“Une expulsion potentielle, cela peut aller très vite. Dans un sens comme dans l’autre.” André Mazuir, le porte-parole du Réseau d’alerte et de solidarité des Vénissians, a la mine des mauvais jours, ce mardi 28 octobre. Une famille, que le Réseau suit depuis quelques semaines, peut être expulsée de son logement d’un jour à l’autre, avant le début de la trêve hivernale fixé au 1er novembre. Et dans cette famille, se trouvent deux bébés, de 1 et 2 ans.
“Ce dossier devrait pourtant être assez simple. Il s’agit d’une famille avec de petites ressources, environ 850 euros, vivant en HLM pour un loyer de 440 euros. Le versement des APL (environ 400 euros) leur a été coupé par la Caisse d’allocations familiales à la suite d’un premier impayé. Un plan de surendettement est en cours, ce qui fait que la CAF a accepté de faire repartir le versement des APL. Mais le bailleur s’obstine à vouloir mettre dehors cette famille. Ils ont une dette d’environ 4 000 euros, qui pourrait être en grande partie remboursée par le rappel de l’aide au logement. Nous sommes dans une impasse pour le moment.”
Il faut dire qu’en termes d’expulsions, l’été n’a pas été de tout repos pour les militants bénévoles du Réseau d’alerte et de solidarité des Vénissians, qui se bat depuis 1998 contre les expulsions locatives et les coupures d’énergies. “À notre connaissance, trois au moins ont été réalisées. C’est une nouveauté : les étés précédents, les bailleurs et le préfet ne prévoyaient pas, ou peu, d’expulsions. Comme une sorte de “trêve estivale”, plus liée aux congés chez les différents intervenants qu’à une volonté de laisser les gens tranquilles.”
Dans le cas qui préoccupe ce mardi le Réseau, le bailleur n’a pas laissé beaucoup d’options. “Il ne fait plus confiance aux locataires, explique Raul Maldonado, un des bénévoles. La direction a refusé de normaliser la situation, et demandé la mise en place d’un bail glissant, à signer en une semaine.” Problème : un bail glissant, dans lequel une association paie le loyer à la place des locataires, qui remboursent l’association, ne peut pas se mettre en place aussi vite. Une semaine, c’est “à peine le temps de nouer les contacts !”
Alors, le temps presse. Dans leur local, les militants du Réseau décrochent le téléphone. Une première association vient de se dessaisir du dossier. “C’est une très mauvaise nouvelle, explique André Mazuir. Nous ne savons même pas pourquoi ils refusent de s’occuper de cette famille.” L’infatigable porte-parole plaide la cause de cette famille auprès de l’association en question. “Nous nous battons pour que deux bébés ne se retrouvent pas sur le trottoir. C’est très concret : dès demain, ils peuvent être mis dehors. La seule solution, c’est un bail glissant. Vous pouvez, vous devez nous aider.” Peine perdue. Le Réseau se heurte à une fin de non-recevoir.
“Bon… Nous allons en appeler une autre”, annonce André Mazuir. Laquelle n’acceptera pas non plus de s’occuper de cette famille, arguant que le CCAS (Centre communal d’action sociale) de Vénissieux, qui supervise le dossier, ne l’a pas saisie. “On exagère la situation de cette famille, tempête André Mazuir. On a réglé des dossiers plus compliqués, tout de même !”
L’impasse, toujours, donc. Reste une solution pour le Réseau, qui revendique une cinquantaine de membres : mobiliser le plus de personnes possibles, tous les matins jusqu’au début de la trêve hivernale le 1er novembre. Faire un barrage humain, au cas où les policiers viendraient. Et espérer que les forces de l’ordre, dont le concours a été accordé par la préfecture, “fassent preuve de fraternité”.
C’est ainsi que le mercredi matin, nous retrouvons le Réseau devant l’immeuble d’où la famille doit être délogée. Il n’est pas encore 8 heures, mais les quinze personnes présentes ont, cette fois, le sourire aux lèvres. “La préfecture a suspendu l’expulsion, annonce André Mazuir. Nous l’avons appris hier soir. C’est un événement, ce genre de décision vient très peu du préfet. Et nous allons pouvoir mettre en place un bail glissant avec le CLLAJ (Comité local pour le logement autonome des jeunes). C’est une excellente nouvelle, une victoire de la persévérance dans ce dossier où se sont battus les militants associatifs et l’adjointe au maire chargée des politiques sociales, Saliha Prudhomme-Latour.”
Les voyants au rouge
Une belle victoire, qui ne saurait cacher une situation plus qu’inquiétante. Selon le Réseau, environ 70 expulsions ont été programmées à Vénissieux. “C’était 53 en 2013, 40 en 2012, rappelle André Mazuir. En deux ans, leur nombre a donc presque doublé ! Le plus grave, c’est que l’on a tendance à oublier que derrière ces chiffres, se cachent des familles : des hommes, des femmes, des enfants, des bébés même.”
La situation semble donc plus que tendue dans une ville où 32 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, ce que les militants du Réseau attribuent notamment à “l’inefficacité gouvernementale” et aux “promesses non tenues” : “Le président de la République s’était engagé à relancer l’accès aux logements sociaux, détaille André Mazuir. Cécile Duflot, lorsqu’elle était ministre du logement, avait promis qu’il n’y aurait plus d’expulsions locatives et de coupures d’énergies. C’était il y a deux ans et demi. Aujourd’hui, on est bien loin de tout ça. La loi ALUR (Accès au logement et l’urbanisme rénové), qui prévoyait par exemple l’encadrement des loyers, aurait mérité des aménagements pour être efficace. Elle semblait pleine de promesses, mais avec l’arrivée de Manuel Valls au poste de 1er ministre, et sous son impulsion, la loi a été vidée de son sens.”
Une inquiétude nourrie aussi par le dernier rapport de l’Unicef, indiquant que, depuis 2008 en France, 440 000 enfants de plus sont tombés dans la misère. Et que plus de 11 % des 15-24 ans n’ont ni travail, ni formation ou études en cours.
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