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Les mères-chercheuses de l’UPP

En réaction aux discours fustigeant une prétendue démission parentale, les Universités populaires de parents font entendre la voix des parents dans l’espace public. Reportage à la crèche Arc-en-Ciel des Minguettes.

Les Universités populaires de parents (UPP) sont nées il y a presque dix ans, en réaction aux discours fustigeant une prétendue démission parentale. Grâce à la force de l’action collective et à une méthode de recherche rigoureuse, elles font entendre la voix des parents dans l’espace public. Reportage à la crèche Arc-en-Ciel des Minguettes, qui abrite l’UPP de Vénissieux.
Fin janvier, pour le colloque régional des Universités populaires de parents, elles étaient sur la scène du grand amphithéâtre de l’École normale supérieure (ENS) de Lyon. “Impressionnées, témoignent-elles, mais bien moins qu’on l’imaginait.” Il faut dire que Leïla, Sabrina, Blanche, Karima, Samira, Aurore et “consœurs” (1) ont pris une réelle assurance depuis qu’elles fréquentent l’UPP de Vénissieux, basée à la crèche parentale Arc-en-Ciel des Minguettes. On les y retrouve un mercredi, en fin d’après-midi. Café, gâteaux et bonne humeur sont de rigueur. Depuis plus d’un an, elles sont ainsi une quinzaine à se réunir régulièrement.
Comme le stipule la charte des UPP, il y a d’abord eu un temps d’échanges très libre, appelé phase exploratoire. De ces discussions à bâtons rompus est ressorti le sentiment d’être soumis, en tant que parent, à une forte pression, une obligation d’excellence concernant l’éducation des enfants. Mais aussi le constat que l’éducation est éclatée, partagée avec l’école, l’environnement social, les fréquentations, les réseaux sociaux… D’où leur questionnement sur ce que pourrait être la meilleure co-éducation possible. Elles en ont fait leur thème de recherche. Bientôt, un universitaire les rejoindra pour apporter sa méthodologie. Il faudra ensuite enquêter sur le terrain, traiter les données, les analyser, et enfin porter les fruits de ce travail auprès des élus et institutions dans le but de promouvoir la parole parentale, de devenir un partenaire reconnu sur les questions d’éducation.

“On se concentre plus sur les ressources que sur les difficultés personnelles”

C’est en 2005 que la démarche est née au niveau national, à l’initiative de l’Association des collectifs enfants, parents, professionnels (Acepp). Les parents des quartiers populaires étaient alors fréquemment mis à l’index, suspectés voire accusés par certains politiques et média d’être démissionnaires. Depuis les UPP ont essaimé en France, Allemagne et Belgique. La région Rhône-Alpes est une place forte avec pas moins de onze collectifs constitués. Et Vénissieux fait partie des pionniers (2). “Nous en sommes à la 3e génération, chaque génération représentant un cycle de recherche d’environ trois ans, précise Samia Zemmit, responsable de la crèche Arc-en-Ciel, animatrice et coordinatrice du groupe. C’était presque une évidence que cette démarche se développe ici, dans la mesure où notre crèche repose déjà sur ce principe de la collaboration entre parents et professionnels.”
Si l’objectif premier est de valoriser les compétences des parents auprès des institutions, la démarche UPP est aussi une source d’enrichissement personnel pour les mères qui y participent — on y trouve en effet peu de pères. “Pour moi, cela a été un retour à la vie intellectuelle”, témoigne Samira. “Cela me fait un bien fou, j’ai l’impression de revivre, de compter, presque de me découvrir”, ajoute Karima. “Personnellement, cela m’a permis de me remettre en question sur un certain nombre d’idées et inversement d’apporter un regard différent à d’autres personnes, observe Leïla. Et puis ce groupe de travail est progressivement devenu un véritable groupe d’amies. Ce n’est pas rien dans la vie. On passe beaucoup de temps ensemble. C’est un peu comme un 2e mari !”
L’effet UPP se diffuse même dans le cercle familial. Blanche, qui a “renoué avec le travail d’écriture à la maison”, dit avoir remarqué une influence positive sur le travail scolaire de ses filles. “Les pères ne sont pas avec nous mais ils se tiennent informés de l’avancement de nos travaux, rebondit Leïla. C’est devenu un sujet de conversation fréquent à table”.
“L’UPP est un outil qui révèle le potentiel de chacun, résume Samia Zemmit. On ne devient pas meilleur, on se découvre simplement meilleur qu’on le pensait. C’est lié au fait que l’on se concentre plus sur les ressources que sur les difficultés personnelles.”

“Il ne s’agit pas de remettre en cause les institutions mais de mettre en commun nos savoir-faire”

L’approche des UPP n’a rien de révolutionnaire. Elle ne fait après tout que reprendre les principes de base de l’éducation populaire. Mais elle remet dans le jeu des parents qui restaient sur la touche. Le colloque qui s’est tenu à Gerland a montré la richesse du travail accompli sur des questions aussi importantes que le décrochage scolaire, la transmission des valeurs, la cohérence éducative… L’UPP de la commune voisine de Saint-Priest constitue l’expérience la plus aboutie. Entre 2009 et 2012, la 2e génération de chercheuses y a travaillé sur les représentations des quartiers populaires dans l’opinion et sur les effets que ces dernières peuvent avoir sur les individus. Depuis, ces mamans sont devenues incontournables pour exprimer la voix des parents auprès des institutions, au point d’être représentées au sein de la commission départementale de l’accueil des jeunes enfants. À la demande de la principale du collège Colette, l’UPP a même créé, au sein de l’établissement, un café des parents dont elle assure la gestion. “Nous sommes parents, mais également acteurs et citoyens, témoignait Maria sur la scène de l’amphithéâtre de l’ENS. On se sent moins isolées devant les professionnels qui s’occupent de nos enfants. On arrive à prendre du recul et à porter une parole collective.”
Les mères-chercheuses de Vénissieux ne cachent pas que l’UPP de Saint-Priest a valeur d’exemple à leurs yeux. “On aimerait atteindre ce degré de reconnaissance, cette légitimité auprès des autres acteurs locaux de l’éducation”, annonce Aurore. “Il ne s’agit pas de s’opposer, de remettre en cause les institutions, prend soin de préciser Sabrina, mais d’être vu comme un partenaire naturel et de mettre en commun nos savoir-faire, car nous aussi avons une expertise à apporter.”
À l’heure où la participation des habitants est devenue le nouveau leitmotiv de la politique publique menée dans les quartiers prioritaires, l’expérience des UPP prend un relief particulier. Cela n’a pas échappé à Michel Calzat, délégué de l’État à Vénissieux, qui était au nombre des invités lors du colloque : “En matière de participation, on sait que la formation des habitants est une clé et de ce point de vue, force est de constater que les UPP apportent une réponse.”

(1) Les parents membres de l’UPP de Vénissieux : Leïla, Sabrina, Blanche, Karima, Samira, Aurore, Fatima, Hichem, Faty, Bahia, Aroussia, Nathalie, Belinda, Sabah, Aicha, Claudia, Fatima, Moncef, Samia, Isabelle, Nadia. Et de façon indirecte l’équipe de professionnelles de la crèche Arc-en-Ciel : Anne, Djamila, Angèle, Eugénie.
(2) Les partenaires de l’UPP de Vénissieux : Maison du projet, Ville de Vénissieux, centres sociaux des Minguettes, Conseil général du Rhône.

Pour aller plus loin…

L’ouvrage des parents et professionnels des UPP :
« Universités populaires de parents, des parents acteurs, chercheurs, citoyens »
Sous la direction de Emmanuelle Murcier et Michelle Clausier
Édition Chronique sociale – 16,50 euros TTC
Pour savoir où l’acheter : www.upp-acepp.com

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