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Denis Pourawa, l’écriture comme la gravure

Dans quelques jours s’achèvera la résidence littéraire de Denis Pourawa à Vénissieux. Ce poète kanak évoque la Nouvelle-Calédonie, bien sûr, et son besoin  d’écriture mais parle aussi de la ville et des nombreux ateliers qu’il y mène.

Ce jour-là, un vent frais a fait s’emmitoufler Denis Pourawa dans sa parka. Tandis qu’il déguste son café, il raconte ses premiers contacts avec Vénissieux. « Je suis arrivé en février. Un peu dans mon coin, je regardais, je prenais le temps. J’ai d’abord remarqué la température — il faisait froid. Puis j’ai été attentif à l’espace, aux gens, comment ils bougeaient, comment ils habitaient cet espace et l’architecture. Il y a ici une architecture très particulière qui m’a frappé. C’est la première fois que je vois, en France, une ville comme cela. Au niveau de l’urbanisme, c’est tout à la fois une ville et un village, avec la disposition de ses jardins, les écoles, la médiathèque, les habitations, le tram… Ces bâtiments des années soixante et soixante-dix m’ont fait penser aux utopistes, aux situationnistes, à Cobra, Le Corbusier, tout cela. Avant de venir ici, je n’avais pas fait de recherches sur internet. Je connaissais l’histoire de Vénissieux à partir de la marche des Beurs. J’en avais entendu parler à l’époque des événements, j’avais vu des tracts de militants politiques qui relataient ce qui s’était passé à Vénissieux. »

Denis se replonge dans ses souvenirs. Il revoit la librairie Bwénando à Nouméa, dans le quartier où il vivait, qui regorgeait d’ouvrages révolutionnaires du monde entier. « J’étais encore au collège, j’avais 13-14 ans et j’allais bouquiner. C’est là où j’ai appris l’histoire de Vénissieux. Le nom est resté, je ne sais pas comment, dans mon inconscient, ma mémoire. Nouméa connaissait alors des tensions, de grandes marches militantes, de grandes manifestations en résonance aux grandes marches collectives contre le racisme des années quatre-vingt à Paris et à la grande marche de Vénissieux. »

Quand il arrive à Paris, en 2008, invité par la Ville pour une résidence à la Cité internationale des Arts, Denis s’estime blessé par les changements en profondeur que traverse la société calédonienne, « poussée à entrer dans un rythme auquel elle n’était pas habituée, avec des décisions politiques qui lui imposaient de se débrouiller par ses propres moyens ». Il évoque les assassinats, en 1989, de Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, les accords de renégociation de paix et l’obligation pour la Nouvelle-Calédonie de trouver une solution d’ici 2018, sinon l’État décidera pour elle. « J’en ai pleuré », dit-il.

Denis a toujours cherché à comprendre, grâce à ses nombreuses lectures, l’état du monde. À Nouméa, il se plongeait dans Le Monde, Libération, le Canard enchaîné, l’Express, l’Observateur, « des revues qui étaient loin de moi et me poussaient à me renseigner sur la France mais aussi à saisir comment les Français voyaient mon pays ». « J’ai appris à connaître la géopolitique française, les relations avec le Moyen-Orient, la Chine ou l’Inde, l’histoire coloniale, l’Europe… » Denis se passionne également pour le récit de la découverte de son pays par le navigateur anglais James Cook, sa cartographie de l’océan Pacifique et son rapport mystique à la navigation grâce à ses relations avec les Polynésiens.

« Cela va changer sa vision de la navigation et Cook va être considéré comme un illuminé. Pour son dernier voyage, il délaisse la boussole et le compas pour se guider avec les vents et les étoiles. Il aborde la Nouvelle-Calédonie par le nord et réussit à franchir la barrière de corail. Toute cette histoire, je l’ai lue dans un vieux livre que je ne retrouve plus. Les feuilles partaient en poussière, c’était hallucinant ce qui était écrit ! Cook était dans sa cabine et sa vigie crie « Terre ». Lui regarde sa carte et se dit que ce n’est pas possible. Il monte sur le pont, voit des montagnes qui plongent directement dans l’océan. Il pense au pays de son père, l’Écosse, et donne à cette île le nom de Nouvelle-Calédonie. Quand j’ai su cette histoire, je me suis dit que s’il avait utilisé le compas et la boussole, Cook serait peut-être passé à côté de chez nous. »

Il revient sur la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France en 1853, évoque « les histoires d’espionnage entre l’Angleterre et la France » au XVIIIe siècle et conclut : « On lit l’histoire de notre pays comme un conflit entre Européens. J’ai voulu comprendre en entrant dans les fissures de l’Histoire. »

Et quand on en vient à aborder la question de l’écriture, il ajoute : « C’est autre chose ! C’est pour moi de la gravure. » Il replonge dans son passé : « Quand j’étais enfant, ma mère disait que j’avais la manie de graver des formes dans la terre et de façonner des personnages en glaise. J’en mangeais même ! Je me suis demandé pourquoi j’écrivais. Je n’ai jamais voulu écrire. Quand je me suis mis à le faire, je me suis dit qu’il y avait un truc qui n’allait pas. Il me fallait tirer cela au clair. J’avais besoin de me comprendre en tant qu’enfant. L’envie d’écrire est sans doute venue d’un frottement, pour ne pas dire un conflit, avec mes deux tantes. Une en particulier qui était ma maîtresse d’école et qui m’a appris le français. Nous étions à Canala, une commune retirée à l’intérieur des terres qui a d’abord porté le nom de Napoléonville et devait devenir la capitale. Montravel (NDA : l’administrateur colonial de la Nouvelle-Calédonie, dans la deuxième moitié du XIXe siècle) porta son choix sur Nouméa, plus au sud. Après la première révolte kanak de 1878, la colonisation nous a séparés et dépossédés de nos plus belles terres. Notre région était considérée comme le bastion des révoltés et Éloi Machoro (NDA : homme politique indépendantiste, tué dans un assaut du GIGN près de La Foa, en 1985), qui brisa l’urne de la mairie de Canala — un coup de hache contre le statut d’autonomie interne évolutif transitoire qui ne répondait pas aux souhaits des indépendantistes —, était le cousin de mon père. La première école publique était donc née dans notre région et j’en reviens à mon apprentissage de l’écriture par ma tante. Ayant vu ma grand-mère dessiner des spirales sur le fond des poteries qu’elle cuisait, je n’arrivais pas à composer le a. « Tu fais l’escargot et tu coupes la queue du rat », expliquait ma tante. Je n’arrivais pas à couper la queue du rat et je faisais des spirales. Elle m’a pris alors le poignet pour me faire tracer un a. Mes larmes coulaient et délavaient l’encre. Je me suis concentré et je voyais autre chose se former sur ma feuille, comme une calligraphie. Ça m’a libéré et m’a ouvert l’imaginaire. Plus tard, j’ai compris pourquoi j’écrivais. »

Denis revient à cette idée d’écriture qui est comme une gravure. Les Anciens ont laissé dans les forêts de Nouvelle-Calédonie de nombreuses gravures qui sont autant de messages secrets et de rites d’initiation. S’il a vécu cela entre 5 et 18 ans, Denis estime qu’aujourd’hui ces traditions se sont perdues, les jeunes préférant jouer aux jeux vidéo et utiliser leurs téléphones portables. Denis, lui, se pose la question : écrit-il pour laisser une trace, pour transmettre, pour faire vivre quelque chose ? Déforme-t-il la pensée des Anciens ?

« Je suis entre le symbolique et le codifié. J’écris dans un champ magnétique. Et j’aime lire mes textes. Parler est une respiration, écrire aussi. »

Ses textes se lisent dans sa langue mais aussi en français et, ajoute-t-il, « pour le peuple kanak, l’écriture en langue française est un trésor de guerre ». Il poursuit : « L’oralité est très présente chez nous. Je déclame mes poèmes parce que j’ai besoin de transpirer mon texte, mordre les mots pour les sentir dans l’espace, entendre comment ils résonnent, frappent entre les murs, se mêlent avec le vent. J’ai besoin de les rentrer dans mes nervures, mes oreilles. Est-ce que ça me touche, moi d’abord ? Est-ce que ça me fait du mal ? »

Ce qu’il retiendra avant tout de Vénissieux, c’est sa richesse multiculturelle. Il regrette que la société française ne donne pas plus envie à ses enfants des quartiers populaires de créer quelque chose. Qu’elle ne fasse pas « son boulot » et suscite ce sentiment de rejet, de perte de repères. « Dans mes ateliers, à partir des individualités, je voulais qu’on crée ensemble. Que l’on partage l’émotion du travail collectif. Réveiller en eux la volonté d’être volontaire. »

La résidence de Denis s’achève. Ce 28 avril à partir de 18 heures, au cinéma Gérard-Philipe, les participants aux ateliers présenteront leur travail et Denis conclura son parcours vénissian par une belle performance.

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