Le premier qualificatif qui vient à l’esprit en évoquant le nom de Tommy Lee Jones, c’est bourru. Qu’il course Harrison Ford dans « Le fugitif » ou assume la partie sérieuse du duo des « Men in Black », aux côtés d’un Will Smith beaucoup plus rigolard, Tommy Lee est bourru. Si l’on ne peut qu’apprécier la plupart des choix de l’acteur (rien que ces dix dernières années, il a travaillé devant les caméras de Steven Spielberg, Bertrand Tavernier, les frères Coen ou Robert Altman), on aurait tort d’oublier ses qualités de mise en scène. En 2005, Jones présentait à Cannes l’excellent « Trois enterrements », impressionnant tant par sa sobriété que par les émotions qu’il suscitait et le thème qu’il développait. Car sous ses aspects de mec rugueux, Tommy Lee Jones cache un sens de la justice pour ceux que la société rejette qui fait chaud au cœur. Dans « Trois enterrements », il se plaçait du côté des Mexicains face à la police américaine. Dans « The Homesman », il accompagne un étrange convoi dont tout le monde se désintéresse, préférant rester toujours du côté des plus faibles.
D’ordinaire (et George Clooney fait figure d’exception), les acteurs qui jouent dans les films qu’ils réalisent se donnent très souvent le beau rôle. Tommy Lee Jones n’apparaît pas immédiatement dans son récit, préférant laisser la primeur à son actrice, Hillary Swank. Et lorsqu’il est enfin à l’écran, Jones se moque carrément de son image.
Rappelons que nous sommes au milieu du XIXe siècle. Visiblement, George Briggs (le personnage incarné par Tommy Lee Jones) a déplu à ses concitoyens et s’est enfermé dans une cabane en bois, dans la cheminée de laquelle ses adversaires balancent un explosif. Briggs émerge en caleçons longs, le visage complètement noirci et ridé comme un vieux pruneau. Il est encore malmené et se retrouve la corde au cou. Ce n’est pas déflorer l’intrigue que de dire qu’il sera sauvé mais, une fois rhabillé et embauché par Mary Bee Cuddy (Hillary Swank), il aura encore pendant quelques plans le visage noirci par la fumée. Comme entrée en scène, on ne fait pas mieux !
Adapté d’un roman de Glendon Swarthout, le scénario va s’attacher aux délaissés de cette société de pionniers qui va devenir l’Amérique. Briggs est un traîne-savate attiré par la paie que lui promet Mary Bee. Elle-même est une vieille fille peu amène, au visage dur (et c’est étonnant de retrouver la jolie Hillary Swank dans ce rôle revêche), qui cherche désespérément le mâle et le rebute lorsqu’elle en tient un. Quant aux trois femmes que Briggs et Mary Bee vont devoir convoyer dans les paysages désertiques et frigorifiés par l’hiver du Nebraska puis de l’Iowa, elles ont été rendues folles par leurs conditions de vie et la mort de leurs enfants.
Les rencontres vont bien sûr se succéder (des Indiens, un malfaiteur, de riches tenanciers d’un hôtel peu accueillant) et montrer combien le combat pour la vie relève du quotidien.
Western rude, « The Homesman » est une balade mélancolique que l’on pourrait qualifier d’auroraire. On a souvent écrit, à propos des films de Sam Peckinpah, qu’ils étaient des « westerns crépusculaires » parce qu’ils racontaient la fin d’une époque, le passage de l’ère des pionniers à celui de la modernité, avec l’arrivée des voitures, des machines de guerre sophistiquées, etc. Ici, Tommy Lee Jones décrit plutôt le début d’une époque qui, en se développant, deviendra la nôtre : les pauvres doivent se battre pour survivre, les riches ne leur tendent pas la main, les communautés vivent les unes à côtés des autres sans le moindre contact. Et, lorsqu’il s’agit des Indiens, l’échange et le troc garantissent la survie. L’Amérique d’aujourd’hui se dessine dans « The Homesman » et un personnage comme Briggs, garant d’une réelle humanité (comme l’était déjà celui que jouait Tommy Lee Jones dans « Trois enterrements ») est la seule lueur d’espoir dans cet univers austère.
Comme dans un film de John Huston, le récit se conclut par une danse et des rires (on pense, bien sûr, à la fin du fabuleux « Trésor de la sierra Madre ») et la mise à l’eau du souvenir. Échec ou réussite, peu importe, c’est en ne prenant pas la vie au sérieux qu’il faudra continuer à la vivre.