Certains parcours laissent rêveur. Parti de peu il y a 35 ans, Guy Mathiolon est aujourd’hui à la fois le P-DG et l’actionnaire principal de Serfim, un groupe industriel vénissian de 1 600 salariés, répartis en 24 filiales. À 61 ans, son curriculum vitæ parle pour lui. Ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie, ancien président du conseil de surveillance des aéroports de Lyon, il est actuellement dirigeant du LOU Rugby et figure depuis plusieurs années dans le classement des plus grandes fortunes de France. Toutefois, sa personnalité ne se résume pas à celle d’un self-made-man ayant tout sacrifié pour sa réussite personnelle. “Je me sens totalement anachronique, et j’en suis fier. En fait, je suis un métis”, lâche-t-il comme pour se débarrasser des clichés qui lui collent à la peau.
Métis, Guy Mathiolon l’est assurément par les origines de ses proches. Dans cette famille où les racines sont à rechercher de l’autre côté des Alpes, des Pyrénées ou de la Méditerranée, ou bien encore au cœur du Dauphiné, on aura parlé couramment français, catalan ou sicilien. Métis, il l’est aussi par les cultures, les métiers et les parcours de ceux qu’il a rencontrés, et qui ont forgé sa personnalité au fil du temps. “Mon père était conducteur d’engins de chantier. C’est un véritable travail d’artiste. Tous les soirs, il nous racontait sa journée de travail, ce qu’il faisait sur les chantiers. C’est lui qui m’a donné le virus du BTP […]. Ce qui est agréable dans cette profession, c’est la variété de contacts qu’elle amène. On discute avec tout le monde. Toute l’échelle sociale est représentée.”
“Le Groupe Serfim est une anomalie dans le système français”
Retour en 1962. Alors qu’il n’a pas encore neuf ans, sa famille quitte l’Algérie indépendante pour Lyon. Pendant un an et demi, cette petite troupe de quatorze personnes vit dans un appartement de 80 m2, rue Baraban. Cette expérience de la promiscuité, que d’autres auraient pu mal accepter, lui permet au contraire de prendre conscience de l’importance des liens familiaux. Elle renforce sa vision de la famille, qu’il revendique et entretient aujourd’hui encore, jusqu’à la placer au cœur de sa démarche d’entrepreneur. Paternaliste ? Chacun jugera. “Je veux être le patron qui protège, celui qui reste au contact de ses employés, et dont les bureaux sont à côté des sites de production, au contact du terrain […]. En fait, le Groupe Serfim est une anomalie dans le système français. Il n’a jamais été vendu, il n’y a jamais eu de succession. Et 20 % du capital est détenu par ses cadres. Nous appartenons à un fond de passion et non à un fonds de pension.”
Après une scolarité assez classique, qui le mènera du collège Lacassagne de Lyon au lycée du Parc, Guy Mathiolon sort de l’École Centrale en septembre 1978, diplôme d’ingénieur génie civil en poche. Dès son arrivée sur le marché du travail, il travaillera comme ingénieur chantier sur le barrage de Coucouron (Ardèche), avant d’être embauché en tant qu’ingénieur géotechnicien. Puis vient enfin l’opportunité qu’il attendait. En 1983, Marc Paccalin, propriétaire de l’entreprise de réseaux électriques vénissiane Serpollet, cherche un successeur. Contre toute attente, ce sera le fils de l’un de ses fournisseurs, un “petit jeune de 28 ans”, Guy Mathiolon. “Gamin, si tu fais l’affaire, la boîte est à toi”, lui glisse Marc Paccalin avant l’entretien d’embauche.
Tous les entretiens d’embauche sont une épreuve. Mais celle-ci est particulière. “Cet entretien, je l’ai passé au volant de la Citroën DS du patron, c’était pour le moins singulier”, se souvient Guy Mathiolon. D’autant que, rapidement, le dirigeant s’endort sur la place passager, laissant le candidat seul au volant, en proie au doute. Pourtant, il vient de réussir son entretien. Le voici propulsé directeur technique de l’entreprise… et premier gérant de la toute nouvelle entreprise de dépollution Serpol. Une belle faveur, persiflent les mauvaises langues. Mais le jeune homme, plongé dans un monde qui ne l’attendait pas, n’a pas droit à l’erreur. “Je n’avais pas d’argent. Il était convenu que je paie mes actions sur les résultats futurs de l’entreprise.” Il ne sera pas pris en défaut. “En trente ans, j’ai multiplié le chiffre d’affaires par trente”, se félicite-t-il.
De nouveaux marchés en nouveaux marchés, d’acquisitions en acquisitions, Guy Mathiolon tisse sa toile. Aujourd’hui, le groupe Serfim – créé en 1987 – réunit notamment en son sein Serpol et Serpollet. Il compte 24 sociétés et 45 sites en France. En 2014, 95 % de ses 1 600 employés étaient en contrat à durée indéterminée, rappelle la plaquette du groupe.
Une passion pour Cuba et le Che
Mais la fierté du patron est (aussi) ailleurs : “Il est rare et passionnant d’avoir créé un métier, valorisant de surcroît, celui de dépollueur. Et j’ai aussi d’autres motifs de satisfaction. Celui d’avoir créé l’Académie Serfim. En dix ans, elle a formé 750 collaborateurs. Je pense aussi au trophée Euréka, qui récompense des projets innovants. Ou encore à ce panneau sonore, que nous avons conçu pour guider les malvoyants et les non-voyants aux abords des chantiers.” Seul regret : “dix ans sans prendre de vacances, mais cela en valait la peine”.
À l’heure où nombre d’entrepreneurs se réclament des grands noms de la Silicon Valley et rêvent de réussites à l’américaine, Guy Mathiolon met en avant une référence située un peu plus au sud… et même franchement à gauche. “J’ai toujours été fasciné par Ernesto Che Guevara”, assure-t-il, avant de préciser avoir “énormément travaillé sur la révolution cubaine”. Et de poursuivre : “Je suis effaré de la méconnaissance qu’ont les gens de ce pays. Il ne faut pas retenir forcément le marxisme. Et si l’on compare le pays de Fidel Castro à celui du McDo, la qualité de vie est en faveur de Cuba.” Mais que l’on ne voit pas de signe politique à cet intérêt pour le révolutionnaire cubain. Même s’il reste conseiller municipal d’un petit village de l’Isère, Guy Mathiolon n’a pas prévu de se jeter dans l’arène politique. “En tant que chef d’entreprise et par respect pour mes salariés, je n’ai pas à m’engager politiquement”, tranche-t-il.
Pas d’engagement politique, soit, mais alors quid des valeurs morales ? Si l’on écarte celles, déjà évoquées plus haut, de la famille, du respect et du travail, il faut se plonger dans un match de rugby pour les trouver. Si possible au Matmut Stadium, à Vénissieux, au contact de ce LOU Rugby dont il est dirigeant depuis 2003. “La seule chose qui m’a empêché de dormir, c’est le LOU. Quant au rugby, c’est le sport dont les valeurs sont les plus proches de celles de l’entreprise. Il met en œuvre des talents individuels, dans l’optique d’une réussite collective”, souligne cet ami de Sébastien Chabal, qui met en avant “un sport sans racisme ni violence”. De fait, le sport fait partie de la culture de Guy Mathiolon. Lui qui, enfant, jouait déjà au football dans la cour de l’entreprise de son père, a poursuivi sa carrière de sportif amateur jusqu’à 23 ans. Il la terminera de belle manière, en remportant le tournoi de sixte de L’École Centrale. Aujourd’hui encore, il travaille sa forme physique une heure par semaine… dans les locaux du LOU.
À quelques années de la retraite, Guy Mathiolon songe encore à la stratégie de Serfim à l’horizon 2025. “Nous allons continuer à faire ce qui marche, et nous développer en région et à Paris, ainsi qu’à l’international”, annonce-t-il. Difficile de décrocher ! Mais pourtant, c’est bien à la transmission du groupe qu’il pense : “Il ne faut jamais faire l’année de trop”, note l’entrepreneur. C’est donc une nouvelle histoire qui s’écrira dans quelque temps.
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