Instituteur à Vénissieux puis directeur de la compagnie Traction Avant, Marc Bernard a toujours la tête emplie de projets et ne connaît qu’un carburant : celui généré par les rencontres.
À l’époque, Marc Bernard avait une vingtaine d’années, et ce natif de Roanne, dont les parents avaient déménagé d’abord rue Challemel-Lacour puis rue Ernest-Renan au Moulin-à-Vent, s’était retrouvé à Chambéry. Là, la conférence où il alla un peu par hasard, beaucoup grâce à son titre (“La rencontre est un art”), fut l’une des plus déterminantes de sa vie. “Pendant une heure trente, Albert Jacquard nous a raconté le monde et j’avais l’impression de tout comprendre. Il était scientifique mais aussi humaniste et, dans son rapport à l’autre, il ne voulait pas juger mais réussir à s’affranchir des carcans, des préjugés.”
Les paroles de Jacquard ont marqué le jeune homme et il suffit de rechercher quelques-unes de ses citations pour le comprendre. Du style : “L’école de demain ne servira plus à approvisionner les généraux en chair à canon ou les chefs d’entreprise en chair à profit ; elle aidera les hommes à se construire eux-mêmes au contact des autres” (dans “J’accuse l’économie triomphante”). Ou : “Nous devons apprendre aux enfants à vivre ensemble dans un milieu sans compétition. C’est à travers la rencontre de l’autre que nous nous formons. Sinon, nous ne sommes qu’un vulgaire tas de protons et de neutrons” (dans une conférence donnée à Laval).
Mais revenons au Moulin-à-Vent. Marc fréquente l’école du Grand-Trou puis le collège Balzac. Élève du lycée Lumière, il commence à travailler à Vénissieux après avoir passé le BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) auprès des Francas. “Mes formateurs étaient Jacques Turpin, Serge Lombardi et j’étais avec Charles Maurin, aujourd’hui directeur de Champagneux. Quand j’étais en 1re ou en terminale, je suis devenu animateur à Joliot-Curie et à Bollène. Nous avons passé une semaine à Avignon pour “Musiques en liberté” avec Jean Boulay, le directeur de l’école de musique, Serge Lombardi et quelques autres.”
Parallèlement, Marc poursuit ses études, obtient un bac B Économie puis un DEUG AES (administration économique et sociale)… en trois ans. “C’était l’époque de la loi Devaquet. Je passais plus de temps en manifs qu’en cours !” Rappelons qu’en 1986, pendant la première cohabitation, ce projet de réforme des universités avait suscité un rejet de la part des lycéens et des étudiants. La mort de Malik Oussekine avait conduit le gouvernement à retirer la loi. Aujourd’hui, sur la façade du bâtiment dans lequel Traction Avant Cie (TAC) occupe un bureau, place Henri-Barbusse, une plaque commémore la mémoire du jeune homme assassiné.
“J’avais envie de devenir instituteur, reprend Marc. J’ai passé une licence de Sciences de l’éducation avant de m’inscrire en FPS (formation professionnelle spécifique). On m’a envoyé tout de suite sur le terrain et j’ai toujours travaillé en ZEP.”
Nous sommes en 1990 et Marc enseignera pendant 15 ans. Son premier poste est à Maria-Dubost, à Gerland, un institut médico-professionnel. Il est ce qu’on appelle un zilien, un enseignant rattaché à une zone d’intervention localisée, un remplaçant à court terme. “J’ai été nommé au Mas-du-Taureau à Vaulx-en-Velin, aux Vernes à Givors, puis dans presque toutes les écoles de Vénissieux : Max-Barel, Saint-Exupéry, jusqu’à l’école du Centre où j’ai eu mon dernier poste. Ensuite, j’ai postulé pour devenir responsable du service culturel de la FOL 69 (Fédération des œuvres laïques), où je suis resté 6 ans. Je m’occupais des spectacles vivants en lien avec les écoles et mettais en place des ateliers. Pendant mes loisirs, je chantais dans les chœurs de l’IUFM et c’est ainsi que j’ai rejoint la Fanfare à mains nues, au sein de Traction Avant. J’y suis resté cinq ans et je garde un souvenir très fort du gros concert Forum Réfugiés de 2001, dans le théâtre romain de Vienne. La Fanfare a chanté avec Michèle Bernard et la programmation comprenait Noir Désir, Geoffrey Oryema, Jacques Higelin, etc. Je me souviens qu’il pleuvait à verse. C’est comme cela que j’ai rencontré Traction Avant. Par le biais de la Fanfare.”
“Marcel Notargiacomo était à la recherche de celui qui allait prendre sa suite à la tête de la compagnie Traction Avant… Cela me paraissait une montagne… Allais-je être à la hauteur ?”
Marc écrit aussi un spectacle avec Bernard Nardone, “Trombinoschool”, série de portraits d’enfants qui intéresse Marcel Notargiacomo, le directeur de Traction Avant, qui décide de le faire tourner. “Marcello était à la recherche de celui qui allait prendre sa suite à la tête de la compagnie. Nos liens se sont renforcés à l’occasion de l’organisation du congrès de la Ligue de l’enseignement à la Bourse du travail, pour lequel j’avais fait appel à Traction Avant. Nous avions mis en place de fausses visites guidées entre la Bourse du travail et l’auditorium, et les enseignants que je recroise aujourd’hui s’en souviennent encore. Un jour, Marcel m’appelle et me propose de me passer le relais. Pour moi qui étais toujours à la FOL à l’époque, c’était dur au niveau financier. J’ai accepté et le tuilage a duré six mois, entre janvier et septembre, avec Marcello et Sandrine, qui s’occupait de l’administration de la compagnie. Le 1er septembre, j’ai pris le manche. Marcel avait tout construit et, pour moi, TAC, c’était énorme ! J’ai découvert qu’il était un homme de théâtre, de métissage des arts. Il s’était saisi de la jeunesse des années quatre-vingt qui dansait au bas des tours, de l’énergie de la rue et avait réussi la jonction entre le hip-hop et des chorégraphes tels que Pierre Deloche ou Merce Cunningham. Il y avait aussi beaucoup de poésie dans ce qu’il faisait, comme le projet avec Oradour-sur-Glane. Tout le monde aurait voulu nous mettre dans une case. C’était impossible, alors ils l’ont fait !”
Marc sourit car cette phrase, Marcello la citait souvent au point de l’afficher sur un mur de son bureau et de l’inscrire sur ses documents. “Tout cela me paraissait une montagne… Allais-je être à la hauteur ? Depuis 10 ans que j’ai pris la direction de Traction Avant, il n’y a pas eu trahison des grandes lignes et nous avons gardé le cap sur le métissage et les rencontres. Dans mon parcours, la rencontre avec l’autre et l’altérité ont toujours été des moteurs !” TAC ayant toujours été une pépinière, le nouveau directeur amène ainsi le vidéaste Slimane Bounia qui se lance aussitôt avec la compagnie dans une impressionnante série de courts-métrages sur les violences conjugales, produite pour Filaction. “Nous avons toujours beaucoup de projets, comme “Les laïculteurs” ou les Biennales de la danse. Nous avons monté une comédie musicale avec le quartier Darnaise, qui a été présentée au Théâtre de Vénissieux. Notre projet de l’année s’intitule “La clé”, qui comprendra de la vidéo, toujours avec Slimane, et du plateau avec Élisabeth Granjon. Nous entrons en création tout le mois de septembre et début octobre. Le personnage principal est enfermé dans son monde et obnubilé par le temps. Nous ferons une trentaine de représentations à Vénissieux, dans les établissements scolaires, les centres sociaux, etc. Nous commencerons le 11 octobre au centre associatif Boris-Vian.”
Si Marc adore le spectacle vivant, il est également à l’aise dans un tout autre domaine, le magnétisme. “Pendant mon adolescence, j’ai souffert de nombreuses migraines ophtalmiques qui subsistaient malgré tous les traitements. En dernier recours, j’ai consulté un magnétiseur qui, en quinze jours, a tout fait disparaître. Je me suis beaucoup intéressé au magnétisme, j’ai lu beaucoup, j’ai pratiqué le yoga et, l’an dernier, j’ai suivi une formation. Je me suis lancé, d’abord dans ma famille. J’ai fait quelques séances qui ont apporté du bien-être et soulagé pas mal de douleurs. Le 1er octobre, toute la journée à Boris-Vian, je vais ainsi magnétiser.”
Il reconnaît que toutes ses activités, instituteur, directeur de compagnie ou magnétiseur, sont “de l’ordre de l’empathie”. Et il conclut : “Aller à la rencontre de l’autre résume toute ma vie !”