Sa voie aurait pu être toute tracée. Avec un grand-père paternel fondateur des Choralies de Vaison-la-Romaine et une mère, Mick, enseignante de chant à l’école de musique Jean-Wiéner, à Vénissieux, Laure Wagner aurait mérité de devenir chanteuse. Mais…
« Mon truc, c’était la GRS, infirme-t-elle. Après avoir été scolarisée à l’école du Moulin-à-Vent, j’ai fait sport étude au collège Aragon, en horaires aménagés —21 heures par semaine—, de la 6e à la 4e. Je suis allée ensuite à La Xavière. En 3e, je pratiquais mon sport quasiment tous les soirs, à raison de 15 heures par semaine. Cela a duré jusqu’au bac. Je suis également devenue entraîneur de GRS pendant dix ans, de 14 à 24 ans. J’ai commencé à chanter sur le tard, en terminale, avec maman. J’ai intégré le chœur de jeunes alors que l’école de musique était encore installée place Sublet. J’ai également travaillé à Fêtes escales. »
Laure obtient son bac en 2000 et se lance dans un BTS Communication à Saint-Louis/Saint-Bruno, à la Croix-Rousse. Suivent un DEUG et une licence IUP Info Com à Lyon 3. « Je suis entrée à l’UFRAPS Management du sport. Je me voyais bosser pour les J.O. » En 2006, elle part étudier en Australie, accompagnée par sa jeune sœur. « Je suis restée cinq mois dans une école de langues à Brisbane. Ensuite, pendant un mois, nous avons voyagé : Uluru, Cairns, Sydney, Melbourne… Je tenais un blog à l’époque. »
De retour en France, Laure travaille en alternance à Skimania, spécialiste des sorties de ski en car. Comme chef de projet et de communication, elle monte un événement ski à La Sarra, dans le cinquième arrondissement de Lyon. « Deux années de suite, en 2003 et en 2004, nous avons transformé La Sarra en station ! » Embauchée à Skimania, Laure lance la communication du parc accrobranches que l’entreprise crée sur les hauteurs de Fourvière. Nous voilà en 2007 et sa vie prend un autre tour. « Je cherchais un job à Paris et je suis tombée sur une annonce pour s’occuper de la Semaine européenne de mobilité durable. J’ai été responsable de la communication de cet événement, via une agence qui avait remporté l’appel d’offres. Ils m’ont ensuite gardée en CDI : je travaillais pour des jeux vidéo, des soirées, etc. Je créais des événements, recherchais des sponsors. »
C’est pendant la Semaine européenne que Laure fait la connaissance de Frédéric Mazzella. Ce jeune entrepreneur s’occupait tout seul d’un site de covoiturage (covoiturage.fr). « Un jour, il m’appelle. Il avait les moyens d’embaucher et il recherchait un communicant. J’y croyais, au covoiturage ! Pendant un mois, je n’avais même pas de bureau. On se réunissait chez lui, dans une ambiance hyper start up ! Nous avons obtenu nos premiers succès avec pas mal d’articles de presse, en rebondissant par exemple sur les grèves à la SNCF. Je me disais que, si ça ne marchait pas, je trouverais bien autre chose. Je n’avais que 26 ans. Le train commençait à avancer et personne ne voulait monter dedans. J’entendais dire qu’il était fou de se faire véhiculer en voiture par quelqu’un que l’on ne connaît pas. Mais le site était bien fait et Frédéric Mazzella a rapidement compris que la confiance était le principal levier alors que nos concurrents, par exemple, misaient sur l’écologie. Ce qui, dans l’esprit de Frédéric, n’était pas une raison suffisante pour pousser les gens au covoiturage. »
Ensemble, ils choisissent de communiquer sur deux aspects : économie et confiance. « Nous vérifions les données du profil des utilisateurs. Il existe trois différences entre l’autostop et le covoiturage : avec le second, on n’attend pas sur le bord de la route, on sait avec qui l’on est (et grâce à internet, les proches le savent aussi) et ce n’est pas gratuit. Dans le stop, le rapport humain n’est pas égal. Là, tout le monde participe, il s’agit davantage d’entraide. On se retrouve souvent à quatre dans les voitures et les discussions sont plus cordiales. À Paris, les départs se font de toutes les portes. Dans les plus petites villes, c’est souvent de la gare. »
Quand Frédéric et Laure débutent leur collaboration, la PME porte toujours le nom de covoiturage.fr. Ils décident de créer leur marque. « En 2010, nous avons voulu nous lancer en Angleterre. Nous nous sommes dit qu’il nous fallait un nom. Nous avons réfléchi des mois, sommes passés par des appellations complètement absurdes pour finir sur BlaBlaCar, une onomatopée qui marche dans toutes les langues. » Et Laure, qui connaît bien son métier, sait résumer parfaitement : « Nous sommes une start up qui s’adresse directement aux Européens et leur propose un moyen de transport communautaire et un service de mise en relation. »
Lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense des annonces du gouvernement sur l’assouplissement de la réglementation du transport en autocars, Laure répond que le covoiturage sera toujours moins cher. « Seul le covoiturage propose des trajets flexibles, quasiment de porte à porte : le conducteur peut t’attendre, te déposer en bas de chez toi. » Pour devenir membre de BlaBlaCar, il suffit de s’inscrire sur le site, ce qui est totalement gratuit. Déjà dix millions de personnes ont fait confiance à la start up. Pour l’instant la majorité vit en France. Mais BlaBlaCar ne veut pas s’arrêter aux frontières et, grâce à des levées de fonds -la dernière en juillet, d’une valeur de 100 000 dollars, auprès de fonds d’investissements américains et européens-, regroupe pour l’instant treize pays : la France, l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, le Bénélux, la Pologne, l’Ukraine et la Turquie. L’Ukraine ? Ça ne doit pas marcher fort, en ce moment ? « Au contraire, répond Laure, parce que les trains sont arrêtés à cause de la guerre. »
« Tu connais Lyon ? C’est une petite ville à côté de Vénissieux. »
BlaBlaCar a des correspondants dans chacun des pays et la PME compte à présent 180 personnes dans ses effectifs. Et ne veut pas s’arrêter là puisque la start up a d’ores et déjà en ligne de mire d’autres contrées, beaucoup plus lointaines : l’Inde, l’Amérique latine, l’Europe de l’Est. « Il faut être dans les pays où l’essence est chère. En France, ça marche bien : les villes d’intérêt sont à 300 km les unes des autres. 330 km est d’ailleurs le trajet moyen. Autre avantage : avec la même application sur son smartphone, on peut rechercher une voiture pour Gap-Brives ou Istanbul-Ankara. »
Très impliquée (« BlaBlaCar est aussi mon bébé même si ce n’est pas mon entreprise »), Laure parcourt la France pour faire des conférences. Elle était à Lyon le 17 octobre pour parler des « acteurs de la ville intelligente » à l’IHEDATE. D’ici à la fin de l’année, elle doit intervenir à Sciences-Po, à l’Institut national de la consommation, à la Société du Grand Paris, à Emmaüs, au Conseil économique, social et environnemental ou au ministère des Affaires étrangères et du développement international. Elle a aussi accompagné Frédéric Mazzella sur le plateau du « Grand Journal », l’émission de Canal+, mais sans apparaître à l’écran. « Frédéric est reconnu comme un jeune entrepreneur à succès. Au « Grand Journal », il était en direct avec l’invitée politique. Et avec Antoine de Caunes, c’est juste magique ! J’ai eu comme un flashback de la galère des premières années. Aujourd’hui, on nous écoute. »
Laure est restée naturelle, telle qu’on l’a connue par le passé lorsqu’elle était championne de GRS ou qu’elle faisait la com’ de Fêtes escales. « Je ne manque pas une occasion de dire que je suis de Vénissieux. Mon boss a l’habitude de me présenter ainsi : « Laure est de Vénissieux. Tu connais Lyon ? C’est une petite ville à côté de Vénissieux. » C’est vrai qu’à m’écouter, on dirait toujours que Vénissieux est beaucoup plus importante. Après tout, c’est une habitude : quand je faisais de la GRS, j’ai toujours porté les couleurs de ma ville. Je continue. »
On peut tout savoir de BlaBlaCar en se branchant sur le site : www.covoiturage.fr