Est-il plus facile de trouver des clients que de signer un CDI ? Oui, semblent dire les nombreux demandeurs d’emploi des quartiers populaires qui se sont lancés dans la création de leur propre entreprise. Alors que le chômage flirte toujours avec les 30 % sur son territoire, Vénissieux a vu 498 nouvelles sociétés naître en 2015, selon les chiffres fournis par la Ville et la Métropole.
« Dans toutes ces créations, il y a beaucoup d’entrepreneuriat de nécessité”, relève Laurent Alibert, responsable de l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE). Au sein de cette association qui octroie des micro-crédits aux entrepreneurs ne pouvant bénéficier de prêts bancaires, on rappelle que les entreprises en question sont de taille modeste. 67 % d’entre elles sont des entreprises individuelles, et seulement 4 % comptent des salariés. “Dans certains cas, la création d’entreprise est une manière de remédier à la difficulté de trouver un emploi, et d’accéder à un statut social. C’est alors une sorte de “Plan B”, un choix par défaut, analyse Djil Ben Mabrouk, adjoint vénissian à l’emploi et au développement économique et commercial. Et c’est une des raisons qui font que Vénissieux reste un territoire dynamique en matière de création d’entreprises. La moitié d’entre elles se font d’ailleurs sur le Plateau.”
L’espoir d’un avenir meilleur
Quant aux secteurs d’activité choisis par les entrepreneurs des quartiers, ils restent plutôt conventionnels. “90 % des porteurs de projets veulent se lancer dans les bâtiments et travaux publics, les services aux personnes et aux entreprises, le transport et encore le commerce”, précise Laurent Alibert. On est bien loin des rêves et des clichés de start-up high-tech. Mais comme le rappelle Jérôme Bouillaud, responsable de l’association Planet Adam, qui accompagne les créateurs d’entreprises, “ces secteurs d’activité représentent aussi 90 % de l’activité économique en France, si l’on enlève l’industrie dont les investissements nécessitent des financements bien trop lourds”.
La difficulté à trouver un emploi, c’est entre autres ce qui a poussé Heykel El Wechtati, 42 ans, à se lancer dans sa nouvelle vie de commerçant. Titulaire d’un BTS d’agronomie, ce Vénissian dont les parents ont tenu autrefois un restaurant en Turquie, a décidé de créer un magasin de chaussures et de vêtements. Il vend pour l’heure ses produits sur les marchés. Pour vivre décemment, il réalise aussi régulièrement des “extras” en tant que maître d’hôtel. Les journées sont parfois longues. “Certains vendredis, je termine vers 5 heures du matin. Il me reste juste le temps d’aller m’installer sur le marché, témoigne-t-il. J’ai expliqué à mes enfants que si je ne suis pas là souvent, c’est pour l’intérêt de la famille. Mais dans deux ans, j’espère bien que tout sera stabilisé et que je pourrai quitter la restauration.”
Autres profils, autres ambitions. Âgés de 19 à 26 ans, Tazday Anrifouddine, Elbak Soulé et Youssouf Mze Soulé Elbak ont choisi eux aussi de vendre des vêtements. Mais ce seront les leurs. “Nous avons eu l’idée de la marque Celullaire il y a dix ans, explique Tazday. Nous allons d’abord distribuer une casquette à lacets, et un débardeur à lacets avec capuche. Mais ce n’est qu’une étape. Nous envisageons notamment de commercialiser des produits au moins dix fois plus chers, pour des stars du sport ou du showbiz.” Pour l’heure, les trois associés ne disposent que d’une vingtaine de modèles de démonstration. Mais ils devraient recevoir prochainement plus de 500 unités, qui seront ensuite vendues par internet. Les prochaines étapes prévues de cette success-story ont de quoi faire rêver — ou sourire — plus d’un entrepreneur : ouverture d’un bureau à Paris en 2017, d’un autre à Londres en 2018 et d’un autre encore à Tokyo en 2019.
70 % de taux de réussite à trois ans
2019… On pourrait imaginer que, d’ici là, la majorité de ces entreprises auront fermé, victimes de la crise, du manque de chance ou de talent de leurs créateurs. Mais la réalité est toute autre selon Jérôme Bouillaud. “Au bout de trois ans, le taux de réussite des entreprises suivies par Planet Adam frôle les 70 %. Ce chiffre correspond aux standards des principaux réseaux d’accompagnement. En revanche, seule une entreprise non accompagnée sur trois est encore en vie au bout de trois ans. S’il y a un message à faire passer aux créateurs, c’est donc bien de se faire accompagner.” C’est que les écueils sont nombreux : étude de marché, stratégie commerciale, prévisionnel financier, choix des statuts, recherche de financements…
Ceux qui tentent l’aventure en gardant les pieds sur terre, en s’investissant suffisamment dans leur projet, et en se faisant accompagner, peuvent donc raisonnablement espérer gagner leur vie. “C’est possible, c’est une solution d’insertion professionnelle. 90 % de la réussite d’un projet est due à la motivation. Il faut de la “niaque” et de la patience, estime Laurent Adibert. Ensuite, il y a trois compétences à mettre en œuvre : l’aspect métier, l’aspect gestion et l’aspect commercial. Mais les habitants des quartiers ont de véritables atouts. Ils disposent souvent d’un réseau important qu’ils sont capables de mobiliser, d’un sens de la débrouillardise et d’un instinct entrepreneurial plus développé que la moyenne.”
“Ce qui nous a permis de réussir ? Le système D !”, abonde Nader Oueslati, cofondateur de la société 6ème Sens Global Services. Créée en 2008, cette entreprise spécialisée dans la logistique des chantiers emploie aujourd’hui 40 personnes à temps plein, et réalise 1,5 million de chiffre d’affaires par an. “Notre force, c’est la réactivité, l’écoute et la volonté d’apporter des solutions à nos clients. C’est ce que nous avons appris à Vénissieux. Venir d’une cité populaire, c’est un atout. Les jeunes ne doivent pas avoir peur, il faut croire en ses rêves.”
Reste que ce parcours du combattant, s’il ne débouche pas sur une création d’entreprise réussie, peut aussi servir à autre chose. “Il faut aussi parler de ceux qui ne créeront jamais, mais qui, en voulant créer, se placent dans une dynamique qui permet de les renvoyer vers de la formation par exemple. Et de les pousser à se remettre en question, à changer de parcours, voire à se rapprocher d’un emploi salarié”, relativise Djil Ben Mabrouk.
Raddouane Ouama, directeur de projet entrepreneuriat à la Métropole de Lyon, partage cette analyse : “On ne réussit pas forcément du premier coup. Certaines entreprises aujourd’hui pérennes ont commencé avec peu de moyens. Parfois, leurs dirigeants avaient eu auparavant une, voire deux ou trois expériences malheureuses. Puis ils se sont relevés, ont appris les codes de l’entrepreneuriat, et ont réussi. J’ai envie de dire à ceux qui veulent se lancer : allez-y, apprenez de vos erreurs !”
A qui s’adresser ?
Service économique de la Ville
Labellisé par l’État pour l’accompagnement à la création d’entreprises, le service économique peut aider les créateurs à bâtir leur projet, les orienter vers des structures d’aide à la création ou les accompagner dans la recherche d’un local. Plus d’informations sur www.ville-venissieux.fr/Economie.
> Contact : 04 72 21 45 26 ou economie@ville-venissieux.fr
Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE)
L’ADIE est une association nationale, reconnue d’utilité publique. Grâce à des micro-crédits de 1 000 à 10 000 euros, elle aide des personnes éloignées du marché du travail et du système bancaire à créer leur entreprise. Les bureaux vénissians se situent au 19, boulevard Lénine.
> Contact au 0 969 328 110 ou sur http://www.adie.org/
Association Planet Adam
L’association accompagne gratuitement les porteurs de projets dans toutes les étapes de la création d’entreprise, de l’étude de marché à la recherche de financement, en passant par le choix du statut, l’immatriculation… L’antenne vénissiane se situe 2, rue Gabriel-Bourdarias.
> Contact au 09 50 12 93 84 ou sur www.planetadam.org/
La Cocotte, le goût d’entreprendre
Avant la fin novembre, la Cocotte ouvrira ses portes au 19-23, avenue Jean-Cagne. Il s’agit d’un nouvel espace dédié aux porteurs de projets. Il rassemblera L’ADIE et Planet Adam, et inclura un espace de travail partagé ainsi que des services de formation et de développement des réseaux de créateurs. Plus d’informations ici.