Doutes sur la sincérité de l’accord de cession et sur l’état des fours de l’usine de Vénissieux, critiques sur l’absence de dialogue avec les syndicats de Carbone Savoie… Dans deux courriers adressés les 22 et 25 février à la direction de Rio Tinto France (maison-mère de Carbone Savoie), que nous nous sommes procurés, le repreneur pressenti Alandia Industries amène de l’eau au moulin des salariés en grève.
Retour sur le contexte de la crise : la vente par Rio Tinto, géant minier anglo-australien, de sa filiale Carbone Savoie à Alandia Industries, un « fond de retournement » français. Le flou sur le projet industriel du repreneur provoque l’inquiétude des salariés, tandis que l’opacité des modalités de cession conduit le comité central d’entreprise (CCE) à déclencher un droit d’alerte et une plainte pour délit d’entrave. S’ensuit une grève très suivie sur les deux sites de la société (Notre-Dame de Briançon et Vénissieux) pendant les deux premières semaines de février. Les salariés reprennent le travail le 15, sur la base de promesses d’investissements supplémentaires et la création d’un fond de sécurisation des parcours professionnels en cas de plan social en 2019… Depuis le 1er mars, les deux usines sont de nouveau à l’arrêt. Pourquoi ? « Au moment de la reprise du travail, nous avions obtenu l’organisation d’une rencontre avec un représentant de Rio Tinto, explique Laurent Frutoso, délégué central CGT. L’entrevue a tourné court car notre interlocuteur n’avait aucune intention de négocier. D’où le nouvel appel à la grève lancé par FO, la CFE-CGC et la CGT. »
Refus de faire un état des lieux
Le 22 février, le président d’Alandia envoie par recommandé postal et par mail un courrier au président de Rio Tinto France, Jean Berger. Il y exprime son « inquiétude quant au contexte social actuel de Carbone Savoie ». Une inquiétude nourrie par des interpellations sur l’état réel du parc industriel dont il va « hériter ». Interpellations venues de tous côtés : syndicats, cadres de l’entreprise, élus locaux, experts, ministère de l’Economie. Bref, le futur repreneur se demande s’il n’y a pas anguille sous roche… Depuis le début du processus de cession, les élus du personnel réclament une expertise industrielle des sites, un état des lieux avant l’arrivée du nouveau propriétaire, ce que Rio Tinto refuse de faire. Les salariés ont donc réalisé eux-mêmes un diagnostic et l’ont présenté à leurs directions actuelle et future, lors d’un comité central d’entreprise, le 19 février.
Les fours de Vénissieux
L’un des points abordés par le rapport inquiète particulièrement Alandia Industries. Il s’agit des fours du site de Vénissieux. Selon le rapport du CCE, le retard pris dans la maintenance de ces installations de façonnage des cathodes en carbone pourrait entraîner une dépense supplémentaire de 14,8 millions d’euros. Une mauvaise surprise que le fiancé préfèrerait ne pas trouver dans la corbeille de sa promise après avoir signé le contrat de mariage… D’autant plus que Rio Tinto avait certifié à Alandia que son parc industriel était « en bon état et correctement maintenu ».
Critique sur la gestion de la crise
Dans le même courrier du 22 février, la direction d’Alandia Industries critique la fin de non-recevoir opposée par Rio Tinto aux observations des syndicats et des élus du personnel. Une pratique dénoncée depuis le début du conflit par l’intersyndicale CGT et FO : « lors des réunions, nous avons en face de nous des interlocuteurs qui disent qu’ils ne sont pas mandatés pour négocier avec nous. Ce sont nos emplois et nos savoir-faire qui sont en jeu, ce manque de respect est insupportable », estiment d’une même voix Laurent Frutoso (CGT) et Pascal Miralles (FO). Pour Alandia, « le refus de la direction de répondre aux représentants des salariés sur ce sujet précis devient contreproductif. Il pourrait même sembler leur donner raison ». Tout est dans la nuance… Le courrier exprime la crainte « que le conflit ne se rouvre » faute d’accord de sortie de crise. C’est exactement ce qui se passera huit jours plus tard, avec la reprise de la grève le 1er mars.
Deuxième couche
Manifestement sans réponse à son courrier du 22 février, Alandia Industries « en remet une couche » trois jours plus tard, s’adressant cette fois au président de Rio Tinto Europe, Pierre Meynard. Désormais, le futur repreneur juge « nécessaire que les cadres techniques de Carbone Savoie aient l’opportunité de présenter leurs analyses aux membres du CCE de Carbone Savoie et à Alandia. » Précisant dans un parfait franglais des affaires que « ce point devra être purgé avant tout signing (sic) »… Les deux courriers à Rio Tinto sont signés du dirigeant d’Alandia, Nicolas de Germay. Un monsieur qui se définit lui-même comme étant « extra-prudent ». Cela pourrait servir, en effet.