En à peine quelques décennies, les nouvelles technologies ont envahi notre quotidien : smartphones, GPS, tablettes, objets connectés, ordinateurs… De plus en plus présentées comme indispensables, elles sont pourtant encore loin d’être accessibles à tous.
Sommes-nous tous égaux face à la montée des nouvelles technologies ? D’une part, l’écart semble chaque jour se creuser entre des seniors qui ne possèdent pas toujours une adresse mail, et des adolescents rompus à l’utilisation des réseaux sociaux, des jeux en réseau et des discussions en direct. D’autre part, on constate que lorsque les revenus des familles ne leur permettent pas d’acheter un micro-ordinateur, elles rencontrent des difficultés pour accéder à des services essentiels comme ceux de Pôle emploi, de la CAF ou des impôts.
À l’Office municipal des retraités de Vénissieux (OMR), le fossé entre les générations n’est pas une nouveauté. Même entre les retraités eux-mêmes, les différences sont importantes. “Nos adhérents sont âgés de 56 à 95 ans, soit une différence d’environ quarante ans. Certains d’entre eux ont pu suivre l’évolution du numérique dans leurs entreprises, quand leur métier s’y rattachait. D’autres sont totalement passés à côté, note Jean-Bernard Bert, le président. Aujourd’hui, les plus âgés me demandent comment effacer leurs messages sur leur téléphone, comment le mettre à l’heure… J’en connais aussi qui ont acheté une voiture avec un GPS intégré dont ils n’arrivent pas à se servir”.
Les plus âgés en retrait
Selon une étude du centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) portant sur l’année 2015*, 71 % des plus de 70 ans possèdent toutefois un téléphone mobile — contre 92 % pour l’ensemble de la population. Mais l’ordinateur du foyer, quand il existe, reste parfois un objet bien mystérieux, voire inquiétant. D’après l’étude, si 97 % des 12-17 ans ont accès à un micro-ordinateur, seulement 43 % des plus de 70 ans en possèdent un.
“Tous nos adhérents ne possèdent pas un micro-ordinateur. Et ceux qui en ont un ne s’y intéressent pas forcément, ou ont peur de s’en servir”, rapporte Sophie Bidault-Vouilloz, la directrice de l’OMR. Qui précise que seulement un quart des membres de l’association dispose d’une adresse e-mail… dont ils ne se servent pas toujours. On comprend que, pour les seniors, régler des achats ou effectuer des formalités par internet relève alors du parcours du combattant, voire de la gageure. Cette fameuse adresse e-mail est en effet indispensable pour utiliser des services de vente en ligne, payer ses impôts par internet (et bénéficier ainsi d’un délai supplémentaire) ou gérer son profil Pôle emploi. Entre autres.
Par crainte de rester isolés, pour gagner du confort ou par simple curiosité, les seniors se tournent donc souvent vers leurs enfants pour les aider à franchir le virage numérique. Ce sont eux qui installent les micro-ordinateurs, créent les adresses e-mail, effectuent les réglages de base… Mais ne sont pas toujours suffisamment présents pour les aider ensuite. L’OMR pousse donc les aînés qui se sentent dépassés à suivre des formations comme il en existe à la médiathèque de Vénissieux**. “Notre message est simple : il n’est jamais trop tard pour acquérir les notions de base”, assure Jean-Bernard Bert.
La fracture est aussi sociale
Cette fracture numérique trouve aussi son origine dans des facteurs sociaux. Toujours d’après le CREDOC, les titulaires d’un diplôme supérieur sont équipés à 92 % d’un micro-ordinateur contre 46 % pour les non diplômés. Et si 91 % des foyers à hauts revenus en possèdent un, ce chiffre descend à 75 % pour les bas revenus. Pour les ménages les plus fragiles, les coûts d’un abonnement internet, d’un micro-ordinateur ou d’une tablette restent en effet prohibitifs. À Vénissieux, qui connaît un taux de chômage moyen de 30 %, les foyers peu ou mal équipés en matériel informatique sont donc nombreux.
L’accès à internet est-il alors remis en cause ? Pas nécessairement. “Dans les situations que l’on m’a rapportées, c’est plutôt un problème de partage des équipements qui se pose. Quand il n’y a qu’un seul micro-ordinateur pour toute la famille, c’est compliqué, tempère Bruno Martin, directeur adjoint à la médiathèque de Vénissieux. Mais les taux de couverture ADSL de la ville sont supérieurs à la moyenne nationale, ce qui sous-entend un certain niveau d’équipement. Et quand les gens ne vont pas sur internet avec un micro-ordinateur ou une tablette, ils peuvent éventuellement utiliser leur portable.”
À l’échelon national, l’usage du smartphone — téléphone “intelligent” — est d’ailleurs en passe de supplanter celui des supports classiques dans l’accès à internet. Selon le CREDOC, 9 Français sur 10 possèdent un téléphone mobile, tandis que plus de la moitié de la population (58 %) détient un smartphone. Sur l’année 2015, l’organisme a observé une forte évolution de l’accès au smartphone pour presque toutes les catégories sociales, avec notamment une progression de 28 points par rapport à 2014 pour les 12-17 ans. Ils sont aujourd’hui 9 sur 10 à en posséder un.
Ceux qui, malgré tout, ne peuvent accéder à un terminal numérique et à internet, pourront toujours utiliser les équipements et les connexions mises à disposition par différentes structures. Pôle emploi Vénissieux permet ainsi aux chômeurs inscrits d’utiliser un espace dédié comprenant une douzaine de postes, dans le cadre de leur recherche. Les collégiens, pour qui le numérique fait partie intégrante de l’enseignement, ont accès à des micro-ordinateurs dans les CDI de leurs établissements.
Pour sa part, la médiathèque met à disposition de ses bénéficiaires une quarantaine de postes connectés répartis en trois salles, auxquels s’ajoutent une dizaine d’autres situés dans les bibliothèques de quartier. Elle propose aussi nombre de formations et d’ateliers gratuits, parfois en partenariat avec des structures comme l’Office municipal des retraités ou Pôle emploi. Chaque année, ce sont 250 personnes, de tous niveaux, tous âges et toutes conditions sociales, qui passent par la médiathèque pour apprendre ou se perfectionner en informatique.
Mais au-delà des aspects techniques, une autre question a fait son apparition ces dernières années avec la montée en puissance des réseaux sociaux. Désinformation et théorie du complot guettent en permanence les internautes trop crédules ou trop pressés. “Il s’agit d’une problématique plus large que celle de la fracture numérique, celui du décryptage des informations. Ce sera sans doute l’un des enjeux du numérique dans les années à venir”, conclut Julie Peugeot, directrice de la médiathèque et des bibliothèques de quartier.
* Baromètre du numérique, Édition 2015
** Médiathèque Lucie-Aubrac : www.bm-venissieux.fr
Photos Raphaël Bert
Les réseaux sociaux, nouveaux prescripteurs ?
Les réseaux sociaux, Facebook en tête, ont-ils favorisé l’élection de Donald Trump ? Le site spécialisé Buzzfeed a ainsi affirmé le 16 novembre que les articles relayant de fausses informations auraient suscité 8,7 millions de réactions sur Facebook, contre 7,3 millions pour ceux de la presse traditionnelle. Le très sérieux New York Times a pour sa part révélé qu’en juillet dernier, une fausse information annonçant le soutien du pape François à Donald Trump avait été partagée près d’un million de fois. Or, selon plusieurs études, les Américains se sont informés à 42 % par les réseaux sociaux pendant la campagne…
Dans un premier temps, Facebook s’est défendu de mettre en avant des contenus mensongers, tout en soulignant que le réseau social ne peut être considéré comme un média. “Personnellement, je pense que l’idée que de fausses informations sur Facebook, qui ne représentent qu’une toute petite partie des contenus, aient influencé la présidentielle est une idée assez dingue”, a assuré son fondateur, Mark Zuckerberg. Pourtant, le 16 novembre, Facebook et Google ont indiqué tous deux avoir pris des mesures pour priver de revenus publicitaires les faux sites d’information. Avant que Mark Zuckerberg ne reconnaisse quelques jours plus tard qu’“identifier la vérité est compliqué”…
Reste que le principe des réseaux sociaux consiste à proposer à leurs utilisateurs un contenu qui leur plaisent, à eux et à leurs “amis”. On est bien plus proche de l’entre-soi que du débat contradictoire.
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