Dès le début de l’audience, la présidente du tribunal a donné le ton : “Depuis 2002, différents magistrats ont été appelés à juger des arrêtés anti-expulsions pris notamment par le maire de Vénissieux. Je rappelle qu’une salle d’audience n’est pas une tribune politique. Je vous remercierai donc de vous concentrer sur les textes de lois, comme je remercierai le public de ne pas manifester son soutien ou sa désapprobation.”
La parole a d’abord été donnée à Mme Bouyssou, représentant le préfet du Rhône. Celle-ci a demandé à la présidente du tribunal de frapper de nullité les arrêtés pris par Michèle Picard. “Ceux-ci ne correspondent en rien au pouvoir de police du maire d’une ville, a-t-elle assuré. En effet, ils ne s’appuient sur aucun trouble avéré à l’ordre public, juste des troubles supposés, et se basent sur des textes trop généraux. Ils passent outre des décisions de justice. Enfin, ils s’immiscent, dans le cas particulier des arrêtés contre les coupures d’énergies, dans une relation contractuelle, de droit privé, entre un particulier et une entreprise. Tous sont de fait en dehors de la loi.”
Puis c’était au tour de Michèle Picard de s’exprimer. “Chaque année, j’axe mon argumentaire sous un angle différent, afin de démontrer les conséquences terribles de la précarité. L’an dernier, j’avais alerté sur les effets de la pauvreté chez l’enfant, comparables à ceux de la guerre. Aujourd’hui, j’évoquerai les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes âgées. Plus d’un million de retraités ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. 55 % des ménages touchés par la précarité énergétique ont plus de soixante ans. En dix ans, le taux de surendettement des plus de cinquante ans a progressé de 10 %. (…) Avec les réformes des retraites successives, la situation des retraités n’a cessé de se dégrader. En dix ans, leur pouvoir d’achat a chuté de 10 à 20 %. (…) Une société qui ne respecte pas ses aînés, qui sacrifie ses enfants, est une société sans fondation ni perspective.
“À Vénissieux en 2013, les situations d’expulsion ont augmenté de 32 % en un an. Ce sont les effets d’une crise endémique, dont on mesure aujourd’hui les conséquences. Tous les voyants sont au rouge. Il y a eu 251 assignations au tribunal, 104 demandes de concours de la force publique, 53 expulsions programmées, pour onze effectuées. 21 familles sont parties avant l’expulsion. Pour la première année, les plus de 59 ans ont représenté 20 % des situations d’expulsions.
“Alors que les maires sont en première ligne, ces arrêtés constituent un cri d’alarme, un acte de désobéissance civique nécessaire face à l’urgence sociale et à l’exclusion. (…) L’État doit être un véritable partenaire des collectivités pour trouver des solutions justes et dignes. La lutte contre la pauvreté doit être une priorité nationale, une urgence nationale.”
“Vous ne vous adressez pas à la bonne institution, lui a répondu la présidente. Le tribunal administratif ne décide pas des lois. L’audience est levée.”
La décision du tribunal administratif devrait être connue rapidement.