“On a encore perdu plus d’un an dans cette affaire, mais on est toujours là.” La dernière fois que l’on avait croisé Jean-Paul Carret, le secrétaire de l’APER, association qui regroupe des salariés victimes de l’amiante, c’était le 14 janvier 2014. Le tribunal administratif examinait alors la requête déposée contre la décision du ministre du Travail prise en 2013 — il s’agissait à l’époque de Michel Sapin — de ne pas accorder le classement amiante aux anciens établissements RVI de Saint-Priest et Vénissieux. La tendance était favorable, les conclusions du rapporteur public allaient dans le sens de la demande des travailleurs. Sauf que le tribunal administratif, fait assez rare, avait ensuite demandé une prolongation de l’instruction.
Quatorze mois plus tard, les combattants de l’APER ont à nouveau rendez-vous au TA ce mardi 31 mars. Toujours aussi déterminés. “On se bagarre depuis 2002, rappelle Jean-Paul Carret avant d’entrer dans la salle d’audience. Nous avons accumulé des kilos de preuves sur la présence d’amiante dans les ateliers entre 1964 et 1997. Nous avons perdu près d’une vingtaine de copains. De nombreux cas de cancers broncho-pulmonaires sont avérés, dont plusieurs ont été reconnus par la sécurité sociale. Actuellement on estime environ à 80 le nombre de personnes concernées. Et encore, c’est une estimation basse car on a perdu la trace de beaucoup de ceux qui sont partis à la retraite. Et malgré tout, nous en sommes encore à nous battre devant la justice pour obtenir le classement amiante.”
Le classement amiante ouvre droit à une retraite anticipée à partir de 50 ans et à une prise en charge des frais médicaux en cas de maladie. Il permet également d’engager une procédure pour “préjudice d’anxiété” — il faut en effet savoir que le temps de latence des cancers dus à l’inhalation de la fibre tueuse varie de quinze à quarante ans. En 2007, le site ardéchois d’Annonay (devenu Iveco-Irisbus), où étaient montés les bus, avait obtenu ce fameux classement. Mais pas les établissements de Vénissieux et Saint-Priest… à cause d’un banal vice de forme. Pourtant les hommes y étaient tout autant exposés à l’amiante.
Calorifugeage
Ce mardi 31 mars devant le tribunal administratif de Lyon, l’enjeu n’a pas changé. Mais cette fois tout indique que l’issue devrait être positive. Le rapporteur public, suivi dans 90 % des cas par le TA, a préconisé de casser la décision prise en 2013 par Michel Sapin. En tout cas pour la fonderie et le site de montage des bus de Vénissieux. En revanche, il s’est montré plus réservé pour l’usine Ponts et Essieux de Saint-Priest, au motif que l’installation des garnitures de frein en amiante ne pouvait pas réellement être assimilée à une action de calorifugeage, autrement dit d’isolation thermique. Or si le calorifugeage n’est pas attesté, le classement amiante ne peut visiblement pas être accordé. Même s’il est par ailleurs reconnu que les travailleurs des Ponts et Essieux ont “indéniablement” été exposés. Comprenne qui pourra.
L’avocat des salariés a dénoncé “une définition bien trop restrictive des activités de calorifugeage”. N’hésitant pas à se faire technicien : “Si l’on met des garnitures de frein, c’est pour éviter qu’ils chauffent, donc il s’agit bien d’une isolation thermique.”
À la sortie de l’audience, il indiquait qu’en cas de décision négative pour les Ponts et Essieux, il restait la possibilité de se pourvoir devant la cour administrative d’appel. “De toute façon on se battra jusqu’au bout, lançait Jean-Paul Carret. Nous devrions obtenir gain de cause pour les établissements de Vénissieux. C’est déjà une première victoire. »
Le tribunal administratif devrait rendre sa décision dans un délai allant de deux semaines à un mois.