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Don Camillo et Peppone à Vénissieux

A ma gauche, le curé Brémond, dans le rôle de don Camillo/Fernandel. A ma droite son adversaire, le maire Sébastien Bouthéon, pour incarner Peppone/Gino Cervi. Ces deux-là se livrèrent une guerre farouche dans les années 1820.

Dès 1820, le curé tempête contre la volonté du maire d’agrandir la place du village

Les deux hommes furent d’abord amis. Lorsque l’évêque de Grenoble nomma Brémond à la cure, à l’époque de Napoléon Ier, Bouthéon n’était pas encore maire mais un simple propriétaire de la commune, avec lequel le curé s’entendait à merveille. Les choses changent du jour au lendemain lorsque Sébastien Bouthéon accède à la mairie, en 1818. Monsieur le curé pense qu’il n’en fera qu’une bouchée, et qu’il mènera la municipalité à la baguette, comme il l’a toujours fait. C’est sans compter avec la personnalité de Bouthéon. Un témoin de l’époque raconte : « Le maire et le curé de Vénitieu ont beaucoup de traits de ressemblance ; ils sont royalistes, zélés, opiniâtres comme tous les petits esprits, aimant à tout conduire, et despotes dans la petite sphère de leur autorité« . Don Camillo-Brémond vient en mairie pour un oui pour un non, se mêlant de tout, ayant un avis sur tous. Au début, la municipalité l’écoute, essaye de composer avec lui, car autrefois dans un village le curé était une personne qui comptait. Puis les relations entre l’église et la mairie s’enveniment, et la guerre est déclenchée.

C’est une affaire de messe et de cloches qui met le feu aux poudres. Depuis la chute de Napoléon Ier, en 1815, la monarchie a été restaurée et Louis XVIII règne sur la France. Le maire Sébastien Bouthéon compte parmi les fervents partisans du roi mais le curé Brémond, lui, reste fidèle à l’empereur déchu. Aussi lorsqu’en 1819, le gouvernement demande aux Français de célébrer la fête du roi, la saint Louis, Brémond décide de prononcer… une messe des morts. Colère du maire, qui monte au clocher et fait sonner les cloches à toute volée. Le curé monte à son tour, et Peppone et don Camillo en viennent aux mains. Le maire n’en reste pas là, et dénonce ce curé comme « une tête des plus exaltées qu’on puisse connaître, [ne parlant] en chaire pour le plus souvent que de politique et rarement de l’évangile« . L’affaire arrive sur le bureau de l’évêque de Grenoble, et jusqu’au ministre de l’Intérieur, à Paris. Le ministre conseille à l’évêque de « rétablir la bonne intelligence qui doit exister entre le maire et le desservant de Vénissieux« , puis il en reste là. Mais c’est sans compter avec nos deux fortes têtes, qui trouvent bien vite un autre motif de querelle. Dès 1820, le curé tempête contre la volonté du maire d’agrandir la place du village, la place Napoléon-Sublet actuelle, pour qu’elle puisse accueillir les foires annuelles. Pour Brémond, il n’en est pas question. Ce projet ne fera qu’attirer des jeunes gens qui viendront danser sous ses fenêtres jusqu’en pleine nuit, et aussi une armée de boulistes qui troubleront son repos avec leurs bruits et leurs jurons. Le curé remue donc ciel et terre pour enterrer le beau projet communal, et multiplie les lettres au préfet, au sous-préfet et au ministre. Peine perdue, la place se fait quand même.

D’abord indifférente aux querelles entre l’église et la mairie, la population finit à son tour par prendre le curé en grippe. Les paroissiens n’en peuvent plus de l’entendre sans arrêt rouspéter en chaire. Eux sont venus pour entendre la messe, et point c’est tout. Et puis, ils ne supportent pas de voir ce diable en soutane s’immiscer dans leurs vies. Leur don Camillo ne perd jamais une occasion pour les couvrir de reproches, comme s’ils étaient des gosses. En 1824, le voilà qui écrit au préfet parce qu’un dimanche, il a eu « le désagrément de rencontrer deux voitures [deux charrettes] de fumier et une de foin, plusieurs cultivateurs qui labouraient, et que pendant les offices [la messe], il y a habituellement plusieurs joueurs de boules dans les rues et sur la place à côté de l’église, et plusieurs buvant vins dans les cabarets jusqu’à des deux et trois heures après la minuit« . « Il y a environ cinq ans que ces désordres et les profanations ce sont beaucoup accrues« , ajoute-il, autrement dit depuis que Bouthéon est devenu maire. Un autre jour, le voilà qui dénonce en pleine messe un couple de Vénissians, en les accusant de s’être mariés civilement sans passer par lui, ce qui à ses yeux fait de leur enfant un bâtard ! A peu près à la même époque, alors qu’un autre couple marié civilement depuis trois ans vient justement demander un mariage religieux, notre Don Camillo se jette sur le mari, « le saisit au gosier et le serrant étroitement, le poussa avec violence hors de la cure« . L’incompréhension est à son comble. Le prêtre n’a pas compris que depuis la Révolution, la population a pris ses distances avec la religion, surtout dans les banlieues, et que les gens n’entendent plus se faire traiter comme sous l’Ancien Régime. Désormais, il ne se passe guère de mois sans que l’évêque ou le préfet reçoive une lettre d’un des deux camps. Du côté de la municipalité, on demande purement et simplement que le curé soit chassé de Vénissieux et remplacé par un autre. Brémond lui, accuse le maire et les élus d’être des révolutionnaires sanguinaires ; il clame dans l’église que « la municipalité n’est composée que d’impies du genre de Robespierre, [qui cherchent] à faire revivre le temps des Marat, des Mirabeau, etc. » Il va trop loin. Il perd le soutien du préfet, puis de l’évêque lui-même.

Le maire Bouthéon cherche le défaut dans la cuirasse du curé, et le trouve. Contrairement à Fernandel, don Brémond aime l’argent et veut mener grand train. Il traie ses paroissiens comme des vaches à lait à la moindre occasion. Veulent-ils se marier ? Voici le tarif, trois ou cinq fois plus cher qu’ailleurs. Un parent vient de mourir ? Il présente la facture avant même l’enterrement. En décembre 1821, il demande ainsi 18 francs au fils d’un défunt, soit neuf fois le prix officiel ! Le fils parle au curé, « répond que c’étoit beaucoup trop cher pour des gens pauvres comme eux« . Brémond réagit à la don Camillo : il « porte une main au col de son habit et l’autre au bas des reins à la culotte, le pousse avec violence et le fait tomber par terre« , cassant trois côtes à sa victime. Ces violences scandalisent les Vénissians, qui tournent le dos à leur église. Pendant ce temps, les premières plaintes en justice arrivent contre Brémond. Enfin, après cinq ans de guerre, en 1824, le maire obtient le départ de son ennemi juré et la nomination d’un nouveau curé. La paix revient sur le plus beau village de la Terre… pour six ans.

Le 15 décembre 1830, dans une lettre adressée au préfet, « Les maire, officiers municipaux et chefs de la garde nationale de Vénissieux, osent venir vous exposer que leur [nouveau] curé est l’exemple même de l’immoralité la plus consommée« . Décidément, on ne se refait pas !

Sources : Archives de l’Isère, 4 V 118.

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