Roberto arrive à Vénissieux avec quelques minutes de retard en s’excusant : « Tu comprends, avec la Coupe du monde, tout le monde m’en parle… »
Roberto Cavalcante est originaire de Brasilia. Son grand-père lui a transmis sa première passion, la joaillerie. « Il était chercheur d’or et possédait une mine. J’ai appris avec lui la passion du métal et le travail. Depuis une dizaine d’années, j’ai créé les éco-bijoux. Je vais tous les ans en Amazonie voir une tribu indienne qui vit dans une réserve et qui me fournit en graines, pierres brutes… C’est une façon de les soutenir. Nous avons par exemple au Brésil une quarantaine de variétés de noix de coco. Je travaille avec ces différentes espèces, avec leurs couleurs. J’ai participé ainsi à la Biennale du design à Saint-Étienne et à d’autres festivals… Et, en parallèle, il y a toujours eu la musique. »
Pour Roberto, ces deux passions lui sont tombées dessus. Et depuis son arrivée en France, il se partage entre sa boutique de Lyon, « Concept Brésil » (31, rue Terme), et les ateliers de percussions qu’il dirige. « Au Brésil, la musique est un plaisir. Quand j’ai quitté mon pays dans les années quatre-vingt, je suis allé aux Antilles et j’ai rencontré une population métissée et une musique qui l’était tout autant. Elle sonnait pareil. Après, j’ai transmis aux gens la musique brésilienne et, chaque fois que je retourne au Brésil, je me perfectionne auprès des écoles de samba. C’est tout un art, un lien social qui est créé par la musique. Dans les écoles de samba, on trouve toutes les classes sociales, toutes les couleurs, tous les âges. Les papys et les mamies sont au milieu des très jeunes. Le mélange est très riche. »
Roberto obtient un contrat pour travailler en France, passe une petite période à Paris et arrive à Lyon, « une ville centrale près de tout, de l’Espagne, de l’Italie, de la montagne aussi. Pour moi, c’est l’exotisme, la montagne. Nous n’avons pas de neige au Brésil. Je me suis vite intégré. »
Roberto fonde le Café-Théâtre brésilien, avec des spectacles en français et des concerts brésiliens. « Tous les artistes brésiliens de passage venaient à Lyon. Ensuite, j’ai été animateur sur Radio-Canut, où j’ai eu une émission brésilienne pendant quatre ans. Puis il y a eu l’association Bateau-Brésil qui a mené plusieurs projets avec Guy Darmet, qui était alors le directeur de la Maison de la danse. J’ai participé à de nombreux défilés de la Biennale, d’abord avec le Bateau-Brésil, puis avec Villeurbanne et plusieurs fois avec Rillieux-la-Pape. »
Il ajoute qu’à Rillieux, la population est aussi mélangée qu’au Brésil : « C’est pourquoi j’aime intervenir en banlieue. »
Le groupe Brazucada, qu’il forme en 2002, est justement issu d’un défilé. « Tout le monde avait passé du bon temps et on a décidé de fonder un groupe, qui est devenu une vraie structure. On tourne dans toute la France mais on garde un esprit amateur. La soixantaine d’adhérents donne de son temps, a envie d’apprendre. J’épaule leur démarche, je les corrige et c’est gratifiant. Les gens n’imaginent pas que, sans avoir appris ni le solfège ni la musique, on peut faire ce qu’on fait. C’est le côté énergique de la batucada. »
Cette énergie, ceux qui suivent les ateliers percussions que Roberto mène à l’école de musique Jean-Wiener, dans le cadre des Fêtes escales, la connaissent bien. « Je les fais avancer par petits bouts. Au début, c’est statique, on travaille sur plusieurs éléments. Il n’y a pas de chant mais, chaque fois, je leur fais reproduire une sonorité. On a besoin de cette énergie quand on fait de la percussion. Ensuite, on travaille les mouvements du corps. Taper et bouger n’est pas évident et il ne faut surtout pas perdre le rythme. Mais je vois les progrès. »
Il évoque l’aspect physique de la batucada, certaines caisses étant lourdes. « Il existe des instruments pour toutes les conditions physiques, chacun peut trouver son compte. Je n’ai pas beaucoup d’hommes dans le groupe. Les femmes prennent bien le pouvoir, comme la présidente du Brésil ! »
Sacré bonhomme, ce Roberto. Ce sympathique meneur de jeu affirme qu’il s’est bien intégré en France parce que « les portes s’ouvrent » pour la seule raison qu’il est Brésilien. C’est oublier son entrain, sa générosité, son sens de l’humour et ses sourires.
« Vivre dans ce contexte est agréable. Je ne ressens pas les problèmes de l’immigration comme d’autres peuvent les vivre. Le Brésil n’a pas été colonisé par la France, ça compte beaucoup. Nous avons connu avec les Portugais une indépendance en douceur il y a 200 ans. On a eu le temps de fermer certaines blessures. Nous n’avons jamais été en guerre avec quelque pays que ce soit (NDA : sauf évidemment pendant la Seconde Guerre mondiale, où le Brésil s’est rangé aux côtés des Alliés). Et nous n’avons pas de problème avec les religions, nous les avons toutes !
« J’y retourne tous les ans, non seulement pour mon travail n°1 mais aussi pour le n°2. Je fais le carnaval avec les écoles de samba, pour ramener les nouveautés musicales ici. Avec Brazucada, nous sommes allés cinq fois au Brésil. Ils ont mieux compris comment je fonctionne, avec mes retards, ma façon d’être. La seule chose à laquelle je ne m’habitue pas en France, c’est le froid. Plus le temps passe et plus j’ai du mal. Le temps semble alors long. L’été, par contre, est très agréable, avec les festivals. »
Un mot qui nous ramène à Fêtes escales et à Vénissieux. Roberto avait déjà mené un projet avec quatre villes, dont la nôtre (les autres étant Rillieux, Neuville-sur-Saône et Villeurbanne). « Il s’appelait « Le son des rues » et a duré trois ans, suite à la venue des Moleque de rua. Nous étions à la fin des années quatre-vingt-dix et au début des années deux mille et je travaillais avec un petit groupe d’ados. Nous avons fait un grand spectacle à Sathonay avec les Moleque et aux Terreaux avec deux cents jeunes, une cinquantaine de chaque banlieue. Je les revois de temps en temps. Ces grands messieurs qui m’appellent Roberto, je me demande parfois d’où je les connais ! »
Bien sûr, on ne peut quitter Roberto Cavalcante sans glisser une ligne ou deux sur la Coupe du monde. « Les gens ont toujours un petit mot pour moi, avec toutes ces émissions qu’ils regardent sur le Brésil. On est sous les feux de la rampe. J’ai ma vision du pays, par rapport aux manifs qui se déroulent là-bas. C’est vrai qu’on devrait construire des hôpitaux à la place des stades. Quatre stades ne vont plus jamais servir à rien, c’est aberrant ! Je connais bien la problématique, je viens d’une famille simple. Mes parents étaient instituteurs. Le Brésil a des problèmes immenses de santé, de scolarité. Le président Lula a fait beaucoup pour le Nordeste mais il manque encore. Le pays est immense, avec 6000 km de plages. »