– Avec la réalisation de nouveau groupe scolaire du Centre, situé sur les pentes des Minguettes, on peut dire que vous êtes en terrain connu. Est-ce que le travail que vous avez mené sur le Plateau dans les années quatre-vingt (le concours Démocratie, la réalisation de la tour Arc-en-Ciel à Rotonde) a influé sur votre projet ?
– Roland Castro :« Une des grandes questions, effectivement, c’est que le plateau et le bourg soient contents de se fréquenter. Donc on a réfléchi aux liaisons et on a fait en sorte que le groupe scolaire ne tourne pas le dos aux Minguettes. Mais ce n’était pas non plus une obsession. Quand on travaille sur une école, on pense d’abord République, qualité des classes, sécurité des entrées… »
– Quel regard portez-vous sur le travail mené aux Minguettes ces dernières années ?
– « Je trouve qu’il y a une grande amélioration. Il commence à y avoir de l’urbanité. Un énorme travail a été réalisé. Mais je pense qu’on pourrait densifier encore. Les Minguettes tiennent une place particulière dans ma carrière. Je suis extrêmement nostalgique du projet que j’avais fait pour le concours Démocratie à Monmousseau. Avec trois tours j’en faisais une, immense, j’ai encore la maquette sur mon bureau. J’adorais ce projet. Le titre c’était : « Enfin une vraie tour à Vénissieux. »
– Avec “Banlieues 89”, qui est à l’origine de la Politique de la ville, vous vouliez faire « la révolution en banlieue », il fallait « en finir avec les grands ensembles. » C’est toujours d’actualité ?
– « Plus que jamais. Après Banlieues 89, il y a eu Borloo, qui a fait du bon boulot avec l’ANRU (N.D.L.R. : Agence nationale pour la rénovation urbaine). Mais ce n’est pas terminé. La fracture mentale, urbaine, territoriale est toujours là, peut-être plus encore aujourd’hui avec la dimension communautariste. Je suis en train de faire un livre qui s’appelle « Le désir de résurrection de la France », où cette problématique tiendra une place importante. Le divorce entre certains territoires est une énorme question posée à notre République, peut-être la plus cruciale. «
– Vous souligniez l’important travail réalisé par l’ANRU, pourtant vous n’êtes pas un chaud partisan des opérations de démolition-reconstruction. Vous préférez de loin ce que vous appelez le remodelage…
– « C’est vrai. J’ai toujours été contre la démolition parce que c’est traumatisant. À Vénissieux, il a été sérieusement envisagé de confier la mise en spectacle de la destruction des tours de Démocratie à Jean-Michel Jarre ! Cela aurait été dramatique. Je trouve que la démolition n’est pas respectueuse des habitants. Le remodelage, c’est la métamorphose, la transformation, c’est bien plus gratifiant pour la population parce qu’elle assiste à la mutation de son lieu de vie, elle n’en est pas chassée.
« Tous les mécanismes de financement de l’ANRU ont encouragé les démolitions. De ce point de vue, la loi n’est pas bonne. Mais il faut aussi reconnaître que Borloo a réussi à faire des inventions administratives pour qu’on puisse aller de l’avant. Et ça, c’est déjà beaucoup quand on connaît la complexité et la lourdeur de l’administration française. »
– La recherche de mixité sociale est plus que jamais la priorité de la Politique de la ville. Comment peut-on y parvenir ?
– « Avec la loi SRU, on peut obliger des communes riches à accueillir des pauvres. Malheureusement on n’est pas assez sévères. À mon avis, le préfet devrait même remplacer le maire dans les communes qui refusent de prendre leur part de logement social.
« Dans l’autre sens, c’est plus compliqué. La seule condition pour que des familles de classe moyenne décident un jour d’aller habiter dans des quartiers populaires, c’est que ces quartiers soient extrêmement beaux, attractifs, que l’on ait envie d’y habiter. On ne peut pas mixer les gens de force. On n’est pas sous un régime totalitaire. Je suis de tradition communiste, mais je ne suis pas stalinien. L’embellissement des quartiers les plus enclavés de notre pays est fondamental si on veut assurer la mixité sociale. »