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Au Puisoz, les archéologues s’invitent à la table des Années folles

Le 21 avril, l’Inrap Rhône-Alpes/Auvergne a présenté le résultat de fouilles menées au Puisoz pendant l’été 2015. Dans un ancien fossé de l’enceinte fortifiée de Lyon, ils ont retrouvé un dépotoir d’objets en verre et céramique. Des objets qui racontent la vie quotidienne durant les Années folles.


Photo Romain Etienne / Item, Inrap

A Lyon, les archéologues ne s’intéressent pas qu’aux vestiges gallo-romains. Les poubelles de nos grands-parents les intéressent aussi. Pots à moutarde ou à confitures Félix Potin, bouteilles de vin gravées Brasserie Georges ou mazagrans Eden bar, pots à onguent pour la fameuse crème Simon, assiettes aux motifs représentant Fourvière ou Guignol… En août et septembre 2015, les chercheurs de l’Inrap* ont fouillé un ancien fossé de l’enceinte militaire de Lyon (édifiée en 1885) sur le site du Puisoz, au nord de Vénissieux. Après le déclassement des « fortifs » en 1927, il avait servi de dépotoir pour les objets en verre et en céramique et pour… les coquilles d’huîtres, jusqu’en 1930. Son étude a livré des milliers d’objets, qui en disent long sur la vie quotidienne durant les Années folles.

Une décharge inconnue
L’équipe de l’Inrap Rhône-Alpes/Auvergne a présenté ses découvertes le 21 avril, dans ses locaux de Bron. Cette opération de fouilles préventives s’inscrivait dans le processus d’aménagement de la zone du Puisoz, le long du périphérique, où s’installeront bientôt Ikea, Leroy-Merlin, des immeubles de bureaux et des logements. L’équipe d’Alban Horry et Stéphane Brouillaud a fouillé 7370 m2, et découvert ce dépotoir de 450 m2 et profond de 4 m, sans aucune trace de matières organiques, preuve que le tri sélectif ne date pas d’hier…


Photo : Alban Horry / Inrap

« L’existence de ce dépotoir public n’était pas connue jusqu’à sa mise au jour, explique Alban Horry. Elle a servi à recueillir des rejets issus des usines voisines, la « Verrerie ouvrière » installée à Vénissieux depuis 1902, par exemple, ainsi que des déchets domestiques ou de restauration. Ces derniers sont composés exclusivement de fragments de poteries, de verre, de vaisselles en métal émaillé, de coquillages et d’objets en plâtre ou en pierre. » Les chercheurs ont prélevé un échantillon représentatif : plus de 30000 objets de céramiques (poteries, porcelaines, faïences fines et grès, intactes ou en morceaux), et plus de 3000 objets en verre (bouteilles et flacons entiers, fragments…). Un ensemble archéologique sans précédent dans la région pour la période contemporaine.

Les témoins du quotidien
« Comme les gens conservaient longtemps leur vaisselle, et ne la jetaient qu’une fois inutilisable, les objets exhumés couvrent une longue période, de 1860 à 1930, explique Stéphane Brouillaud. La variété des productions locales, régionales ou exotiques (avec quelques porcelaines de Chine et du Japon, un vase berbère…) est remarquable. » Ces objets sont l’illustration de la vie domestique (alimentation, boisson, cuisine, manières de table, jouets, hygiène, santé…), artistique (Art Déco, Japonisme), commerciale (brasseries lyonnaises, restaurants, pharmacies…) ou économique.


Photo : Alban Horry / Inrap

Ces objets sont de ceux que l’on retrouve aujourd’hui dans les vide-greniers, les brocantes et sur e-Bay. Ce ne sont pas (encore) des antiquités, pourtant ils nous rappellent des usages que nous avons déjà oublié. Tels ces « pyrogènes » en céramique, des grattoirs à allumettes que l’on trouvait sur toutes les tables de bistros, supports publicitaires pour Dubonnet ou autres spiritueux. Ou ces bouteilles de bière à verre très épais et au goulot très étroit, interdites dans les années 1920 parce que les anarchistes s’en servaient pour les « cocktails » explosifs de leurs attentats. Ou encore ces vases en Ouraline, très à la mode dans les années 1900, dont la belle couleur verte était obtenue en ajoutant de… l’uranium à la pâte de verre !


Photo : Alban Horry / Inrap

Encore peu recherchés des collectionneurs et souvent méprisés par les historiens, ces témoins d’une histoire récente en disent pourtant long sur notre société. Les petits pots à onguent Simon (retrouvés dans les riches familles américaines et à la cour des tsars…) et les flacons Lubin rappellent la renommée de la parfumerie lyonnaise, quand les piluliers en porcelaine de la société Mérieux, ou les bouteilles d’alcool de menthe Ricqlès, racontent le dynamisme de l’industrie pharmaceutique lyonnaise… Certains ustensiles de cuisine remettent même en cause certaines connaissances. Ainsi, Alban Horry a-t-il été surpris du grand nombre de marmites et casseroles en terre cuite retrouvées. « Je pensais qu’à cette époque, au début du XXe siècle, les casseroles métalliques avaient déjà pris le dessus, mais il faut croire que non. » Ce riche héritage des poubelles pourrait faire l’objet d’une exposition, d’ici deux à trois ans.


Le film des fouilles, sur le site de l’Inrap

* Institut national de recherches archéologiques préventives

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