La guerre avait tout envahi. La mort, la vie, les journaux aussi. Leurs colonnes dégoulinent de récits de batailles et multiplient les cartes du nord de la France ou de lointaines contrées, jusqu’en pleine mer Égée. Du coup, les nouvelles locales ont fondu comme neige au soleil. Elles se résument à quelques lignes informant les lecteurs des faits les plus importants concernant leur commune. Des communiqués aussi secs qu’un faire-part de décès, mais qui ouvrent la fenêtre du passé et racontent le quotidien des Vénissians d’il y a tout juste cent ans.
Avec le début de l’année 1915, les soldats mobilisés affrontent leur premier hiver. Ils n’y étaient pas préparés, tout le monde étant persuadé que la guerre n’allait durer qu’un été. Mais voilà qu’elle s’éternisait. Les températures commencèrent à chuter, et les soldats à grelotter dans leurs uniformes trop minces. On dut organiser des quêtes à travers le pays pour mieux les habiller. Les Vénissians mirent la main à la poche : le 21 janvier, « le maire de Vénissieux informe ses administrés qu’une première somme de 1 250 francs produite par leurs généreuses souscriptions, a été remise à l’Œuvre nationale des vêtements d’hiver pour les soldats du front, et les remercie bien vivement ».
Les soldats venus de Vénissieux font leur devoir et, comme tous les Français, payent un lourd tribut à l’horrible boucherie. Le 20 octobre, le club de boules « la philosophe » informe ses membres « que notre sympathique camarade Fleury Rongier, du 111e [régiment] territorial, vient d’être blessé aux combats du 10 octobre. Ses nombreuses blessures ont nécessité son transport dans un hôpital de l’intérieur ». Un mois plus tard, le 13 novembre 1915, on apprend avec plus d’un an de retard la disparition de Joseph Robert, « tombé au champ d’honneur » dans les Vosges le 3 septembre 1914. Auguste Dumas s’en tire mieux. Il revient au village vivant, avec seulement une main en moins, et la médaille militaire en guise de consolation : ce « soldat très courageux, s’est particulièrement fait remarquer au combat du 8 juin 1915, en s’élançant l’un des premiers dans une tranchée allemande ». Il fut immédiatement touché par une balle ennemie, qui mit un terme à sa carrière militaire.
Pour préparer la relève, les jeunes gens sont régulièrement appelés à se faire recenser sitôt sonnée leur dix-huitième année. Certains répondent à l’appel de leur classe d’âge avec entrain – mais pas tous, loin de là. Le 7 janvier 1915, « les jeunes gens des classes 1916 et 1917 qui désirent prendre part au banquet qui aura lieu le jour du conseil de révision, sont invités à se rendre à la brasserie Bressieux à 8 heures du soir ». Ceux qui ne se présenteraient pas, on les prévient d’emblée qu’ils « seront considérés comme non adhérents », donc mis à l’index par leurs camarades et probablement traités comme des couards.
Les réquisitions ne concernent pas que les hommes. L’armée réclame aussi tout ce que le pays compte comme chevaux et comme charrettes attelées, notamment les tombereaux, ancêtres des camions bennes, indispensables dans une guerre où la tranchée règne sur tous les fronts. Du jour au lendemain ou presque, les paysans vénissians se retrouvent dépourvus de leurs principaux outils de travail. Ils n’ont plus de chevaux pour labourer leurs champs, plus de charrettes pour rentrer les foins et les moissons, plus de garçons pour les aider dans leurs travaux quotidiens. Les récoltes sont compromises, et avec elles l’approvisionnement du pays.
L’état et la municipalité en ont conscience et veillent au grain. Le 4 mai, le maire invite les agriculteurs de la commune à une réunion « pour l’étude de la main-d’œuvre agricole nécessaire aux fenaisons et moissons ». Quelques jours plus tard, il propose une solution miracle, l’embauche d’ouvriers étrangers : « le maire informe les agriculteurs désirant profiter de la main-d’œuvre espagnole pour les travaux agricoles qu’ils peuvent faire leur demande en mairie dans les plus brefs délais ». En effet, l’Espagne ne participe pas à la Première Guerre mondiale et n’a donc pas eu à déclarer la mobilisation générale de tous ses hommes en âge de combattre. En ce mois de mai 1915, un nouveau courant migratoire vient de naître qui, après les Italiens, va peupler Vénissieux d’habitants de la péninsule ibérique, de plus en plus nombreux à franchir la frontière.
Le recours aux travailleurs immigrés ne suffit pas à pallier l’absence des soldats français. Petit à petit, le pays s’enfonce dans la pénurie et voit monter le spectre de la disette. Les journaux ne le clament pas mais trahissent cette réalité bien peu connue à travers leurs publicités qui, à côté de produits classiques — « La tisane Jailleu, c’est la santé ! » ; « Constipation, migraine, vices du sang, maladie de peau, prenez avec confiance le Dépuratif bleu ! » —, vantent les mérites de produits de substitution. Manque-t-on de la boisson reine du petit-déjeuner ? Optez pour le « café de glands doux Lecoq et Bargoin. Remplace avantageusement le café. En vente dans les épiceries, drogueries, etc. ».
Ces ersatz ne calment qu’en partie la faim qui tenaille les ventres. Au front les hommes tombent par millions, mais à l’arrière on pâtit aussi d’un effort de guerre qui épuise tout un chacun. Les privations amènent une forme de délinquance, que l’on croyait révolue : le vol de denrées alimentaires. Le 1er octobre 1915, l’épicerie de M. Bourrelle, au 3, avenue de la République, est la cible de malfaiteurs qui s’attaquent sans succès au coffre-fort du commerçant puis font main basse sur ses boîtes de conserve et… ses provisions de chocolat. Les voleurs sont interpellés dans les jours qui suivent : le coup avait été monté par un employé du commerce aidé de deux complices de 17 et 18 ans.
Bien loin de la région lyonnaise, d’autres Vénissians souffrent de malnutrition, les prisonniers de guerre. Enfermés dans des camps loin du front, ils font l’objet d’une attention toute particulière de la part de la Croix-Rouge, qui leur transmet les courriers et colis envoyés par leurs familles. La municipalité s’investit aussi sur ce terrain-ci, qui le 30 mai avise « les personnes qui ont des parents prisonniers en Allemagne […] à se présenter en mairie d’urgence ». Au moins ces captifs ont-ils échappé à la balle fatale ou aux pluies d’obus qui tuèrent 160 Vénissians. Le seul gagnant de ce conflit insensé fut l’industriel Berliet : fort des commandes d’obus, de chars et de camions passées par l’armée, il vint s’établir en 1916 dans son usine flambant neuve de Vénissieux. Heureux aussi, et un brin cynique, ce commerçant qui, dans le journal, se fendit d’une publicité de circonstance : « Au saule pleureur. Couronnes mortuaires en gros et en détail ». Le ton de l’année était donné.
Sources : Journal Lyon Républicain, 1er janvier au 31 décembre 1915.
gisele
11 avril 2015 à 8 h 12 min
mon arrière grand père habitait à cette époque rue des remparts je viens de le découvrir en faisant des recherches généalogiques il devait travailler dans une usine de produits chimiques.il venait de Maurienne 73.