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Yann Roustan : dans la patrie des hommes intègres

Quand il a quitté Vénissieux pour une mission au Burkina Faso, Yann Roustan ne se doutait pas qu’il allait s’attacher au pays au point d’y mener plusieurs projets et d’y séjourner encore, quatre ans plus tard.

Yann Roustan cooperant au Burkina Faso, auteurLorsque vous entrez dans le salon des Roustan, au Cluzel, la décoration vous saute aux yeux : des masques africains, une marionnette balinaise, des santons sud-américains… Les voyages sont au cœur du séjour et l’on ne s’étonnera pas si Yann, l’un des fils, a choisi de s’installer au Burkina Faso.
“C’est vrai que j’ai toujours aimé voyager, confirme le jeune homme de 30 ans. Je suis allé au Portugal et en Mauritanie avec mes parents et, depuis que j’ai l’âge de partir tout seul, je me suis pas mal baladé en Argentine, au Pérou et un peu partout en Europe…”
Yann passe un bac STI Électronique au lycée Diderot, à Lyon, puis un BTS à Édouard-Branly, dans le cinquième arrondissement, et trouve un emploi de responsable hygiène, sécurité et environnement sur un site industriel à Meyzieu. “Un jour, j’en ai eu assez et je suis parti au Pérou. Depuis quelques années, je me posais la question du volontariat, avec l’idée de faire un séjour plus long dans un pays, sans destination privilégiée.”
Parallèlement à sa vie professionnelle et suivant en cela les traces de ses parents, Yann s’engage auprès d’Europe Écologie Les Verts. Il devient le secrétaire local de Villeurbanne et membre du bureau transitoire d’EELV dans le Rhône. Mais son désir de voyager est le plus fort ! Il contacte la DDC, délégation catholique pour la coopération, et décroche une mission au Burkina Faso, où il devient professeur d’électricité. “Avant cela, je n’avais jamais ni travaillé ni enseigné dans le domaine de l’électricité. Il fallait bien que mes études servent à quelque chose !”
Le voilà donc, en janvier 2012, en poste à Fada N’Gourma, une ville de 65 000 habitants dans l’est du pays, pour une mission de 18 mois. “J’avais envie de partir, donc je n’avais pas d’appréhension. J’ai été logé dans le centre de formation. J’ai découvert à la fois le pays et le métier. Il faut bien dire que les méthodes d’enseignement au Burkina sont différentes de celles pratiquées en France. Il y a peu d’écoles et donc beaucoup d’élèves par classe. Il s’agit surtout de transmission du savoir, avec des élèves qui apprennent par cœur leurs leçons. J’ai enseigné de la 5e au BEP2. Question discipline, aucun problème : le professeur est le chef ! Dans la culture africaine, l’aîné doit être respecté.”
La fin de son contrat arrive mais Yann n’a pas envie de quitter le Burkina. Et comme, parallèlement à l’enseignement, il a donné un coup de main au festival Dilembu au Gulmu — une région à l’est du Burkina —, il va en devenir le coordinateur, en 2013.
“Ce festival, le FESDIG, est inspiré de la fête des récoltes en pays gulmantché, qui est l’ethnie principale. Le système burkinabé veut que chaque ethnie ait une ethnie dont elle est l’esclave et une dont elle est le maître. Tout est tourné en dérision.” Yann évoque encore le système de “parentèle à plaisanterie qui permet de dépasser le statut social et d’apaiser les tensions”.
“La fête des récoltes était tombée en désuétude. L’objectif du festival, créé en 2004, était de la revaloriser dans la modernité. Les manifestations se passent dans un village de brousse, où il faut tout apporter : la sonorisation, le groupe électrogène… Il y a de la musique, des artisans locaux et des compétitions traditionnelles comme la course à dos d’âne, la lutte, l’art culinaire ou vestimentaire. Le soir, des artistes occupent la scène. L’organisation du festival repose intégralement sur des bénévoles. J’ai pris en charge l’édition 2014.”
Un an passe encore et Yann n’a toujours pas envie de quitter le Burkina. Il continue à donner des cours au centre de formation professionnelle de Fada N’Gourma, il aide à la création d’une société d’événementiel qu’il gère pendant six mois, avant de monter avec des Burkinabés un bureau d’études en gestion de projet de développement qu’il baptise Tundi Développement.
Fin 2014, il co-fonde une association franco-burkinabè de solidarité internationale pour soutenir des projets de développement au Burkina : Todima Gulmu. La partie burkinabè effectue le diagnostic des besoins, notamment en direction des femmes, et la partie française vient en appui. C’est au nom de cette association que Yann a donné, le 3 décembre dernier à Vénissieux une conférence sur le Burkina Faso, “un défi pour le devenir démocratique africain”.
Yann s’intéresse de près à l’évolution politique du pays : “Blaise Compaoré a gardé le pouvoir pendant 27 ans. En octobre 2014, il a voulu modifier la Constitution pour pouvoir se présenter à un troisième mandat. Il s’en est suivi une grande révolte populaire et le saccage de l’Assemblée nationale. Pour organiser de nouvelles élections, l’armée a gardé le pouvoir trois semaines, avant de le remettre à un président transitoire qui a organisé les élections générales. Mais en septembre 2015, la garde présidentielle fait un putsch, suivi d’une forte mobilisation populaire. La grève illimitée est déclarée et l’économie bloquée… Une semaine plus tard, le pouvoir est rendu à la Transition. L’élection de novembre a porté à la présidence Roch Marc Christian Kaboré, avec 53 % des voix. Et on ne peut pas dire que le scrutin ait été truqué. J’étais sur le terrain !
“Le jour du putsch, je devais prendre mon vol pour la France mais les frontières ont été fermées, et je suis resté. À aucun moment, je n’ai ressenti d’inquiétude. Pour ma part, j’ai toujours fait confiance au peuple burkinabé.”
Yann tient un blog sur ses activités au Burkina : “Depuis quatre ans que je suis dans le pays, j’ai pas mal observé !” Désireux de raconter le putsch auquel il a assisté, il commence à écrire et l’idée germe de faire un livre sur la période politique 2014-2015, co-écrit avec Aimé Béogo, un Burkinabé déjà auteur d’un recueil de nouvelles, “Liberté contre silence”, édité chez Publibook en 2012.
“Nous avons déjà le titre : “Plus rien ne sera comme avant”. C’est une phrase prononcée par le Premier ministre de la Transition lors de sa prise de pouvoir en novembre 2014. Ce sera mon premier ouvrage et nous sommes en recherche d’un éditeur en France. Nous n’allons pas révéler des secrets d’État ! Tout ce que nous écrivons est basé sur des articles de presse. Nous essayons de ne pas être partisans, mais nous sommes toutefois assez critiques du système Compaoré. Après cette expérience, j’ai très envie de me spécialiser en géopolitique et de passer un master, soit à distance depuis le Burkina soit lorsque je rentrerai en France.”
Et l’écologie, dans tout cela ? Loin d’avoir renié ses convictions, Yann insiste sur le fait que Ouagadougou est considérée comme la capitale africaine la plus propre. “Des associations ramassent les sacs en plastique et tissent avec des sacs ou de petites trousses. La prise de conscience de ces enjeux est récente. Le Burkina a toujours eu un ministre de l’Environnement mais, pour la première fois, le poste s’est transformé en Environnement, Économie verte et Changement climatique. Nous n’avons jamais eu un tel intitulé de ministère en France !
“Le ministère a été confié au parti sankariste, du nom de Thomas Sankara, un homme politique assassiné en 1987 lors de la prise de pouvoir par Blaise Compaoré. Lequel Sankara avait mené une action de reboisement. Donner le portefeuille de l’Environnement, de l’Économie verte et du Changement climatique à un sankariste est symbolique. En racontant tous ces changements politiques, je voudrais montrer que le Burkina pourrait servir d’exemple aux autres pays africains. Tout le monde a bien joué sa carte pendant la Transition.”
La discussion avec Yann Roustan se déroulait le 14 janvier. Il nous parlait de “la pratique ouverte de la religion”, de la liberté de culte. “60 % des Burkinabés sont musulmans, 25 % chrétiens et le reste est animiste, encore que tout le monde le soit un peu ! Sur 10 millions d’habitants, on compte quelque 3 500 Français dans le pays, ce qui représente la plus grosse communauté blanche.” Le lendemain soir, une attaque sanglante était menée par un groupe djihadiste dans un hôtel et un café de Ouagadougou. Voilà “le pays des hommes intègres”, traduction littérale de Burkina Faso, par malheur fortement secoué. Et le défi démocratique mené par le gouvernement chèrement payé.
“C’est un vrai choc pour les Burkinabés, confirme dans un mail Yann Roustan, sur le point de repartir. Cela les affecte beaucoup car, dans leur culture, un étranger doit être bien accueilli. Il y a aussi beaucoup d’incompréhension car il n’existe pas de terreau favorable à l’émergence du djihadisme au Burkina (…) Toutefois, il ne faut pas baisser la tête. La démocratie est la meilleure réponse au fanatisme !”

Burkina

http://yannroustan.com

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