« L’industrie a-t-elle encore un avenir sur notre territoire ? » C’est la question posée lors d’une réunion publique organisée par l’Union Locale CGT de Vénissieux, Saint-Fons et Feyzin, le 1er mars, à la Maison du peuple. Question de fond et question d’actualité, au vu des coups portés à l’emploi sur les sites industriels vénissians ces dernières semaines encore, chez Bosch, Rexroth, Sillia, Renault Trucks, Carbone Savoie… « Loin d’être le vestige d’un passé révolu, comme on voudrait le faire croire, l’industrie est un atout pour l’avenir, lance François Marquès, secrétaire général de l’UL CGT. Elle est source d’un PIB stable, à la différence du tourisme soumis aux aléas climatiques. Elle offre des qualifications, des débouchés pour les jeunes, d’autant que nous avons ici des écoles, des lycées et des universités, qui peuvent former des ouvriers qualifiés, des techniciens, des ingénieurs… » Difficulté supplémentaire, propre à Vénissieux, la forte pression foncière qui s’exerce sur les communes de la Métropole. Les hectares des sites industriels suscitent la convoitise des promoteurs immobiliers, accentuant la tentation de déménager les usines. Dernier exemple en date, la vente prochaine de la partie sud du site de Véninov, située non loin du centre-ville. Ce calcul entre-t-il dans les futurs choix de Bosch, dont l’implantation jouxte la zone du Puisoz, près du périph et du tram ?
Des décisions stratégiques
Pour Laurent Rivoire, directeur associé du cabinet d’expertise Secafi (mandaté par le CE de Bosch Rexroth), la complémentarité des entreprises vénissianes est un atout. « Par exemple, le site qui regroupe Robert Bosch France, Sillia et Bosch Rexroth associe de nombreuses compétences, en recherche et développement, en production, en logistique, en commercial, des salariés avec une grande faculté d’adaptation… Leurs savoir-faire pourraient s’appliquer dans des débouchés tels que l’électrification des véhicules, l’automatisation, la domotique, l’industrie connectée… » A condition d’y investir, relèvent les participants. Et c’est là que le bât blesse.
« Le système encourage plus la spéculation financière que l’investissement productif », estime Jean-Pierre Tardy (Lutte Ouvrière). Une logique qui encourage les déménagements dans des pays à main-d’oeuvre faiblement rémunérée. Ainsi, l’activité « distributeurs hydrauliques » de Bosch Rexroth DSI (60% du chiffre d’affaire) pourrait être transférée en Turquie. Pour Alain Goudil, secrétaire du syndicat des métaux CGT du Rhône, « on est face à des décisions stratégiques, pas conjoncturelles. Il s’agit d’offrir plus de dividendes aux actionnaires. » Serge Truscello, conseiller municipal (PCF) et pré-retraité de Bosch, observe que « les entreprises qui suppriment des emplois ici ne font pas partie de groupes en difficulté, leurs choix sont économiques et politiques. Bosch a fait le choix de développer ses activités en Europe de l’Est, où il trouve une main d’oeuvre formée et moins chère. Un choix appuyé par le gouvernement allemand, car il accentue son influence dans ces pays. Pourquoi la France ne soutient-elle pas son industrie, elle aussi ? »
Choix politiques
Frédéric Panetié, responsable CGT de Renault Trucks, estime que les pouvoirs publics ont bien leur mot à dire. « Nous saurons en avril si nous fabriquerons ici le futur petit utilitaire urbain. Sinon, mille ingénieurs et techniciens sauteront, tout comme le centre d’emboutissage et la moitié de l’usine moteurs. Les décisions se prennent chez Volvo, en Suède. Mais la France n’est pas un pays du Tiers-Monde, elle peut peser sur la décision ! » Encore et toujours une question de volonté politique.
Autant les salariés savent pouvoir compter sur l’appui du maire de Vénissieux, Michèle Picard, autant ils sont souvent « douchés » par l’accueil fait au niveau national. Pascal Miralles, délégué FO à Carbone Savoie, raconte l’entrevue qu’un conseiller du ministre de l’économie a accordé aux syndicats, mi-février. « Il nous a dit que l’Etat n’a pas de levier sur les choix des entreprises. On lui a alors rappelé que Rio Tinto bénéficie de dizaines de millions d’euros de crédit d’impôt grâce au CICE, de l’argent public qui manque pour les écoles, alors qu’ils bradent des fleurons de l’industrie française. Il nous a répondu que c’était un droit… Et quand on a évoqué une nationalisation pour maintenir l’outil en France, il a éclaté de rire ! Il faut leur faire rentrer ce rire dans la gorge, les empêcher de se foutre de nous quand on défend nos emplois et nos savoir-faire. Pour ça, il faut un mouvement d’ampleur. »
Prenant la balle au bond, l’ensemble des participants appelle à construire cette riposte dès les mobilisations des 9 et 31 mars contre le projet de loi travail.