« La lutte paie ! » La phrase revient en boucle dans le « bivouac », ce fortin aux murs de cathodes qui a servi de refuge au piquet de grève des salariés vénissians de Carbone Savoie, un mois durant. Ce mardi 15 mars au matin, ils ont repris le chemin des ateliers et des bureaux, ayant voté la reprise du travail en AG, la veille. Après quinze jours de blocage total début février puis quinze autres jours début mars, les grévistes estiment avoir obtenu satisfaction sur l’essentiel de leurs revendications.
Une grève en deux temps
La toile de fond du conflit était la vente par Rio Tinto, géant minier anglo-australien, de sa filiale Carbone Savoie à Alandia Industries, un « fond de retournement » français. Le flou sur le projet industriel du repreneur avait provoqué l’inquiétude des salariés, tandis que l’opacité des modalités de cession avait conduit le comité central d’entreprise (CCE) à déclencher un droit d’alerte et une plainte pour délit d’entrave. S’en était suivit une grève en deux temps, très suivie sur les deux sites de la société (Notre-Dame de Briançon et Vénissieux).
Une alerte sur les fours
Le protocole de fin de conflit prévoit notamment un audit indépendant des fours de cuisson de Vénissieux. Depuis le début, les syndicats réclamaient une « expertise industrielle » avant la cession de l’entreprise, demande systématiquement rejetée par la direction de Carbone Savoie. Mi-février, les représentants du personnel au CCE avaient notamment pointé l’état des quatre fours du site de Vénissieux. Selon eux, le manque de maintenance et d’entretien de ces installations allait entraîner une dépense supplémentaire de 14,8 millions d’euros.
Expertise indépendante
Un risque pris très au sérieux par Alandia Industries, peu désireux de devoir faire de tels investissements après la reprise. Le futur repreneur avait donc interpelé les PDG de Rio Tinto France et de Rio Tinto Europe à ce sujet, les 22 et 25 février. Dans ces courriers mis en ligne par Expressions (à lire ici), Alandia demandait une contre-expertise réalisée par les cadres de l’entreprise. Selon nos informations, ce diagnostic a été fait et aurait confirmé celui des élus du CCE. Rio Tinto a donc accepté qu’un ultime état des lieux soit réalisé par un expert mandaté par l’Etat d’ici le 25 mars, pour vérifier si les installations sont bien conformes au « business plan » prévu. La dernière étape du processus de vente est maintenue au 31 mars.
Un soutien constant de la mairie
Dès juillet 2015, Michèle Picard, maire de Vénissieux, s’était adressé aux ministres du Travail et de l’Économie. «L’État doit s’assurer que le repreneur est porteur d’un véritable projet pour garantir la pérennité de ce fleuron industriel et maintenir tous les emplois », écrivait-elle alors. L’élue avait réactivé le « Comité de défense pour l’emploi, l’industrie et les savoir-faire » créé lors de la mobilisation pour Véninov. Début février, Michèle Picard avait proposé au Préfet du Rhône, Michel Delpuech, la tenue d’une table-ronde «en présence de l’ensemble des partenaires concernés, afin qu’une solution pérenne soit trouvée pour maintenir l’activité du site et préserver tous les emplois. »
Une belle victoire
Les délégués syndicaux Pascal Miralles (FO) et Laurent Frutoso (CGT) précisent que les grévistes ont aussi obtenu gain de cause sur deux autres de leurs revendications : « le versement d’une prime de cession de 4.000 € et le paiement des jours de grève en mars. » De plus, l’employeur prendra en charge les frais liés aux actions en justice engagées par l’intersyndicale (FO, CGT, CFE-CGC et CFDT), qui abandonne ces procédures. A l’issue des 15 premiers jours de grève, Rio Tinto avait déjà accepté de mettre en place un « fond de sécurisation des parcours professionnels » doté d’un million d’euros « afin d’accompagner les salariés s’il devait y avoir un Plan de sauvegarde de l’emploi en 2018 ou 2019. » Un engagement qui crédibilise la probabilité d’un tel plan, selon certains salariés. Pour d’autres, à l’inverse, les investissements déjà réalisés et ceux à venir sécurisent le site et ses emplois. « Ce que nous avons obtenu, nous l’avons obtenu de haute lutte, au cours d’un mouvement très suivi, en étant déterminés à faire respecter notre outil de travail, estime Laurent Frutoso. C’est une belle victoire. On ne se fait pas d’illusions mais nous avons fait la démonstration que, parfois, oui, la lutte paie ! »
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