocide. Le 6 avril, l’avion du président rwandais Habyarimana est abattu. Ses fidèles de la majorité hutu se lancent dans le massacre de la minorité tutsi. Trop jeune pour se rendre compte de la folie meurtrière qui s’empare du pays, Sabine se doute néanmoins de quelque chose. « Il n’y avait pas de climat particulier à Kigali où nous passions, avec d’autres enfants, l’essentiel de notre temps à l’école ou à profiter de nos temps libres en s’amusant. Mais dans les quartiers limitrophes, il y avait une ambiance un peu électrique, parfois des manifestations assez bruyantes. Et quand j’interrogeais mon père sur cette situation, je n’obtenais aucune réponse. Si je poussais un peu plus, posant les mêmes questions à mes proches ou aux amis, on me répondait invariablement de demander à mon père. »
On rappellera que ce dernier, Tutsi, avait été nommé ministre du Plan sous la présidence de Juvénal Habyarimana, et que le principe de précaution l’obligeait à imposer le silence autour de lui. D’avril à juillet 1994, environ 800 000 Rwandais furent tués, pour l’essentiel des Tutsis, mais aussi des Hutus modérés qui s’étaient montrés solidaires de leurs voisins. Après avoir pu se réfugier près d’un hôtel abritant des Casques bleus, Sabine et ses proches ont été épargnés. À une exception. « Seul mon oncle, Emmanuel Ntarugera dit Gisembé, y a laissé sa vie. »
Quatre ans plus tard, dans un pays traumatisé, déchiré, où les deux ethnies doivent réapprendre à vivre ensemble, Sabine découvre le basket lors du Mémorial Gisembé, un tournoi organisé par le club de l’Espoir BC, en mémoire de son oncle, ancien international, et des anciens joueurs et supporters de cette équipe de basket-ball de Kigali, massacrés durant le génocide. Mais l’adolescente ne peut le pratiquer de façon assidue, son père lui faisant comprendre que seules les études sont prioritaires.
Cap sur la France
Il n’aurait pas déplu à Sabine de suivre un cursus universitaire dans son pays, à Butare, à une centaine de kilomètres de Kigali. Mais son père en décide autrement, « conseillant » en 2004 à celle qui a brillamment décroché un bac scientifique de se rendre en France, plus précisément à Marseille, où un proche de la famille peut lui servir de guide. « J’étais étudiante dans un campus et pas question de toucher à un ballon de basket. C’était études à fond. Du moins la première saison. Ensuite, j’ai suivi des copines de fac, j’ai pris une licence au SMUC à un niveau prénational. Une expérience peu concluante, je me sentais fautive d’avoir désobéi à mon père. »
Avec son DEUG maths et informatique en poche, Sabine veut poursuivre ses études à Paris ou Lyon, réputées pour assurer des troisièmes cycles à dominante scientifique de qualité. Elle opte pour l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Villeurbanne, s’inscrit en sport universitaire, option basket bien évidemment, se lie d’amitié avec des joueuses de très bon niveau évoluant en N1 à Lyon basket ou au FCL. Mais toujours fidèle à la parole donnée à son père, elle ne prend pas de licence dans un club. L’année suivante, elle se pique pourtant au jeu, rejoint des amies évoluant en Régionale à Bron, accède à la Nationale 3 en fin de saison.
En 2009, Sabine Mugeni devient ingénieure en informatique. Sur le plan sportif, elle navigue entre Villeurbanne et le FCL. Mais un règlement fédéral l’empêche de jouer au niveau national, faute de nationalité française. « J’avais de bonnes copines au club, j’ai décidé de me contenter des entraînements et de ne pas jouer le week-end. » La saison suivante, le FCL connaît des dysfonctionnements internes, le groupe de copines éclate, Sabine rejoint alors Caluire et retrouve des connaissances. Mais le règlement fédéral reste le même. Pendant six mois, Sabine ne peut évoluer au haut niveau. « J’avais anticipé pour obtenir la nationalité française, mais cela ne se fait pas d’un claquement de doigts ». Elle obtient enfin le fameux sésame en novembre 2011, mais avec de petites contraintes. « Une autorisation de travail renouvelable chaque année qui m’obligeait à me rendre à la préfecture deux fois par an, donc à me lever à cinq heures du matin pour en ressortir six heures plus tard. » De Caluire, elle passe à Vénissieux où elle retrouve sa complice Charline Morateur et Sylvain Laupie, le coach.
Retour à Kigali
Depuis maintenant trois saisons pleines, affichant fièrement sa double nationalité française et rwandaise, Sabine Mugeni s’extériorise au poste d’intérieure de l’AL Vénissieux Parilly, un club qui espère ne pas retomber à un niveau régional. « L’équipe et les dirigeants sont sympas, le climat convivial, voire familial, s’amuse-t-elle. Il suffit de voir le nombre de poussettes et d’enfants qui entourent le parquet du gymnase Anquetil lors des matches. Cela me convient très bien. »
Sur le plan professionnel, après avoir été chargée d’études et de développement chez Open, elle est devenue chef de projets chez Apollo SSC, une société villeurbannaise. Parallèlement, elle s’investit dans l’association Rafi’Kids basket-ball. « Mise en place par Benjamin Simonis, un Belge expatrié au Rwanda, cette association a pour but d’aider les enfants les plus démunis de Kigali, en leur offrant divertissement et joie à travers la pratique du basket. Une manière d’acquérir des valeurs fondamentales liées à ce sport telles que l’esprit d’équipe, la confiance en soi et la discipline. Rafi’Kids est chargée de récupérer des vêtements de sport qui sont ensuite distribués, et envisage à l’avenir de récolter des fonds pour aider aux frais de scolarité. Beaucoup d’associations sportives lyonnaises jouent le jeu, notamment mon club de Vénissieux. »
Le 4 décembre dernier, avant le dernier match de championnat 2016, les dirigeants vénissians ont remis à Sabine maillots, ballons, équipements sportifs et dons divers. Trois semaines plus tard, la franco-rwandaise se rendait sur sa terre natale pour prendre part au camp d’entraînement gratuit d’une semaine destiné à 125 jeunes.
« J’ai passé une dizaine de jours incroyables, raconte Sabine. Outre l’opération de solidarité, j’ai pu retrouver les miens. J’en parle encore avec émotion. » La jeune femme n’envisage pas toutefois son avenir au Rwanda. « Si j’ai décidé de prendre la nationalité française, ce n’est pas seulement pour le basket. C’est en France que je veux faire ma vie. D’autant que sur le plan professionnel, la nationalité française est un « laissez-passer » qui m’autorise à être très mobile. S’il faut bouger, pas de problème. »
Le Rwanda ? Elle s’est fixée comme objectif d’y retourner une fois l’an, avec l’association Rafi’Kids. « Ma grande fierté, souligne-t-elle, est d’avoir pu établir des passerelles entre la France et Kigali. »
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