Culture

Une galeriste lyonnaise lègue 22 œuvres aux Arts plastiques de Vénissieux

Parce qu’en matière d’arts plastiques, Vénissieux sait concilier le populaire et l’exigence, une galeriste lyonnaise, Pascale Triol, vient de léguer à la Ville vingt-deux peintures, sculptures, estampes et dessins d’artistes contemporains.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Au départ, remarque Pascale Triol, rien ne me prédisposait à m’intéresser à l’art. » De la faculté de philosophie à la gestion d’une société hydroélectrique en passant par l’Institut d’administration des entreprises de Lyon 3, rien en effet, dans le parcours de Pascale, ne la mettait en relation directe avec l’art contemporain. C’est pourtant dans ses origines personnelles qu’elle situe la raison première.

« Mon grand-père paternel, qui était sympathisant communiste mais pas inscrit au parti, était d’origine modeste. Il était artisan balancier, du temps où les poids et mesures n’étaient pas électrifiés. Il était féru d’Histoire et lecteur des philosophes : Pascal, Voltaire, Rousseau et bien d’autres. Ma grand-mère était servante dans une ferme en Bresse. Du côté maternel, mes deux grands-parents étaient cheminots. Ma grand-mère était chef de gare d’une minuscule petite station. Mon grand-père, lui, était cheminot sur les voies. »

Pascale explique encore que son père n’a pas fait d’études et que sa mère était institutrice « par la petite porte », sans être passée par l’école normale. C’est à elle qu’elle doit son lien très fort « à l’école de Jules Ferry ». Son histoire familiale, avec un père et un oncle résistants dans les maquis de l’Ain, lui a fixé une ligne de conduite : « Rester ancrée dans le respect des institutions mais ne jamais abdiquer sa part de liberté, comme un devoir de Résistance ! »

Pour bien se faire comprendre, elle cite un court récit de Marguerite Duras, « Le coupeur d’eau », que l’on retrouve dans le recueil de nouvelles « La vie matérielle » : « On a toujours une liberté face au désarroi : couper l’eau d’une famille ou la laisser. Cela devient un devoir de désobéissance civique. » En 1957, son père s’intéresse à la production d’énergie électrique et fait l’acquisition d’une petite centrale à Tenay, dans l’Ain, avec son frère, l’oncle de Pascale. « Le monde de l’entreprise m’est devenu familier. J’étais habituée à voir travailler mes grands-parents et mon père dans des ateliers et des centrales hydroélectriques. Mais j’ai également acquis un cheminement philosophique grâce à mon grand-père. Tout est guidé chez moi par des questions kantiennes : qu’est-ce que l’homme ? Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? »

Pascale obtient en 1981 un DEA de philosophie à l’université Jean-Moulin (Lyon 3). « J’y ai suivi les cours d’Henri Maldiney, décédé l’an dernier à l’âge de 101 ans. C’est grâce à son enseignement que je me suis intéressée à l’esthétique. Je lui dois une partie de ma capacité à comprendre l’art. » Après s’être essayée deux fois sans succès au concours des IPES (« qui permettaient d’avoir l’écrit du CAPES »), Pascale décroche un diplôme en gestion des entreprises en 1985 : cette double approche et double compétence en art et en gestion la rapproche de ce qu’Edgar Morin nomme la dialogique : « C’est l’association complémentaire des antagonismes, écrit le philosophe, qui nous permet de relier des idées qui en nous se rejettent l’une l’autre, comme par exemple l’idée de vie et de mort. »

Bien entendu, dans l’esprit de Pascale, les deux mots antagonistes sont « culture » et « économie ». Elle devient ensuite gérante de la société familiale d’énergie électrique : « ‘Elle est sans doute à la source des moyens dont j’ai disposés. » Car cette « montée en puissance économique de la famille », suite au travail mené par son père et son oncle dans plusieurs centrales, lui permet d’acheter un local à la limite de Lyon et de Villeurbanne, non loin de l’Institut d’art contemporain : la galerie Serediac.

« Dans le cadre de mes études de philosophie et d’esthétique, certains de mes coreligionnaires sont devenus des critiques d’art. J’ai commencé à fréquenter des ateliers d’artistes, des expositions, des foires et à étendre mes connaissances en histoire de l’art. Tout art est contemporain de son existence et il n’y a pas moins de contemporanéité chez Piero della Francesca que dans l’exposition de documentation céline duval, montrée en ce moment à Vénissieux. Si une œuvre ne transcende pas son temps, elle n’est pas une œuvre d’art. L’œuvre se place au-delà du collectif, au-delà de soi, sinon elle est un objet narcissique. Il existe peu d’œuvres d’art, beaucoup de prétendants pour peu d’élus. J’ai beaucoup de respect pour les artisans et leur savoir-faire mais l’artisan n’est pas un artiste. »

Elle cite alors Saint Jean de la Croix : « Pour toute la beauté jamais je ne me perdrai sinon pour un je ne sais quoi qui s’atteint d’aventure. » Galeriste, Pascale préfère « le luxe d’un compagnonnage avec les artistes », et pas forcément avec les plus « bankables », pour utiliser un vocable à la mode : « Je n’ai pas choisi d’exposer Combaz, Buren, Basquiat ou Warhol. Si j’ai de l’argent à dépenser, j’aime mieux un artiste pour qui cette somme est essentielle pour poursuivre sa création. Je ne dis pas non plus que je n’ai jamais rien acheté aux enchères : j’ai eu des œuvres de Jean-Charles Blais, Georges Rousse, Georges Mathieu… Je sais aussi utiliser les ressources d’un système. J’ai également été responsable de la formation continue à l’Institut d’administration des entreprises pendant 11 ans. »

Parmi les artistes qu’elle a suivis et exposés, elle cite Marie Ducaté, rencontrée à la galerie lyonnaise des Fantasques. « Je me suis lancée dans le soutien à la production. En 2004, Marie avait 20 ans de créations, je lui ai proposé un livre qui marquait cette étape et l’en libérait. J’ai financé l’ouvrage à hauteur du cinquième. Marie avait 20 ans d’avance en proposant une articulation entre l’art et l’art décoratif, devenue aujourd’hui un poncif. » Le résultat est un beau livre d’art, « Marie Ducaté : art et arts décoratifs », qui sera suivi par un second, « Merveilles », en 2013. Pascale soutient également la publication des six volumes du « Livre sans fin » d’Isa Barbier, de « Photos souvenirs » de Daniel Buren et du « BLOC » de Christine Crozat.

« Quelle merveille que de pouvoir donner ce qu’on n’a pas, miracle de nos mains vides » (Georges Bernanos, cité par Godard dans « Nouvelle vague »)

« Dans le film « Nouvelle vague », j’ai retenu cette phrase qui est tirée du « Journal d’un curé de campagne » de Bernanos et que Godard reprend : « Quelle merveille que de pouvoir donner ce qu’on n’a pas, miracle de nos mains vides. » Un collectionneur doit prêter, léguer. On n’est pas propriétaire de la création. Une œuvre n’est pas du domaine de l’avoir. Elle est du domaine de l’être. »
Pascale Triol a décidé de léguer à la Ville de Vénissieux et à son service arts plastiques, dirigé par Françoise Lonardoni, 22 œuvres, signées Jean-Philippe Aubanel, Christian Babou, Bertrand Bajard, Jean Bertholle, Christine Crozat, Geormillet, Jean-Pierre Giard, Isidore Isou, François Jeune, Christian Lhopital, Françoise Novarina, Andrée Philippot-Mathieu, Alain Pouillet, Étienne Pressager, Henry Ughetto, Michel Ventrone et Frédéric Voisin.

« La première raison, explique-t-elle, vient donc de Godard et Bernanos : on donne ce qu’on n’a pas. Pour la deuxième, il se trouve que, l’âge aidant, on parvient à une philosophie de l’être et l’on se dit que l’on a accumulé des œuvres qui ont une matérialité. Lors d’une exposition de Christine Crozat à Vénissieux, j’ai trouvé exceptionnel l’engagement de la Ville vis-à-vis des arts plastiques, qui se déclinait sur plusieurs registres : un espace d’exposition, avec la production d’une publication et l’acquisition d’une œuvre de l’artiste exposé, et la notion de collection. Auxquels on pouvait ajouter un discours sur l’éducation artistique. Cette démarche m’a fait penser à celle de Villeurbanne avec le TNP : le populaire s’accompagnait d’un horizon d’exigence. L’éducation doit avoir une conception élitiste et vouloir pour tous le meilleur. Cela faisait un certain temps que je suivais les expositions à Vénissieux, une ville qui, en plus, était communiste, ce qui avait un sens par rapport à ma propre histoire. Une ville qui savait l’importance du social tout en ayant soin de promouvoir la culture. Cet engagement pour la culture correspondait bien à l’utopie communiste. Je ne suis pas prisonnière d’options idéologiques, je suis à l’écoute d’engagements. Le dernier élément moteur de mon choix était la présence de Françoise Lonardoni à la tête du service, que j’avais rencontrée sur son précédent poste, à la bibliothèque de la Part-Dieu. Elle y faisait un travail superbe avec les artistes. C’était une conjonction idéale. »

Dans son film « La collectionneuse », Éric Rohmer argumente que la collection sans préméditation (le personnage joué par Haydée Politoff collectionne les aventures) correspond « à l’échelon le plus bas de l’espèce ». « Maintenant, remarque son ami, si tu collectionnes d’une façon suivie avec obstination, bref si c’est un complot, les choses changent du tout au tout. »
Que Pascale Triol mette son complot artistique au service de la Ville mérite davantage qu’une inscription sur un livre d’or : nos remerciements les plus chaleureux.

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